La marque employeur public, un nouveau leurre ?
Il souffle sur le monde du travail des vents nouveaux, pas forcément porteurs de bonnes nouvelles. « Big quit » (ou « grande démission »), interrogations sur le sens du travail, rapport à la hiérarchie ou à l’autonomie… Autant de sujets qui touchent le secteur privé, mais frappent aussi le secteur public qui peine tant à recruter. Alors, la notion de « marque employeur » s’est immiscée dans les esprits. Bonne ou mauvaise nouvelle ? S’il s’agit d’une réinterrogation sincère du management public, ce sera certainement salutaire. Si c’est juste le Botox d’une fonction publique territoriale défraîchie, cela le sera nettement moins.
Par Marc Thébault, consultant en attractivité territoriale et communication publique, ancien responsable de la mission attractivité territoriale de Caen-la-Mer.
À la fin du XXe siècle, dans nos collectivités territoriales, la communication était un peu la panacée. Ce champ d’action pouvait se mêler de tout et être interpellé sur tout, car il avait forcément le bon « truc » pour faire passer diverses pilules (« Vous qui êtes un spécialiste de la communication, dites-moi comment... »). De la couleur des camions-bennes à la forme des réverbères, en passant par les jeux pour enfants dans les squares ou les goodies distribués aux repas du 3e âge, en plus de leurs missions de base, les dircoms étaient sursollicités, mais, il faut le reconnaître, assez flattés. Puis, la raison l’a emporté, la communication publique a trouvé sa juste place, ni trop loin, ni trop près des autres compétences publiques, et en équilibre (certes parfois instable) entre les élus et l’administration.
De son côté, le marketing territorial a, en quelque vingt années, gagné en visibilité et en niveau de priorité. Mais, lui aussi a pu être la victime (consentante ?) de certains amalgames, puisqu’il serait concerné autant par le développement économique ou le tourisme que par l’aménagement urbain, la revitalisation des centres-villes, le calendrier événementiel, les pistes cyclables ou les menus des cantines. Là encore, faisons confiance au temps, le marketing territorial finira, lui aussi, par tracer son sentier pertinent.
La « marque employeur public », la nouvelle lubie de nos institutions ?
Mais, désormais, je crains que la « marque employeur public » ne soit la nouvelle lubie de nos institutions, tant les promesses de ce concept, si apprécié du secteur privé, font écho à de cruciales préoccupations des collectivités en termes de recrutement ou de fidélisation des agents, pour ne parler que de cela. Avertissement : aimant retomber dans mes travers, je risque d’avoir la main lourde et de forcer un rien le trait dans la suite de ce billet. Vous êtes prévenus.
Comme en son temps la communication, ou comme plus récemment le marketing territorial, la « marque employeur public » me semble n’être souvent envisagée que comme un remède miracle, apte à répondre à tous les problèmes actuels, principalement pour les directions des ressources humaines. Impression renforcée par l’inflation du nombre de nouveaux experts de la question.
Que l’on se comprenne bien, demander à un employeur public de se poser pour réfléchir et analyser ses faiblesses, ses atouts, son mode managérial et les valeurs qui le sous-tendent, sa politique de rémunération, son organisation hiérarchique et sociale, sa vision de ses agents, ses processus décisionnaires, etc. est tout à fait salutaire. Que les collectivités publiques saisissent qu’elles sont en concurrence entre elles pour attirer des talents, notamment lorsque certains métiers sont dits en tension, est une prise de conscience indispensable. Qu’un pont soit tendu vers les arguments de l’attractivité territoriale est forcément une bonne idée, les institutions publiques n’étant pas hors-sol et devant s’appuyer sur les avantages de leur territoire pour renforcer la plus-value de leurs offres d’emploi.
Si cette stratégie n’est en fin de compte qu’un clinquant artifice cosmétique, qu’un décor de carton-pâte ou qu’une aveugle reprise des arguments à la mode, alors le mur et l’impact vont arriver très vite.
