L'accueil de tournages : une gageure pour les communicants
Notoriété, retombées, image, attractivité : ces mots symboles du marketing territorial se retrouvent dans les propos de ceux qui promeuvent l’accueil des tournages. Nombreuses sont les collectivités qui s’engagent dans la démarche. Attirer des tournages sur son territoire représente une vraie promesse de retombées : 62 % des touristes en France (1) ont été influencés par des images vues dans un film ou une série…
Des succès qui changent les regards et attirent les touristes
Bienvenue chez les Ch’tis et Plus belle la vie sont de véritables figures de proue du phénomène. Le film de Dany Boon a été tourné en 2004 en grande partie à Bergues (3 700 hab.). La petite ville du Nord-Pas-de-Calais a connu un flux de touristes inédit à la sortie du film, qui continue aujourd’hui. Le tournage est mentionné dans l’histoire de Bergues sur le site institutionnel de la commune et l’office du tourisme de la Côte d’Opale propose toujours « un circuit de visite qui permet de faire revivre les trois semaines et deux jours de tournage du film de Dany Boon… ». Sans compter l'évolution de l'image de la région tout entière : même critiqué pour ses nombreux clichés, le film, largement subventionné par la région, a changé le regard des gens sur les terres du Nord.
Autre symbole : Plus belle la vie, dont le tournage a débuté à Marseille en 2004 sur un site de la Belle de Mai, tout neuf et un peu vide alors. Près de 200 personnes (techniciens, acteurs, figurants…) y travaillent aujourd’hui, sans compter les réalisateurs des milliers d’épisodes, et la cité phocéenne a développé une vraie compétence. Les touristes sont nombreux à chercher le quartier du Mistral qui n’existe pas… mais se retrouvent au quartier du Panier qui l’a inspiré. PBLV a même servi de « modèle » pour la série quotidienne de TF1 Demain nous appartient, tournée à Sète par la même société de production. Engouement pour son ambiance particulière, emplois sur le tournage et afflux de touristes font, depuis le succès de la série, le bonheur du maire de Sète.
Car la petite ville du Sud correspondait à ce que cherchait la production : « Il fallait une ville en bord de mer pour faire rêver le public, mais pas une station balnéaire courue type Saint-Tropez, qui aurait empêché l'identification »… C’est ce type d’exigence et d’argument que doit connaître toute collectivité qui souhaite se lancer dans l’accueil de tournages… Car la concurrence est rude sur ce champ tant au niveau national que régional ou local. La France, terre de cinéma, a vu partir de grands tournages ailleurs faute de mesures suffisamment attractives… La revalorisation en janvier 2016 des crédits d’impôt pour la production de films, téléfilms, séries ou documentaires tournés sur le territoire a entraîné un mouvement de relocalisation en France de nombreuses productions comme Au revoir là-haut d'Albert Dupontel ou la série Versailles…
Connaître les bons interlocuteurs
Côté collectivités, comment faire pour attirer sur son sol cette manne que représentent des tournages grands ou petits ? « Il faut au moins une personne dédiée… », explique Christophe Devillers, directeur de l’attractivité de Mulhouse Alsace Agglomération, qui consacre désormais la plupart de son temps à la Mission cinéma lancée par une délibération du conseil d’agglomération en juin 2017. Car si les retombées en termes d’attractivité et de développement local sont importantes, elles ne sont pas le fruit du hasard. Il s’agit d’abord d’apprendre à connaître et détecter les bons interlocuteurs, comme la Commission nationale du film France, dont la mission consiste à promouvoir les tournages et la post-production en France. Film France travaille en réseau avec 41 « commissions », régions, départements ou villes qui ont choisi les tournages comme levier. La plus ancienne (1994) est la Commission du film Rhône-Alpes mais d’autres entités existent, comme le Bureau d’accueil des tournages Bourgogne-Franche-Comté, Languedoc-Roussillon Cinéma – qui compte en ce mois de juin 2019 15 tournages sur son sol – ou Espaces production 47, bureau d’accueil en Lot-et-Garonne, l’un des cinq membres du réseau de la Nouvelle Aquitaine. Ce dernier présente une argumentation en contrepoint pour son territoire : « Le Lot-et-Garonne a la particularité de ne pas être connu pour un paysage spécifique comme ses voisins immédiats. Mais notre département, ancré au cœur de l’Aquitaine, a la singularité de regrouper sur un même territoire des décors très diversifiés et à proximité les uns des autres », avant de présenter en ligne paysages, églises, châteaux et bastides propres à séduire les producteurs. L’intérêt du réseau ? Il est connu du monde du cinéma et de la production audiovisuelle, et fait preuve d’un vrai professionnalisme. Il constitue, du coup, un interlocuteur indispensable pour les initiatives plus locales.
