Intelligence artificielle : les métiers menacés dans les collectivités
Chargés de com, chargés d’accueil, agents d’état-civil, comptables… Bientôt le pot de départ ? L’intelligence artificielle arrive et d’ici quelques années, elle va révolutionner beaucoup de métiers, y compris dans nos collectivités territoriales.
Par Yann-Yves Biffe
De tout temps, l’intelligence artificielle a fait l’objet des fantasmes les plus fous. Mais là, il y a pas mal d’indices qui viennent nous dire : c’est pour bientôt. D’une, un député République En Marche, Cédric Villani, a fait un rapport là-dessus à la demande du gouvernement. Deux : des voitures roulent sans chauffeur. Pas encore sans accident, mais le progrès est en marche. Donc les deux sont en marche et convergent, c’est qu’il se passe un truc.
Ainsi, selon les sources, des métiers commenceront à disparaître d’ici 2024, l’intelligence artificielle étant appelée à dépasser l’intelligence humaine sous 45 ans pour certains chercheurs.
Et pour nous, agents des collectivités territoriales souvent présentés comme à l’abri des bouleversements du monde, que peut changer l’émergence de l’intelligence artificielle ? Y aura-t-il un impact sur nos métiers ?
Indubitablement, tant pis pour le plan Sciences Po en deux parties « mais oui / mais non », la réponse est oui. Bah oui, le monde a été bouleversé par internet, les collectivités ont été touchées même si la mutation liée au numérique est encore en cours. Alors quand le monde va être transformé par l’intelligence artificielle, nos façons d’exercer nos missions vont devoir être revues elles aussi.
Est-ce une menace ? La réponse politiquement correcte est : non, il va juste falloir se préparer à de nouveaux modes de fonctionnement. C’est vrai. Mais ce « juste » est très difficile à anticiper et à dépasser pour nombre de collègues qui peuvent être légitimement inquiets sur leur avenir par rapport à leurs compétences actuelles.
Ça donne à évaluer quels métiers sont les plus menacés
Tous les métiers vont être modifiés par la généralisation de l’intelligence artificielle. Pour certains c’est à la marge. Pour d’autres, cela va plus s’apparenter à un remplacement poste pour poste. Du côté du service communication, les journalistes et community managers, chargés de rédiger des articles et posts à partir des contenus techniques fournis par leurs collègues des services, ont des soucis à se faire. Des programmes sont déjà en mesure de rédiger des contenus informatifs.
Les agents de surveillance de la voie publique (ASVP), chargés de contrôler le paiement du stationnement, commencent déjà à être remplacés par des véhicules qui lisent les plaques des véhicules, les rapprochent de la liste de ceux qui ont réglé leur stationnement, et dressent des forfaits de post paiement pour ceux qui ont oublié de s’acquitter de leur redevance. Les archivistes, une fois qu’ils auront numérisé tous leurs fonds, fondront à leur tour...
Citons les agents des finances et comptabilité. Nonobstant le fait que, même si on dématérialise aujourd’hui les paiements, la trésorerie nous demande d’en pointer le récapitulatif, les tâches liées au traitement des factures vont être parmi les plus faciles à soumettre aux robots. Les factures vont être déposées directement sur le portail Chorus, ensuite le rapprochement sera automatique…
Cela commencera par les opérations comptables, mais cela ira plus loin dans l’analyse selon le Journal du Net. « L'intelligence artificielle peut s'intéresser à la modélisation du raisonnement d'un humain lorsqu'il analyse des données ou évalue une situation. Comment un expert-comptable comprend-il et analyse-t-il un bilan financier ? Les logiciels d'édition de bilan calculent déjà depuis longtemps les variations d'une valeur (production par exemple) d'une année sur l'autre, mais on peut imaginer qu'en décomposant toutes les étapes du raisonnement d'un expert-comptable, on puisse parvenir à créer un logiciel qui lance des alertes lorsque la trésorerie d'une société évolue de façon anormale, qui détecte les produits les plus rentables d'une entreprise ou qui formule des recommandations en matière de politique de rémunération en fonction de la décomposition et de l'évolution de la masse salariale. Sur le papier, comme c'est souvent le cas, le potentiel est là, dans la pratique les modèles d'analyse de ce type sont souvent insuffisamment élaborés pour reproduire les finesses du raisonnement humain. Mais les modèles évoluent. »
Les gestionnaires de ressources humaines devraient être dans une situation comparable. Action compilant des mécanismes (très) complexes mais répondant à des règles définies, l’établissement de la paie va rentrer rapidement dans le champ de l’intelligence artificielle. Même avec la retenue de l‘impôt sur le revenu à la source.