Pour autant, si cette stratégie n’est en fin de compte, là encore comme a pu l’être la communication ou le marketing territorial, qu’un clinquant artifice cosmétique, qu’un décor de carton-pâte cherchant à dissimuler quelques gravats et à glisser sous le tapis une poussière peu glorieuse, ou qu’une aveugle reprise des arguments à la mode utilisés par toutes les collectivités, alors le mur et l’impact vont arriver très vite. Et ce sera violent.
Ce qui rend vraiment attractif, c’est la qualité du vécu au quotidien
Depuis une poignée d’années, les acteurs et analystes des politiques publiques d’attractivité sont tombés assez vite d’accord pour déclarer qu’il fallait absolument sortir de la croyance que la promotion d’un territoire consistait à correspondre le plus possible au portrait-robot du territoire idéal et fantasmé par les cibles visées. Le mythe du « massif exode urbain post-Covid » ayant sacrément remis cent balles dans la machine ! Or, la réalité prouve régulièrement qu’un territoire n’est attractif que si ses habitants y sont heureux, ont envie de le dire et sont prêts à accueillir de nouveaux venus. La stratégie d’attractivité consiste alors à révéler ce qu’est le territoire, bien sûr dans ses aspects les plus positifs, et à dévoiler en quoi ses propositions pourront être perçues comme ayant une valeur supérieure à celles d’autres territoires. L’ensemble s’appuyant, c’est une évidence, sur la réalité du territoire : sa culture, ses modes de vie, les services proposés, les valeurs collectives, sa géographie, son histoire, etc. Et, je le disais, sur la qualité du vécu des habitants. En somme, et cette formule n’est pas de moi, « il faut révéler l’endogène pour séduire l’exogène ». Le reste n’est que de l’habillage publicitaire.
Si la « marque employeur » se contente de ravaler une façade branlante, sans être le point de départ d’une réflexion et d’une introspection collectives, elle est et restera un clystère sur une jambe de bois.
Si, de son côté, la « marque employeur » se contente de ravaler une façade branlante en ne se souciant pas de la réelle solidité des fondations et des murs, si elle n’est pas le point de départ d’une réflexion et d’une introspection collectives, ne serait-ce que sur les conditions de travail réelles et sur le management actuellement déployé, elle est et restera un clystère sur une jambe de bois. Si elle n’est qu’un simple fond vert sur lequel sera incrustée une réalité uniquement virtuelle, la déception va être terrible. Car, comme ses résultats ne seront pas, dans ces conditions, à la hauteur des attentes, elle sera rapidement décriée, puis abandonnée. Et il ne le faut pas. En effet, mettre en place une stratégie « marque employeur public » est crucial pour réinterroger tous les mécanismes internes. Ils en ont besoin, est-il nécessaire de le rappeler ?
La démarche employeur public suppose une révolution culturelle et systémique
La « marque employeur » ne peut se résumer à l’unique gestion de « l’image de marque », de la réputation. Vous l’avez bien pressenti, seule une véritable révolution, culturelle et systémique, peut apporter pertinence et bien-fondé à une telle démarche. Et cette révolution passe par le courage d’analyser sa réalité et celui de prendre des décisions fortes pour l’améliorer et la faire correspondre aux nouvelles attentes.
Car, tant que l’on proclamera que l’on recrute celles et ceux dont les candidatures « sortent du lot » pour que, sitôt l’embauche faite, on leur demande illico de « rentrer dans le moule », inutile de perdre du temps à détailler de précieux « soft skills » dans les fiches de poste. Vous ne voulez pas d’originalité ou de créativité, vous voulez de la servilité.
Tant que l’on pensera que « l’ambiance de travail » n’est qu’une option, à la limite de la démagogie, c’est que l’on perpétuera la croyance que les fonctionnaires (et les contractuels) ont déjà bien de la chance d’avoir un emploi public, et que cela ne rime pas avec tournoi de pétanque ou pique-nique collectif. Déjà qu’ils sont à peine aux 1 607 heures… En somme, tant que l’on pensera que l’objectif de chaque fonctionnaire est d’en faire le moins possible, on ne sera pas sorti des ronces !
