« La déontologie trace les frontières de votre profession »
Stéphane Manson, professeur de droit public, porte un regard de juriste sur la déontologie de notre métier. Alors que la communication publique voit exploser les infox, les manipulations de l’information et la propagande, elle se rappelle que l’éthique repose sur des valeurs collectives et induit des comportements individuels. Mais peut-on passer des principes à l’application d’un droit ?
L’éthique de notre métier revient plus fortement à l’ordre du jour. La méfiance citoyenne envers l’information, le renouvellement des élus, depuis les élections de 2020, demandent de redonner des repères aux communicants publics. La menace de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, exprimée notamment dans une tribune de l’infolettre Point commun, fait craindre une communication publique utilisée à des fins de propagande. Et les élections municipales – le directeur du département opinion à l'Ifop, Jérôme Fourquet, l’a récemment expliqué aux communicants publics – se traduiront certainement par de nombreuses gouvernances locales RN.
Stéphane Manson, professeur de droit public, de droit des collectivités territoriales, vice-président de l'université de La Rochelle, ancien élu local de 2008 à 2014 et auteur de L'Opposition dans les assemblées locales, est venu devant les communicants publics pour aborder « depuis le rivage du droit, avec les outils, avec les méthodes du droit » la question de l’éthique du métier. Le premier avertissement du juriste est de prendre en compte la complexité qu’il y a à distinguer éthique, déontologie, droit et morale. De grands auteurs éminents, comme Paul Amselek ou Bernard Beignier, ont eu des regards complètement différents.
Ce que nous pourrions essayer de retenir, explique Stéphane Manson, c’est que l'ordre de la morale propose des réponses, cela peut être une morale sociale, une morale individuelle, là où l'ordre de l'éthique est plutôt de nature à suggérer des questions. Et la déontologie suggérerait des questions auxquelles un groupe particulier d'individus serait dans la capacité d'apporter des réponses, des réponses tirées d'une pratique professionnelle.
Dès l'origine de Cap’Com, il y a trente-cinq ans, les questions d'éthique se sont posées. Une charte éthique, dite charte de Marseille, travaillée au sein du réseau, a été publiée en 2002. Depuis cette charte, qui reste d’actualité, les questions éthiques ont été régulièrement débattues au sein de la profession, notamment lors des Forums Cap’Com (en 2014 avec Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de philosophie de Paris-Sorbonne, en 2018 autour de Catherine Husson-Trochain, magistrate et déontologue). Cette année, un groupe de travail « éthique » s’est constitué au sein du réseau des communicants publics. Il a engagé son travail en auditionnant des experts.
La déontologie se traduit en règles juridiques
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la déontologie tend à se transformer en règle juridique. Le droit a tendance à progressivement s'approprier les règles de déontologie, qui ont pour vocation à devenir des règles de droit.
Il reste que la déontologie identifie une unité professionnelle, une unité sociologique. Elle contribue à tracer, avec d'autres éléments, les frontières d'une profession. C'est le cas pour les professions libérales, médicales, les métiers du droit, mais c'est aussi aujourd'hui de plus en plus fort pour bien d'autres secteurs professionnels. Car c’est l'un des traits d'identité d'une profession.
La déontologie dans le droit de la fonction publique
C’est à compter du début des années 2010 que les règles déontologiques ont commencé à se traduire dans le droit de la fonction publique. La loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique fut l'un des premiers grands textes relatifs à la sphère publique qui évoquent explicitement la notion de déontologie. Des déontologues, des commissions, sont aussi apparus dans les institutions, comme la Haute Autorité de transparence de la vie publique ou l'Agence française anticorruption. La déontologie progressait dans l'État du droit.
Il est certain qu’en introduisant la notion de déontologie au sein des normes applicables aux agents publics, l’objectif était d’abord de faire passer un message auprès de la société, auprès des citoyens, auprès des administrés, en leur disant que les agents publics, les fonctionnaires, sont désormais astreints à de véritables devoirs déontologiques. « Est-ce que sur le fond, cela a bouleversé les choses ? se demande Stéphane Manson. Vous vous doutez bien que non, c’est un gadget politique, probablement, oui, mais cela se réfère quand même à des règles qui étaient non dites. » Il existe donc aujourd'hui une véritable déontologie de la fonction publique, une conception tout à fait particulière qui diffère des règles déontologiques applicables aux professions de la sphère privée.
Dans ce cadre, quelle peut être la déontologie des communicants publics ? Rappelons d’abord une chose, insiste notre professeur de droit : « Les communicants publics peuvent avoir des chartes, des guides éthiques publiés sur des sites, cela montre qu’ils forment une profession organisée autour d'un certain nombre de devoirs. Mais tant que le droit ne s'en empare pas, ces règles ne seront pas des règles opposables au sens où le droit l'entend, sanctionnables par les juridictions de l'État. »
Les trois piliers de la déontologie
La déontologie publique tourne autour de ces trois piliers, selon Stéphane Manson : l’intégrité, l’obéissance et la liberté d'expression.