Autre mission mais même logique, les agents instructeurs d’urbanisme par exemple suivront la même direction : est-ce que le projet de permis de construire répond en tous points aux règles du plan local d’urbanisme, au code de la construction et autres… C’est déjà compliqué pour un humain de s’y retrouver… cela le sera moins pour une intelligence artificielle. Le même raisonnement prévaut pour toutes les tâches de vérification de la bonne adéquation entre un texte quel qu’il soit et les multiples textes de loi afférents.
Dans un autre domaine, les agents d’accueil, surtout téléphonique, devraient se raréfier. D’ores et déjà, le Journal du Net nous apprend que « les chatbots rentrent actuellement dans la catégorie des simples automates dans la mesure où aujourd'hui ils sont capables essentiellement de qualifier le besoin de l'internaute par une série de questions "entonnoirs" et d'y apporter des réponses standards. Les chatbots automatisent l'accueil des internautes plus qu'ils ne sont capables de tenir des conversations. » Avec l’intelligence artificielle et son caractère auto-apprenant, les demandes de premier niveau, répétitives, seront de mieux en mieux maîtrisées par des robots au téléphone dont la voix sera parfaitement compréhensible, voire personnalisable selon l’interlocuteur.
En interne, les agents du support informatique chargés de renseigner leurs collègues pour une meilleure utilisation de leurs solutions logicielles (« Roger, j’ai un truc qui merde sur mon PC, ça ne marche plus ») seront aussi remplacés par des robot qui donneront la bonne réponse au téléphone (pour peu que le problème ait été bien identifié, pas forcément évident cf exemple précédent) ou prendront directement la main sur votre ordinateur.
On pourrait se dire que les métiers du social n’ont rien à craindre, puisque les ordinateurs n’ont pas de coeur. Mais quiconque est un peu de la partie sait que, derrière l’écoute bienveillante, se cache la codification, le fait de voir si la difficulté, les besoins, rentrent dans les cases qui permettent l’ouverture des droits. Une intelligence artificielle pourra le faire très rapidement, et donner une réponse - froide et sans affect- dans un délai dont l’administration pourra se féliciter. Il faudra cependant définir les critères en amont bien sûr et exercer un contrôle ensuite sur la véracité des renseignements transmis.
Même le médecin du travail peut s’inquiéter. C’est moins préoccupant voire rassurant car on a du mal à en trouver ! Le rendez-vous plus ou moins régulier risque de se transformer en un long moment d’analyses très complètes, que l’on soumettra au programme adapté qui croisera ces caractéristiques avec les millions de cas déjà disséqués, pour pouvoir prédire statistiquement les risques liés aux constatations établies.
Ça donne à s’inquiéter pour les collègues qui exercent ces métiers
Alors pour tous ces agents, il va falloir faire autre chose, forcément. Ou plutôt, il va falloir le faire autrement, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle justement. Rien ne sert de vouloir lutter sur le même terrain, le combat serait perdu d’avance. Mais bonne nouvelle : depuis son apparition sur la terre, l’homme ne cesse de s’adapter à des situations nouvelles en s’appuyant sur son intelligence à lui, l’intelligence naturelle. Ainsi, nous verrons dans une prochaine chronique que l’être humain va devoir mobiliser ses différentes formes d’intelligence, celle du geste, celle de l’esprit pour se concentrer sur les missions que l’intelligence artificielle fera moins bien, ou pour plus cher, ou ne peut pas faire… pour le moment.
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