Pages de com : « Anti bullshit » et « Macron ou le mystère du verbe »
À un mois du Forum de Rennes, nous vous proposons d'en préparer le grand angle 2 sur les nouveaux défis du langage (avec Élodie Mielczareck, sémiolinguiste, et Natalie Maroun, analyste des médias) avec ces deux ouvrages qui s'y rapportent.
L’intelligence artificielle serait-elle capable de rédiger les discours de notre président de la République, aussi bien que le président lui-même ou son conseiller en communication ? C’est la question que l’on peut se poser après avoir lu le dernier ouvrage de Damon Mayaffre.
Chercheur en linguistique au CNRS à l’université de Côte d’Azur, Damon Mayaffre se livre à une analyse assez colossale – heureusement à l’aide d’un ordinateur – d’une centaine de discours prononcés par Emmanuel Macron entre le 4 octobre 2016 et le 31 décembre 2020. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà analysé les discours des autres présidents de la Ve République. Dans son 5e ouvrage, il cherche à comprendre quelles sont les thématiques favorites du président Macron, ses tournures et ses mots favoris, quels sont ses emprunts aux autres présidents, voire ses plagiats, ses tics de langage aussi. Quelles sont aussi ses sources idéologiques, ses références de pensée, qui conduisent parfois le président à « une parole mystérieuse », une « absence d’idéologie comme idéologie » ? Il s’intéresse au « mystère Macron », qui pour lui « demande à être levé ».
Grâce à la puissance de l’informatique, nous touchons au secret du discours macroniste : « Un mouvement permanent qui prend les accents de l’immobilisme ou du retour en arrière, ou un immobilisme qui prend le ton du mouvement. » On y apprend que le mot « projet » est le plus utilisé dans ses discours électoraux et au début de son mandat (500 fois répété !), que la fameuse expression « en même temps », déjà beaucoup utilisée par François Hollande, est en fait intimement liée à la pensée d’Emmanuel Macron, que l’auteur qualifie de néosolidarisme, dans laquelle il reprendrait à la droite son programme et à la gauche son esprit ! On découvre aussi que l’un des mots forts qui réunissent les deux derniers présidents de la République est celui de « territoires », toujours au pluriel, visant plutôt les territoires ruraux ou oubliés.
Il montre également comment le discours du président a été refondé à l’aune de la crise sanitaire, durant laquelle le pragmatisme et la foi en la science ont été la seule idéologie revendiquée.
Mais le plus surprenant de cet ouvrage est le discours type entièrement inventé par l’intelligence artificielle d’un ordinateur pour annoncer la candidature du président Macron pour l’élection présidentielle de 2022 ! Alors, rendez-vous est pris dans quelques semaines, car, s’il n’y a guère de doute sur la candidature du président actuel, les lecteurs avisés s’amuseront à comparer le discours officiel et celui proposé par une machine !
Macron ou le mystère du verbe
Ses discours décryptés par la machine
Damon Mayaffre
Éditions de l'Aube
6 mai 2021
344 pages
Favorisée par l'émergence de nouveaux codes dans la communication, la manipulation par les mots et les symboles est toujours plus puissante. Comment, alors, apprendre à démêler le vrai du faux ? Comment redevenir acteur de son propre langage ?
Élodie Mielczareck, sémiologue au parcours riche et habituée des plateaux, finit par en faire une crise, ou plutôt une publication, car elle sait mieux que tout le monde maîtriser son discours et ses expressions. Donc, pour produire un livre anticonformiste dont le nom, Anti bullshit, résonne comme une provocation, il a fallu qu'elle arrive à saturation !
Et on la suit, dès l'ouverture de son livre, sur les très nombreuses occasions où les techniques les plus classiques de la manipulation par les mots sont utilisées sans honte. Elle, qui analyse et décrypte depuis des années, en arrive à être fatiguée de revoir les mêmes ficelles et reprend de nombreux exemples où les locuteurs sont pris « la main dans le sac ». Mais comment repère-t-elle ces cas ? En listant plusieurs aspects de ces dérives : comme la multiplication des injonctions paradoxales, les discours creux et alambiqués, ciblant directement les réactions émotionnelles, utilisant la pensée magique ou visant à la suppression de la connaissance et du savoir, usant de l'ambivalence et des contradictions… Elle voit s'établir durablement une post-vérité qui a été largement développée sous le mandat de Donald Trump mais qui continue évidemment à prospérer, poussée par des États, des groupes idéologiques, mais aussi par des acteurs privés (qui ne sont pas les derniers à faire des stories improbables pour essayer de verdir leur image, par exemple).
La période de la pandémie n'aura pas amélioré les choses, et l'autrice s'amuse avec des termes comme « ultracrépidarianisme » ou « ostranémie » que je vous laisserai découvrir. Car Élodie Mielczareck aime les mots et ne baisse pas les bras, au contraire ! Elle revient systématiquement aux grands auteurs de la sémiologie, de la philosophie, de la sociologie et de la poésie, pour cerner ce visage du bullshit et le décrire en six chapitres. Et, pour le communicant public, qui redoute évidemment de retrouver ici quelques travers de langage dont il aurait été, consciemment ou non, le responsable, c'est une balade dans la petite boutique du mensonge.
Anti bullshit
Post-vérité, nudge, storytelling : quand les mots n'ont plus de sens (et comment y remédier)
Élodie Mielczareck
Éditions Eyrolles
14 octobre 2021
256 pages