Attirer des tournages : challenge réussi à Mulhouse
Car attirer des tournages est un challenge que villes et métropoles investissent aujourd’hui. La multiplication des œuvres audiovisuelles, proportionnelle au développement des circuits de diffusion et réception (DVD, chaînes câblées, satellite, TNT…), pousse les producteurs à rechercher de nouveaux décors, à dénicher des lieux insolites, et surtout « vierges », qui n’ont encore, à ce jour, jamais été vus à l’écran. Une opportunité réelle que Mulhouse a su saisir et développer. Un diagnostic avait fait apparaître que Strasbourg avait accueilli depuis plusieurs années (présence d’Arte aidant, sans doute) de nombreux tournages, créant une réelle dynamique sur son territoire, alors que Mulhouse ne gardait que le souvenir d’anciens tournages.
Convaincu des perspectives, Christophe Devillers se lançait dans l’aventure : recensement de lieux et décors potentiels, mise en place d’un fonds d’aide, travail de connaissance du milieu du cinéma et des besoins des producteurs petits ou grands avec des voyages de reconnaissance organisés… Le résultat ? « 50 jours de tournage accueillis en 2018 dont un épisode de Capitaine Marleau, série policière de France 3, et la création au niveau régional d’une coopération inédite avec Plato, réseau original qui, appuyé sur la région et l’Agence culturelle régionale, réunit une dizaine de collectivités partenaires dont Reims, Metz ou Châlons-en-Champagne… On se coordonne pour équilibrer les tournages avec des engagements communs à l’appui matérialisés par une charte d’engagement », explique Christophe Devillers. Enthousiasmé par l’aventure, il donne en quelques mots le chemin à suivre : « Emporter une décision politique d’abord. Et prendre les moyens : au moins une personne identifiée comme interlocuteur qualifié sur la question, la création d’un fonds de soutien et exister dans les radars des producteurs. Il y en a beaucoup, dont ceux qui rament mais qui y croient et qu’il est passionnant de soutenir. » Les « radars » ont reconnu Mulhouse, apparemment : l’agglo accueillera à l’automne Das Rendez-vous, rencontres annuelles de l’Académie du cinéma franco-allemand auxquelles participent plus de 200 producteurs !
Communication et cinéma : un alliage gagnant à Dunkerque
Plonger dans le « bouillon » des tournages ne se fait pas toujours « à froid » comme à Mulhouse. La ville de Dunkerque a connu en mai 2016 le tourbillon du tournage de la superproduction hollywoodienne de Christopher Nolan Dunkerque, qui raconte un épisode de la Seconde Guerre mondiale. La ville était déjà habituée à être le décor de productions à succès. Elle avait accueilli l'année précédente le tournage de la série de Canal + Baron Noir, qui suit le parcours politique du député-maire de Dunkerque, Philippe Rickwaert, campé par Kad Merad. La première saison a été suivie par près d'1 million de spectateurs par soirée, qui ont pu admirer de belles images de Dunkerque. La saison 2 a été tournée en 2017 dans la ville.
« L'effet Nolan a clairement accéléré l’intérêt des professionnels du cinéma pour Dunkerque et a enclenché la dynamique. Quand un tournage débarque, ça nous apporte évidemment des retombées économiques , nous expliquait Thomas Roussez, directeur de la communication de la ville de Dunkerque quelques semaines après la sortie du film en 2017. C’est souvent ce que voient les élus. Nous, on voit l’effet fierté, et l’effet sur l’image que la ville a d’elle-même. »
Pour le dircom, auparavant plutôt sceptique par rapport au rapprochement entre communication et cinéma, le 7e art est un vrai outil de notoriété mais aussi de fierté. Son service dispose depuis 2015 d'une cellule cinéma avec deux chargées de mission à plein-temps, aux côtés des pôles dédiés à l’animation et aux supports de communication. Une gageure pour tout dircom ou responsable de marketing territorial qui souhaite faire évoluer l’image ou renforcer l’attractivité de son territoire.
« Passer d’une logique d’autorisation à une logique d’accueil »
Les collectivités ne sont pas seules à s’intéresser aux tournages. L’APIE, Agence du patrimoine immatériel de l’État, développe une politique d’accueil des tournages dans les lieux publics (châteaux, musées, ambassades, hôpitaux, casernes, tribunaux, bâtiments administratifs ou autres…). Avec cette injonction dont tout interlocuteur public peut faire son miel : « Passer d’une logique d’autorisation à une logique d’accueil. » L’APIE a publié un guide sur Comment accueillir des tournages de films dans des lieux publics, remarquable outil qui fait le tour de la question en indiquant même pour bien se repérer « Qui fait quoi sur un tournage ? », histoire de s’acculturer avant de rencontrer des interlocuteurs professionnels… Les chiffres sont par contre à actualiser, en particulier au regard des dernières évolutions des aides et soutiens.
(1) D'après une étude IFOP-ADEF citée page 18 du guide de l'APIE Comment accueillir des tournages de films dans des lieux publics.