L’élu et le « paradoxe de la communication publique »
Pour Olivier Bianchi, maire et intervenant à Sciences Po, c’est un aspect incontournable de l’action publique, mais c’est une tâche particulièrement délicate. La communication publique, qu’il met en œuvre notamment autour de la candidature de Clermont-Ferrand au titre de capitale européenne de la culture 2028, revient souvent à faire un récit sur un objet que le public peut difficilement appréhender. « Point commun » n’a pas hésité à poser à ce maire, fin connaisseur de nos métiers, des questions difficiles, des questions qui peuvent rester sans réponses : comment placer le message sur le haut de la pile ?
Interview d’Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand et président de Clermont Auvergne Métropole, en marge de la réunion régionale du réseau qui a réuni soixante-dix professionnels de la communication publique à Clermont-Ferrand début mai 2023.
Crédits photos : direction de la communication de la ville de Clermont-Ferrand.
Point commun : Quelles ont été les occasions de rencontre entre vous et la communication publique ?
Olivier Bianchi : Dès le début ! Alors que j’étais étudiant et, ensuite, comme enseignant chargé de cours à Sciences Po où mes interventions portaient et portent encore sur la communication politique. J’ai été élu assez jeune, en 1995 (j’avais alors 25 ans), et six ans plus tard je suis devenu adjoint chargé de la culture. J’ai ensuite été élu maire en 2014, puis en 2020. La communication culturelle a donc été pour moi le point d’entrée, j’y ai fait mes premières armes en matière de communication publique.
De cette première rencontre, j’ai gardé la conviction qu’en tant qu’acteur culturel majeur au niveau local, une grande partie de notre offre devait passer à la fois par des activités qu’il faut mettre en valeur et par la mise en œuvre d’une médiation culturelle. J’ai donc d’abord été confronté à cette question par le biais d’un poste en première ligne sur les questions de communication et de récit.
En tant que maire, j’ai appris à manier d’autres champs de la communication publique, ceux de la concertation et de la démocratie contributive. À Clermont-Ferrand, nous avons passé un cap en la matière : les citoyens deviennent des acteurs à part entière de l’action municipale. Aujourd’hui, ma perception de la communication publique est donc plus large, et j’ai pu enrichir mon cours sur l’histoire de la communication politique. Il est important de familiariser les étudiants à cet aspect incontournable de l’action publique.
Point commun : Aujourd’hui, vous vous investissez dans une candidature pour devenir capitale européenne de la culture 2028, ce qui vous amène à mobiliser et donc à communiquer fortement.
O. B. : Oui, on touche d’ailleurs là à ce que je nomme le paradigme du paradoxe de la com publique, c’est-à-dire au récit que l’on doit faire sur un objet que le public peut très difficilement appréhender. Malgré les médias, les différents canaux et outils utilisés, les gens disent « on ne comprend pas le concept ». C’est pourtant l’essence même d’une politique publique : ce sont des idées, des concepts, et c’est complexe tout en étant virtuel. En ce qui concerne, par exemple, cette candidature pour devenir capitale européenne de la culture 2028, les gens s’attendent à une énorme programmation, alors qu’au stade où nous en sommes, il nous faut en premier lieu une politique locale, avec des directions à suivre et une projection d’imaginaires autour de la culture du territoire.
Vous, les communicants, devez donner du corps à une chose évanescente.
C'est tout le problème de votre métier, vous êtes obligés, au quotidien, de traduire des politiques complexes, alors que souvent, au départ, ce ne sont que des valeurs, des concepts, de l’imaginaire. Vous devez donner du corps à une chose évanescente. Et je sais combien cet exercice est délicat. Vous êtes des traducteurs, vous utilisez d’autres vocabulaires, vous transposez dans d’autres outils. Vous êtes donc plus qu’utiles pour décoder, décrypter ; les communicants publics sont une interface entre le politique et le citoyen.
Point commun : Quelles sont les questions, en matière de communication publique, qui restent sans réponses pour vous ?
O. B. : J’en vois trois principalement – car c’est un domaine qui peut encore cacher bien des mystères !
- Je pense en premier lieu à la problématique de la sur-communication. Il y a une densité jamais atteinte dans cette société de la communication. Cette croissance exponentielle des informations bouscule et interroge. Quelle hiérarchisation ? Quelle place pour le silence ? Comment évoluer vers une réduction du flux d’informations ? Et, en attendant, comment faire par rapport à ce trop-plein ? On en rajoute encore, au risque d’être inaudible ? Car il faut également bien se l’avouer, nos sujets ne sont pas toujours attractifs…
- Ensuite je me questionne sur le rapport au réel. Ce qui semble être un phénomène, car à force de traduire et d’adapter, on fabule, on fait prendre des vessies pour des lanternes, voire on s’autopersuade, on construit une réalité alternative. C’est le danger d’une trop grande latitude, on finit par s’éloigner de l’objet. Une forme de populisme se nourrit de cette transformation de la réalité, et, malheureusement, certains élus pensent devoir agir ainsi. Force est de constater que ça marche, mais à quel prix pour la démocratie ? Il ne peut pourtant pas y avoir de communication sans action au départ. On a tendance à surdimensionner la communication, alors que ce n’est qu’un média. Il est nécessaire de se demander quelle réalité est couverte par les discours et de revenir sur la mission d’origine que nous confions à la communication publique. Car si rendre la complexité dans la com, cela devient difficile, alors il faut redoubler d’efforts.
- Et je vois là une forme de synthèse : si la communication ne doit pas être une fin en soi, s'il faut revenir sur le politique, alors, comment on re-hiérarchise ? Quand c’est plus important, vital, fondamental, comment arrive-t-on à placer le message sur le haut de la pile ?