Le Sénat décortique la communication de crise sur l’incendie de l’usine Lubrizol
Défaut d'information du public, système d'alerte dépassé, défaut de coordination des services de l'État, élus locaux et professionnels de santé laissés de côté… : la commission d'enquête du Sénat sur l'incendie de l'usine Lubrizol fait un constat sans appel et avance des propositions.
Chargée « d’évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen », la commission a consacré à la communication 13 des 300 pages de son rapport. S’y ajoutent, en annexe, les 30 pages d’une étude « Lubrizol : communication de crise et réactions sur les réseaux sociaux ». Une seule professionnelle de la communication figure parmi les 74 « personnes entendues » : Hélène Bourges, chargée de campagne de Greenpeace.
Une incapacité à informer le plus clairement possible et en temps réel
« Sur le fond, la communication de crise des services de l’État a montré ses limites par son incapacité à informer le public de façon claire, prescriptive et pédagogique, et à utiliser efficacement l’ensemble des canaux de distribution disponibles (radio, télévision, presse, réseaux sociaux) », analyse le rapport. « Il est donc urgent de revoir la doctrine de communication de crise de l’État. Vouloir rassurer à tout prix fait perdre de vue l’objectif principal : informer le plus clairement possible et en temps réel, quitte à adapter la communication publique en fonction du déroulé des événements. »
L’analyse, détaillée, identifie une série de faiblesses, comme l’absence du suivi en temps réel des réseaux sociaux (l’accident a généré 200 000 tweets en 24 heures), et conduit à des « enseignements principaux » :
- « le caractère profondément anxiogène de la gestion des risques industriels et technologiques pour une population qui ne dispose pas d’une solide culture du risque et de la sécurité » ;
- « le fossé entre, d’une part, l’attitude et la communication des services de l’État et du Gouvernement et, d’autre part, les attentes de la population en matière d’information sur le déroulement de la crise, son origine et ses conséquences ».
Le rapport souligne aussi que « les pouvoirs publics doivent faire davantage confiance à la population et s’appuyer sur elle pour mieux gérer la crise, plutôt que la considérer comme un agent gênant, aux réactions irrationnelles et imprévisibles ».
Le rapport sénatorial fait plusieurs propositions pour clarifier et moderniser au plus vite la doctrine de communication de l’État, à l’échelle centrale et déconcentrée :
- mieux préparer la survenue d’accidents industriels par des exercices réguliers ;
- poursuivre la formation continue des agents susceptibles de communiquer lors d’une crise ;
- mieux séquencer les messages à délivrer en fonction des canaux de distribution disponibles et des publics ;
- donner une orientation claire aux acteurs locaux.
Un défaut d'information du public sur les risques industriels
Aujourd’hui, 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques, et 10 % à peine affirment savoir comment réagir si un accident se produisait près de chez eux ! Ce constat a été confirmé par les résultats de la consultation des élus locaux réalisée par la commission d’enquête sur la plateforme dédiée du Sénat : 62 % des élus ont fait part d’un manque d’information sur les risques industriels et 78 % ont dit être peu ou pas associés aux exercices de sécurité civile.
Pour la commission d’enquête, le public, y compris les riverains des installations les plus dangereuses, est donc « le grand absent des politiques de prévention des risques » et l’accident de Rouen révèle une « demande sociale non satisfaite ».