L’intégrité renvoie à plusieurs notions. La dignité, dont on parle de plus en plus. L’exemplarité, que l’on voit apparaître de plus en plus souvent dans la jurisprudence. L'irréprochabilité : il faudrait que les professionnels, quels qu'ils soient, sous l'égide de leur déontologie, soient irréprochables. Et l’intégrité renvoie à des questions relatives à l'impartialité des agents publics, et à la probité et à des questions de loyauté. La loyauté, que certains considèrent devoir appeler le loyalisme, est l'idée que l'agent ne doit pas dénigrer sa propre institution. « Il y a là un vaste débat. »
Du côté de la notion d'obéissance, deuxième ingrédient de la déontologie des agents publics, la question est celle de la limite de ce principe. « Tous les agents publics ne sont pas strictement soumis aux principes d'obéissance, et fort heureusement c'est le cas des universitaires notamment, et pourvu que cela dure ! »
Dans les faits, le droit administratif développe, depuis 1944, un devoir de désobéissance. Pas un droit, mais bien un devoir de désobéissance. Le fonctionnaire ou l'agent public doit s'y conformer lorsque l'ordre qu'il reçoit est manifestement illégal et de nature à compromettre le fonctionnement d'un service public. Ce sont deux conditions cumulatives.
Enfin, troisième principe des obligations déontologiques des agents publics : les devoirs liés à l'expression, avec évidemment toute une série de limites connues des communicants publics parce qu'elles sont en lien très direct avec l'exercice de leurs fonctions. Ces limites à la liberté d'expression personnelle de l'agent tiennent d'abord à la confidentialité, qui s'impose à tout agent public, quelle que soit sa position. La confidentialité peut prendre deux formes : le secret professionnel pour certains agents, et la discrétion professionnelle pour la majorité des autres. Manquer au secret professionnel, c'est un délit pénal ; manquer à une obligation de discrétion professionnelle, c'est une faute disciplinaire, ce qui n'a pas évidemment la même dimension.
Protéger les communicants publics
« J'ai l’impression que les règles déontologiques s’adressent davantage à l'agent public qu'à son employeur. Nous pouvons disposer d’une charte déontologique qui s'applique aux communicants publics mais qu'est-ce qui peut permettre de les protéger ? J'ai le sentiment qu’il y a plutôt des devoirs qui s'appliquent aux communicants publics et que globalement ils les respectent. Mais confrontés à une situation politique conflictuelle, compliquée, qu’est-ce qui permet de protéger le communicant public, notamment dans l’exercice de son devoir de désobéissance ? » Philippe Lancelle, animateur du groupe de travail « Éthique » de Cap’Com.
« Pour aller jusqu'au bout de l'ambition qui sous-tend notre déontologie, il faudrait qu’elle s'apparente à une règle de droit. Pour les communicants publics, ce qui paraît le plus intéressant et le plus important, c'est que certaines attitudes, certaines limites, certains refus de quelqu'un qui est fonctionnaire contractuel, puissent s'appuyer sur des règles déontologiques partagées pour être opposables à des tiers, en termes hiérarchiques, sur le plan administratif mais aussi face aux élus. » Dominique Mégard, ancienne déléguée générale de Cap’Com.
Les principes fondamentaux du service public
« S'il fallait conclure – mais en droit nous avons coutume de ne pas conclure car les choses ne sont évidemment jamais closes –, je dirais que l'éthique et la déontologie publiques sont liées de très près à la garantie des valeurs fondamentales du service public », estime Stéphane Manson. Ces principes fondamentaux du service public sont identifiés très clairement, ce sont les principes d'égalité, c'est-à-dire l'égalité des usagers du service public devant le service lui-même, et l'égalité des agents entre eux. C'est le principe de continuité de l'action administrative, du fonctionnement normal du service public. Et c’est le principe de mutabilité de l'action administrative, qui, pour répondre à l'intérêt général, conduit les missions publiques et les politiques publiques à sans cesse devoir s'adapter.
Mais n’oublions jamais, insiste Stéphane Manson, que les réponses apportées par le droit sont souvent assez décevantes. « Le droit est bien loin d'apporter toutes les réponses aux questions fondamentales que fort heureusement les communicants publics se posent. »
La question de la séparation des pouvoirs dans les collectivités locales
L'organisation du pouvoir municipal, nous rappelle Stéphane Manson, est aux antipodes de ce qu'on pourrait appeler une séparation des pouvoirs. Le maire est le président de l'assemblée délibérante et il est aussi l'autorité exécutive de la collectivité, c'est-à-dire qu'il est chargé d'appliquer les délibérations qui sont adoptées par son organe délibérant, par son conseil municipal. « Imaginez que le Président de la République soit également le président du Sénat et de l'Assemblée nationale ». De plus, le maire est aussi le chef de la majorité municipale. C'est la tête de liste et les conseillers municipaux de la majorité sont priés très régulièrement de ne jamais oublier qu'ils lui doivent leur élection. Ajoutez à cela que le maire est le chef de l'administration locale et agent de l'État pour un certain nombre de compétences (par exemple l'organisation des élections). Cinq compétences sont ainsi cumulées par une seule et même autorité. Parler de séparation des fonctions - sans même parler des pouvoirs - au sein des collectivités territoriales, est une hérésie. Et tant qu'on ne changera pas, on restera dans le même malentendu. Le champ local, dans la tradition française, c'est de l'administration, l'exécution de la loi. D'où l'idée qu'il n'y a pas besoin d'appliquer de séparation des pouvoirs : « Ce n'est pas de la politique, c'est de l'administration. » Mais dans la réalité, c'est devenu de la politique, et cette confusion-là explique, qui irrigue de multiples aspects de la vie locale, peut expliquer la complexité de la position des communicants publics.
Pour en savoir plus sur l’éthique des communicants publics