Tant que l’on misera tout sur l’obéissance muette, sans se soucier des moyens mis à disposition, sans ouvrir une véritable participation, sans permettre un minimum d’autonomie de décision (vous les connaissez aussi, les circuits de parapheurs à trois ou quatre niveaux de signature ?), on sera dans le mal. Si l’on n’œuvre pas à la construction d’un esprit collectif, d’une véritable envie d’être et de travailler ensemble (j’allais parler de fierté), et si l’on ne donne pas envie et occasion aux agents de recommander leur collectivité, on ne gère pas une entreprise publique moderne, mais une bergerie. Pour mémoire, lu dans La Gazette : « Seulement la moitié (des agents en poste – ndlr) recommanderait d’exercer dans une collectivité et encore moins (36 %) dans la leur. Peut-être parce que plus de la moitié des agents n’ont pas le sentiment qu’elle est à l’écoute de leurs besoins ? »
À l’heure où le secteur marchand se prend le chou à tenter de se doter d’une « raison d’être », le secteur public a, lui, cet incroyable avantage d’avoir une raison d’être naturelle, l’intérêt général.
Tant que l’hégémonie du cadre financier sera le seul prisme (avec les processus de strict contrôle qui vont avec) et que l’on oubliera de remettre au cœur des décisions les notions de « service public » ou « d’intérêt général », alors inutile de parler du « sens du travail ». Dieu sait pourtant que, à l’heure où le secteur marchand se prend le chou à tenter de se doter d’une « raison d’être » crédible et dans l’air du temps, le secteur public a, lui, cet incroyable avantage d’avoir une raison d’être naturelle, inscrite au plus profond de son ADN.
Tant que l’on considérera que la notion de « reconnaissance du travail accompli » est une coquetterie pour salariés fragiles, on oubliera les niveaux de salaire peu glorieux. Pour mémoire : « 71 % des agents ne sont pas satisfaits de leur rémunération. C’est de très loin le premier motif d’insatisfaction des personnes en poste dans la fonction publique territoriale » (source La Gazette). On omettra également des perspectives d’évolution peu enthousiasmantes – notamment lorsque l’on est contraint de quitter sa collectivité pour avoir une promotion – et un carcan statutaire d’un autre âge. On oubliera, enfin, qu’il faut parfois savoir verser d’autres compléments de salaires, même des symboliques, même des immatériels.
Savoir sortir du cadre et placer la communication interne à un haut niveau stratégique
Tant que l’on ne touchera pas au postulat que les ressources humaines sont contraintes par un cadre législatif strict, interdisant toute initiative, on renoncera au devoir d’expérimentation au service d’un management plus en lien avec son temps. Il y a quelques jours je relayais le fait que la mairie de Saint-Ouen (93) était la première de France (à vérifier néanmoins, visiblement certaines auraient déjà pris cette initiative) à accorder des « congés menstruels », sans journée de carence, pour ses employées souffrant de règles douloureuses ou d’endométriose. Dans les commentaires à ce post, quelqu’un d’un service RH demandait quelle était « la base légale de la création de cette autorisation spéciale d’absence » ? J’ai eu envie de répondre qu’il convenait de se battre les steaks de cette « base légale ». Mais je ne l’ai pas fait.
Enfin, tant qu’on ne placera pas la communication interne à un haut niveau stratégique, pour lui permettre d’abandonner le simple rôle de « voix de son maître » de la DGS ou des RH, et lui donner les moyens et la mission officielle de construire une stratégie d’écoute et de fédération des agents comme du partage d’un projet commun et co-construit, rien n’avancera.
Vous avez, je l’espère, compris mon propos : si la démarche « marque employeur public » se résume à s’acheter une virginité à grand renfort de plateformes web, de belles photos, de grands slogans et d’éléments de réclame, oubliez tout de suite. Le chemin que je propose d’emprunter est introspectif et collectif, donc long et, forcément, parfois douloureux. C’est pourtant la seule condition d’une congruence, d’un alignement parfait entre discours, actes et vécu. C’est l’unique voie possible pour que la réalité ne détruise pas d’un claquement de doigts la fiction dessinée dans les supports promotionnels. Nougaro chantait « le moment fatal où le vilain mari tue le prince charmant ». Une autre manière, plus poétique, de dire que l’expérience de la confrontation des attentes, forgées par les promesses délivrées, avec la réalité est un juge redoutable.