Les nouveaux clivages politiques, expliqués par Pascal Perrineau
Pascal Perrineau a décrypté avec acuité la vie politique, lors du Forum de la communication publique du Havre. Politologue, professeur des universités à Sciences-Po, ancien président du Cevipof, il a porté son regard sur cette année électorale où les Français semblent avoir exprimé une envie de renouveau qui a conduit à une recomposition des clivages politiques. Extrait de sa conférence animée par Bruno Lafosse, directeur de la communication et de la relation citoyenne de la ville de Dieppe.
« Nous vivons certainement le moment le plus éruptif de la Ve République. Il faut remonter à 1958 pour retrouver un tel reclassement politique. Beaucoup trop d’observateurs n’ont pas été sensibles à la force des signes faibles qui l’annonçaient, d’ailleurs des signes qui ont été de moins en moins en faibles, année après année. Toutes les enquêtes, notamment le Baromètre de la confiance politique du Cevipof, révélaient une montée régulière de la défiance vis-à-vis du monde politique. Les seuls qui échappaient encore à ce jeu de massacre étaient les maires. Cette défiance n’a pas été prise au sérieux. Beaucoup de politiques pensaient qu’il ne s’agissait que d’une mauvaise humeur et que cela allait se calmer.
Le second signe faible était le malaise grandissant dans le positionnement Gauche/Droite. Ce positionnement organise nos attitudes, nos engagements, nos modes d’expression depuis deux siècles. La notion de gauche et de droite étant née à la Révolution. Depuis, tous nos combats politiques se sont inscrits dans ce clivage.
Ce clivage n’est pas une essence en soi. La gauche et la droite ont largement évolué dans leurs contenus. Les contenants étaient les mêmes mais les contenus bougeaient sans cesse. Par exemple l’idée de Nation était au XIXe siècle de gauche, elle va passer au XXe siècle à droite. L’idée d’environnement est née à droite, mais elle est aujourd’hui de gauche.
Depuis une quinzaine d’années, les Français nous disaient de plus en plus fortement qu’ils ne se sentaient ni de gauche, ni de droite. Ce clivage était de moins en moins pertinent pour eux, pour se positionner dans le débat public. 70 % des Français exprimaient cette opinion mais les politiques ne le voyaient pas, assurés que tout allait se rebipolariser. Seuls quelques politiques ont pris cela au sérieux, à l’automne 2015. Pour eux, le moment de la disruption était venu. La disruption est un concept d’économie et de marketing, lorsque sur un marché, par une politique agressive, un nouvel entrant s’invite et disrupte l’ancien équilibre.
Pourquoi cette disruption ? Parce qu’un nouveau clivage n’a cessé de monter. Certains observateurs en avaient conscience depuis le référendum de Maastricht. Derrière le clivage Gauche/Droite s’invente une nouvelle bipolarité entre société ouverte et société fermée. Un clivage qui casse la droite comme la gauche.
Lors de l'élection présidentielle, les deux finalistes révèlent ce nouveau clivage. Emmanuel Macron est le candidat à l’avant-garde de la société ouverte, dont tous les discours nous vantent les charmes sans toujours être très attentifs aux dégâts qu’elle peut engendrer. L’autre candidate est, elle, à l’avant-garde du camp de la société du recentrage national et nous en présente toutes les vertus.
La force de la disruption et la force de ce nouveau clivage sont liées au fait qu’enfin les électeurs trouvent les deux héros d’un vrai combat. Et cela fait durablement éclater l’ensemble des forces politiques.
Nous sommes dans un changement structurant de la société française qui n’est pas quelque chose de passager. Nous sommes en situation de transition. Quand un vieux monde est en train de mourir, de se lézarder, il résiste évidemment. Mais un nouveau monde est effectivement en train de naître avec un nouveau personnel politique, de nouvelles organisations. Cette situation n’est pas que française. Elle se passe dans bon nombre de pays européens.
Ce phénomène se cristallise autour de la montée en puissance de la question européenne mais aussi de la question de la place des vieilles nations dans la globalisation. Une question réactivée par la crise des migrants. Le migrant est l’incarnation de cette société globale, l’homme de la mobilité. La question de l’ouverture ou du repli est donc posée et cette question fait sens pour les Français.
Mais rien n’est figé, rien n’est assuré. Aujourd’hui, le camp de la société ouverte est aux commandes en France mais le camp du recentrage national peut devenir majoritaire comme il l’est devenu sur la question du Brexit de l’autre côté de la Manche.
Ce clivage est un clivage fort, qui a du sens pour les citoyens, mais c’est un clivage qui pose le problème de la protection. Une protection que le camp de la société ouverte doit mettre en place pour toutes celles et ceux qui sont en demande de protection, économique, sociale et culturelle ».