La participation citoyenne : oui, mais
La concertation, les citoyens la réclament, les communicants la plébiscitent. Et alors ? Le moment n’est-il pas venu de passer au crible cette démarche et de trouver le chemin entre l’anathème et la dévotion ?
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Lors du récent Forum Cap’Com, le « Grand Débat » intitulé « Agir pour une gouvernance plus ouverte de nos institutions et de nos territoires » s’est traduit par une double et ardente démonstration de l’utilité, l’urgence même, de poursuivre le déploiement de la démocratie participative. Pour Judith Ferrando, coprésidente de l’Institut de la concertation, et Aurore Bimont, coprésidente de l’association Démocratie ouverte, c’est la voie royale pour régénérer la relation fatiguée, désabusée ou coupée, entre élus et citoyens.
Les communicants publics semblent aller dans le même sens, à en juger par l’étude du cabinet Occurrence sur le bilan de la mandature, dressée par 113 dircoms, enquête également présentée lors du Forum. 89 % d’entre eux estiment que la participation des citoyens contribue à un meilleur déroulement du mandat (55 % « oui, plutôt », 34 % « oui, tout à fait »). Résultat massif, comme si la nécessité de concerter était désormais une évidence, presque une banalité. Qu’en pensent les citoyens ? L’étude « Comment les Français perçoivent-ils la démarche de concertation citoyenne ? » nous apporte un éclairage (1). Voici les principaux chiffres.
- Pensez-vous que la société puisse changer en concertation ? « Oui » : 59 % (moins de 35 ans 66 %).
- Souhaitez-vous être acteur de la transformation de la société ? « Oui » : 74 % (« Pourquoi pas » 58 % ; « Beaucoup » 16 %).
- Avez-vous déjà participé à une concertation ou à un débat public, quel que soit le mode de participation (registre en mairie, réunion publique, Internet) ? « Jamais » : 72 %.
- Les participants à une concertation ou à un débat public estiment que ces procédures étaient utiles (48 %), crédibles (52 %), sincères (55 %), légitimes (80 %).
Cette étude confirme les attentes des citoyens… et les progrès à accomplir pour étendre et crédibiliser les concertations. Dans ses formes plus ou moins exigeantes, la démocratie participative semble bien installée. Elle est dans l’air du temps. On y voit désormais la réponse d’aujourd’hui à une défiance ancienne à l’égard des élus, qui mine depuis longtemps la démocratie. Du coup, on la met à toutes les sauces, bien mitonnées ou traficotées. Cependant on connaît la recette qui différencie la gastronomie de la tambouille. Principaux ingrédients : une information roborative sur le sujet en débat, un dispositif d’écoute qui incite à rester autour de la table, une restitution des points de vue aux petits oignons, une présentation des décisions des élus, positives ou négatives, qui donne bon goût à la démocratie.
Notre hostilité ne s’exprime pas à l’encontre de la démocratie participative, mais de sa sacralisation.
Guy Lorant
Mais, moins que la manière, c’est le statut que l’on donne à la concertation qui interroge. Des emballements, on en a vu dans notre métier, comme le storytelling, dont on ne parle plus guère, ou le QR code, qui semble en voie d’effacement. Je vous fiche mon billet qu’il ne va pas tarder à en être de même avec le nudge. Ce sont des techniques, des méthodes, pas moins, pas plus. Les démarches de concertation ont une plus ample ambition. Toutefois, elles me semblent menacées d’être considérées comme les réponses universelles aux problématiques de communication institutionnelle, mais, plus encore, comme un monument indépassable. Un peu de recul ne nous fera pas de mal. L’ancien directeur de la communication de Nantes, Guy Lorant, nous y incite. Il décortique le phénomène, avec intérêt et exigence : « Notre hostilité ne s’exprime pas à l’encontre de la démocratie participative, mais de sa sacralisation. »
Allons à l’essentiel. Avant d’être bien placée dans la panoplie des directions de la communication, la démocratie participative figure – ou devrait figurer – dans le dispositif de gouvernance des élus. Elle doit constituer une des sources du programme politique, mais pas l’unique, ce qui déliterait la citoyenneté en consumérisme. Autre évidence : dans ce domaine comme dans les autres, la légitimité du dircom procède de celle du maire ou du président. La qualité de la concertation résulte de la réalité, l’authenticité et l’honnêteté de la commande politique en la matière. Alors, poussons les feux. La participation : oui ! Mais lucidement.
(1) Étude Codha-ETHICS Group-Colidée réalisée en ligne du 24 au 28 octobre 2019. Échantillon de 1 000 interviews, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, sur critères d’âge, de CSP, de région.