L’éducation aux médias, ça nous concerne ?
Tribune d’une soixantaine d’organisations : « Monsieur le Président, faites de l’éducation aux médias et à l’information une grande cause nationale. » Pouvons-nous rester indifférents ?
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Nous connaissons le phénomène. Il est décrit avec acuité : « La jeunesse (…) se trouve aujourd’hui désarmée face à un flot continu d’informations, de posts et de messages, dont elle peine à évaluer la fiabilité et la pertinence. Exposés quotidiennement au poison de la désinformation, aux conspirationnistes les plus habiles, les jeunes Français ne disposent pas des outils pour se forger une opinion de manière éclairée et saine. Pris au piège d’algorithmes surpuissants, ils sont entraînés dans des spirales dangereuses, menant à l’isolement et à la radicalisation. Et ce, à l’âge même où ils devraient profiter des opportunités du numérique pour s’ouvrir aux autres. » Les auteurs de ce diagnostic sont journalistes, éducateurs, formateurs, vulgarisateurs, auteurs d’une tribune adressée au président de la République.
Développer l’esprit critique
Elle a été signée par une soixantaine d’organisations, associations d’éducation populaire, médias, structures d’éducation aux médias et d’éveil de l’esprit critique et par 200 professionnels. Quelques figures émergent, comme Philippe Meirieu, éminent expert des sciences de l’éducation, Marie-Laure Augry, ex-vedette du 13h de TF1 et vice-présidente de l’association Journalisme et Citoyenneté, ou des journalistes distingués par le prix Albert-Londres. Aucune célébrité, habituelle signataire de pétition, mais des acteurs, au quotidien, de l’éducation aux médias. C’est là toute la force et l’authenticité de cette initiative.
Ils se disent « extrêmement inquiets ». Nous partageons leurs craintes. Elles sont aussi provoquées par la faiblesse de la réponse à la déferlante de fausses informations : « Alors même que le développement de l’esprit critique est au cœur de la mission de l’Éducation nationale, le manque de moyens et de ressources alloués à l’éducation aux médias et à l’information est criant. »
Leur demande au chef de l’État : « La situation exige d’élever l’éducation aux médias et à l’information au rang de grande cause nationale, comme cela a été fait pour la lecture ou l’égalité hommes-femmes. (…) Nous demandons de créer sans délai un ‘’fonds d'éducation aux médias et à l’information’’. Il pourrait être financé par l'État et par une fraction de la taxe sur les entreprises numériques. Il permettrait de soutenir les acteurs de terrain, en relation directe avec les pouvoirs publics et les élus, à l’échelle nationale et locale. »
Sensibiliser à l’information
Voilà qui nous rapproche d’eux. Nous évoluons dans un univers distinct, mais voisin. Surtout, face au déferlement de la désinformation nous avons partie liée. Le plus souvent, nous évitons fermement les diverses formes de déformation, manipulation, falsification. Nous avons une certaine idée et une exigeante pratique de ce que l’on pourrait appeler le « service public de l’information ». Nous ne sommes pas des propagandistes, mais des communicants. En tout cas, nous nous y employons. La valorisation de l’action de la collectivité peut se conjuguer avec le respect des lecteurs. Affaire de citoyenneté.
Que faire ? Nous ne sommes pas légitimes à contribuer à l’éducation aux médias : nous sommes hors-champ. Mais nous pouvons sensibiliser à l’information. Nous pouvons raconter dans nos supports comment nous concevons et réalisons journaux et sites, comment nous traitons l’information. Nous pouvons proposer des rencontres avec de jeunes habitants, accueillir des collégiens lors des « stages de découverte » de 3e, échanger avec les acteurs de l’éducation aux médias… s’ils ne nous regardent pas de haut. Avec l’expérience de certains d’entre nous en formation, nous pouvons apprendre à des adolescents le b.a.-ba de la vigilance sur les réseaux sociaux.
Si nous avons une haute conception du métier et que nous l’appliquons, vaille que vaille, pas sans à-coups ni accrocs, nous avons capacités et compétences pour prendre notre part, comme le proclament les auteurs de l’adresse au président de la République, « à la lutte contre la désinformation et la manipulation en ligne », pour façonner « une véritable citoyenneté à l’ère numérique, partout et pour tous ».