La transparence totale est-elle souhaitable ?
La question de la transparence de l’information publique se pose avec de plus en plus d’acuité, à l’heure où chacun est son propre média. Il n’est pas certain que la transparence totale soit souhaitable, ni même possible, ni ne permette de redonner un peu plus de confiance en notre gouvernement et nos institutions.
Par Sophie Demaison, responsable de communication de la ville de Saint-Maurice-l'Exil.
L’association Communication publique a lancé une série de webinaires en cette année 2021. Dans celui intitulé « À qui se fier pour communiquer ? », le 7 avril dernier, les invités ont évoqué lors de leur discussion la « transparence totale ». Elle permettrait de redonner un peu plus de confiance en notre gouvernement et nos institutions. Pour rappel, les deux intervenants du jour étaient : Antoine Bristielle, professeur agrégé en sciences sociales, chercheur en sciences politiques au laboratoire Pacte, Sciences Po Grenoble, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, et Emmanuelle Bara, directrice de la communication, de l’information et de l’engagement des usagers à la Haute Autorité de santé.
Cette expression m’a interpellée pour plusieurs raisons, mais revenons tout d’abord à la signification de la transparence. D’après le Larousse, c’est une propriété de quelque chose : « Propriété de ce qui est transparent : la transparence de l'eau. Propriété de ce qui est translucide : la transparence d'un papier. Propriété d'un milieu de laisser passer plus ou moins le flux lumineux qu'il reçoit. » Mais c’est aussi la « Parfaite accessibilité de l'information dans les domaines qui regardent l'opinion publique ». C’est bien cette dernière définition qui nous intéresse ici.
En démocratie, il est tout à fait légitime de réclamer la transparence en matière de politique notamment : pourquoi telle décision à tel moment, le cheminement qui a mené à la prendre, etc. Nos politiques se doivent d’expliciter leurs choix devant le Parlement et les citoyens. Une presse pluraliste et indépendante du pouvoir doit le permettre. Cependant, adjoindre le terme de « totale » à « transparence » revêt une autre dimension : rappelons que dans « totalitaire » il y a aussi et surtout « total ». D’abord, pour des questions évidentes de sécurité nationale. Lors de l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, les frères Kouachi s’étaient retranchés dans une imprimerie dans laquelle un salarié était caché. Les autorités le savaient, mais pour le préserver, rien n’a filtré tant qu’il n’était pas en sécurité totale, pourrions-nous dire. On voit ici qu’une trop grande transparence aurait été fatale à cette personne.
Il n’est pas certain que la transparence totale soit souhaitable, ni même possible.
Ensuite, même hors question de sécurité, il n’est pas certain que la transparence totale soit souhaitable, ni même possible. Revenons sur les phases de test des vaccins anti-covid effectués avant leur mise sur le marché. Chaque fois qu’un problème surgissait, il était connu de tous. Or durant les tests, des ajustements sont normaux et font partie du processus de fabrication. En temps ordinaire, les recherches sur les vaccins ne font pas tant couler d’encre, connaissent des déconvenues, des retards, avant d’être finalement lancés, l’essentiel étant de communiquer à ce moment-là : leur fiabilité in fine, leurs effets secondaires et les précautions d’utilisation. On pourrait dire que la transparence est normale et rassure suffisamment les futurs patients.
Dans le cas des vaccins anti-covid, chaque phase a été scrutée, y compris les erreurs éventuelles (mais il n’y a que comme cela que l’être humain progresse !), et les effets secondaires sur les volontaires, effets non définitifs puisque ces vaccins n’étaient pas encore autorisés. La transparence totale ne va-t-elle pas plutôt inquiéter les citoyens qui risquent de s’arrêter sur des données temporaires ? Ne risque-t-elle pas d’alimenter de nouvelles « infox » qui prennent vite de l’ampleur sur le web ?
Une chose est certaine : cette question de la transparence de l’information se pose avec de plus en plus d’acuité, à l’heure où chacun est son propre média grâce aux réseaux sociaux et à l’hyperconnectivité numérique. Quant à la défiance grandissante envers nos institutions, cela résulte d’un dysfonctionnement plus général car quand les contrôles et les contre-pouvoirs jouent pleinement leur rôle, ils contribuent à la transparence de la vie publique.