Les agences, les consultants, d’irresponsables prédateurs ?
Le coûteux recours par l’État à des cabinets de conseil internationaux est controversé. La même contestation de l’appel à des prestataires en communication est-elle justifiée ?
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
C’est du lourd. En un an, de mars 2020 à février 2021, à lui seul le ministère de la Santé a passé 28 commandes à 7 cabinets, pour un total de 11,35 millions d’euros. Les collectivités, c’est un autre monde, qui pèse moins. Mais agences et consultants y ont leur place. Doit-on le souhaiter ?
Il est fini, le temps des agences triomphantes des années 1980. Sur un terrain neuf, dans une communication territoriale balbutiante, « l’influence de la publicité » (1) a alors été massive. L’application mécanique des codes de la communication commerciale a montré ses limites. Mais les pubards ont donné un élan, également suscité par la communication gouvernementale. Depuis, progressivement et sûrement, les communicants se sont professionnalisés. Leurs compétences se sont consolidées et étendues. Les progrès sont remarquables et même spectaculaires, comme en témoignent notamment les « Grand Prix » décernés par Cap’Com. Pourtant agences et consultants sont toujours là.
Valeur ajoutée et valeurs
Pourquoi, alors que, depuis plusieurs années, le tassement des prix est devenu structurel ? Parce que, si les collectivités locales ne sont plus, depuis longtemps, les vaches à lait qu’elles furent il y a trente ou quarante ans, la valeur ajoutée apportée par les agences est effective. On permettra au signataire, non pas d’abuser en fourguant un plaidoyer promo domo, mais d’arguer de son séjour dans les deux maisons, la privée et la publique, pour proposer un bout d’analyse. Que fournissent donc les prestataires en communication ? Ce sont des capacités de production complémentaires quand elles sont insuffisantes à l’interne, donc une politique des savoir-faire, des expertises, en conseil ou en conception, dans tel ou tel domaine dont on ne dispose pas au sein d’une petite équipe ou même dans une grande quand le besoin est de haut niveau et la réponse rare. Une agence, c’est surtout avoir la possibilité de disposer d’un partenaire : même s’il n’intervient pas que dans le secteur public, il en connaît les spécificités par rapport à la communication publicitaire, et aussi les contraintes et les potentiels, les règles et les perspectives. Il peut même, au-delà de sa plus-value, en partager les valeurs et penser son business, avec l’œil sur le chiffre d’affaires, comme une contribution à l’intérêt général. Avec une certaine idée de sa responsabilité particulière.
L’agence apporte aussi le recul, l’expérience de problématiques similaires, la vision plus large que celle du dircom. Celui-ci est empêtré dans de multiples réunions, englué dans la gestion des RH, des budgets, des marchés, et on lui demande d’être fécond, créatif, imaginatif. Entre le commanditaire et le prestataire, les relations peuvent être rudes, à juste titre ou pas. Mais elles peuvent procurer de vrais bonheurs professionnels quand les deux partenaires marchent du même pas. Le service communication progresse dans la pertinence et la qualité de sa production. L’agence avance dans sa connaissance et sa compréhension de l’univers de la communication publique.
L’exigence et la confiance
Certes, le ciel n’est pas toujours bleu. Dans les collectivités persiste parfois, dans les services, l’idée que les prestataires sont des prédateurs illégitimes qui s’emparent de l’argent public, manigance bien sûr encore plus honnie dans le domaine de la communication. Dans un dos-à-dos plutôt qu’un face-à-face, il y a des incompréhensions, des crispations. La réussite de la relation commence à se jouer lors des appels d’offres. Les fréquentes demandes de productions excessives prescrites par le règlement de la consultation dans les marchés publics, sans la moindre rémunération, sont-elles acceptables ? Les directions de la communication n’ont-elles pas grand intérêt à utiliser une procédure de mise en concurrence qui leur permette solidement de choisir le meilleur candidat… et d’écarter les faiseurs et les hâbleurs ?
Aujourd’hui, on peut espérer que l’amélioration des pratiques, au bénéfice des deux parties, soit en bonne voie grâce à la médiation collective en cours, sous l’égide du ministère de l’Économie et des Finances. Le « Guide de l’appel d’offres responsable » élaboré par la « filière communication » est sur la table. Cap’Com suit avec attention cette initiative sans précédent.
La juste exigence à l’égard des agences s’appuie sur la confiance mutuelle, tandis que « le recours aux cabinets de conseil par le gouvernement est une défiance envers les fonctionnaires », juge le sociologue Frédéric Pierru (2). Au contraire, en signe du crédit accordé à l’agence, le dircom peut dire au patron de cette dernière : « Nous sommes d’accord sur la stratégie et sur la campagne. À toi de les présenter au président. Tu seras plus convaincant parce que tu es un prestataire et pas un collaborateur. » Exemple vécu dans les deux postures… et exemple réussi.
(1) Dominique Mégard, La Communication publique et territoriale, Dunod.
(2) Libération (26 janvier 2022).