Je me passerai de vos commentaires
Zones de guerre, foires aux trolls, réceptacles à insultes, règlements de compte à OK Corral… Les espaces dédiés aux commentaires en ligne des titres de presse n’ont plus le vent en poupe. Ce serait plutôt marche arrière toute ! Et cela s’aggrave pour la qualité de l’info en ligne avec l’émergence des « faits alternatifs » et autre « post-vérité ». Tentative d’analyse.
Par Marc Cervennansky - @cervasky
De plus en plus de sites web de médias ferment les zones dédiées aux commentaires dans leurs articles. Trop de dérives, trop de propos haineux, qui font fuir les lecteurs soucieux d’une information et d’un débat de qualité.
La presse en ligne semble bien désemparée face à ce phénomène. Le journal L’Union a publié un « mur de la honte », compilation des pires commentaires reçus. Sud Ouest ferme systématiquement les commentaires des sujets potentiellement polémiques. En Norvège, un titre de presse public tente une alternative intéressante : ouvrir les commentaires aux lecteurs filtrés par un questionnaire vérifiant qu’ils ont bien lu l’article avant de donner leur opinion.
Pourtant, l’interactivité d’internet constitue une plus-value certaine : solliciter l’avis des lecteurs, c’est pouvoir déceler d’éventuelles erreurs, enrichir l’information, ouvrir des débats constructifs et contradictoires. Hélas, l’info à trois voix initiée en son temps par Rue89 – journaliste, expert, internaute – a fait long feu.
Avec son smartphone, tout le monde est prêt à dégainer
Pourquoi ces dérives dans les commentaires, que ce soit sur les sites internet ou les réseaux sociaux ? Chez soi, dans la rue, dans les transports en commun, aujourd’hui tout le monde a un smartphone en main, prêt à dégainer sur tout et n’importe quoi, n’importe quand et n’importe où.
Chacun devient potentiellement un média. Il est facile de publier des commentaires sans réfléchir aux conséquences de ses actes, se croyant protégé derrière l’apparente immunité de son écran.
Et pour nous communicants publics, il s’agit également de bien réfléchir avant de réagir dans l’instant à certains commentaires, d’une évidente mauvaise foi, qui nous hérissent le poil sur Facebook. Aller boire un petit café avant de répondre peut être bienvenu.
Si peu de sites web de collectivités ouvrent leurs pages aux commentaires, ces derniers se sont déplacés sur les réseaux sociaux où les habitants peuvent y aller de leur coup de gueule et donner leur avis éclairé sur l’emplacement du feu tricolore installé il y a peu dans leur rue.
Information émotion... informémotion ?
Mais n’oublions pas qu’à l’origine, les réseaux sociaux ont bien pour vocation de partager de l’émotion, du lien entre des individus. La nouvelle stratégie de Facebook de devenir le web à part entière crée forcément de la confusion dans les esprits. Information, émotion… informémotion ® ?
Ce phénomène des commentaires parfois nauséabonds se voit amplifié par l’apparition des « fake news » ou faits alternatifs, tristement popularisés par le président américain Donald Trump.
Alors que la défiance vis à vis du politique et des médias n’a jamais été aussi élevée, la vérité est devenu une opinion comme une autre. La véracité d’une information devient secondaire au détriment de l’émotion qu’elle suscite.
Observable et incontestable, la course effrénée à l’audience d’une presse aux abois se fait au détriment de la qualité de l’information. Hyper connexion, saturation de l’espace médiatique, la durée d’attention des citoyens est de plus en plus courte.
Il s’agit de parler vite et fort pour capter le peu d’audience que le lecteur est prêt à vous accorder. Ici l’émotion prime souvent sur la réflexion. Je vous renvoie vers ma chronique sur ce sujet, il y a tout juste un an.
Donald Trump Super Troll
Le président de la première puissance mondiale l’a testé dans ses tweets et ses discours avec succès : plus c’est énorme, plus ça passe. Ce que certains nomment « post-vérité » n’est pas nouveau. En d’autres temps, médias et hommes politiques nous ont vendu une guerre en Irak en exhibant le danger d’armes chimiques qui n’ont visiblement jamais existé.
La nouveauté c’est le fait d’assumer des mensonges avec désinvolture et sans honte. Donald Trump est devenu sur Twitter le super troll. Et plus proche de nous, certains hommes politiques n’hésitent plus non plus à affirmer publiquement des énormités, sans qu’elles soient forcément relevées par des journalistes devenus des « passe-plats » médiatiques.
Est-ce que viendrait le règne d’une information « pseudo-libre » qui caresse le lecteur dans le sens du poil, au détriment d’une information institutionnelle, qui suscite défiance et rejet ? Enfermés dans notre bulle, l’information sélectionnée par les algorithmes nous conforte dans nos propres opinions et nous ne croyons que ce que nous avons envie de croire.
Entendre ce que nous n'avons pas toujours envie d'entendre
Quel impact cela a t-il sur la communication publique ? Notre relation aux usagers en est-elle affectée à plus ou moins court terme ?
Nous prenons parfois des pincettes pour expliquer certaines politiques publiques. Il s’agit de ne pas provoquer la colère des habitants détenteurs d’un bulletin de vote pour les prochaines échéances électorales.
Vouloir occulter certains faits, c’est se couper de la réalité et renforcer la défiance. Notre mission est de valoriser les politiques publiques décidées par nos élus, susceptibles d’être critiquées, dénigrées. Mais il faut être capable d’entendre ce que nous n’avons pas toujours envie d’entendre.
« Il faut reconnaître l’utilité de l’autre », déclarait Laurent Riera, directeur de la communication de Rennes et Rennes Métropole, en échangeant sur ce sujet de la participation citoyenne.
C’est un enjeu démocratique d’importance, à la veille d’échéances électorales sous tension. Garantir et accompagner des échanges constructifs avec nos concitoyens, il en va de la crédibilité et de l’avenir de la communication publique.