Pages de com : « Cartographier l’anthropocène », atlas IGN 2024
L’IGN se plie à un exercice de vulgarisation et de transparence remarquable. Feuilleter cet atlas, c’est prendre de l’altitude et jeter sur nos territoires un regard d’une puissance inimaginable, dopé par des technologies qui dénudent chaque cours d’eau, scannent chaque parcelle, classifient chaque bouquet végétal, modélisent chaque relevé de points… avec l’aide de la surpuissante IA. Les experts de l’IGN disent tout de ce que cela implique, car cet atlas ne montre pas le pays tel qu’il est, il montre ce qui changera notre manière de le voir. Rien ne nous échappera plus, c’est la fin de l’innocence… mais c’est passionnant comme une notice sur le futur ; un ouvrage consultable en ligne et téléchargeable.
Cet ouvrage est accessible, gratuit, découpé dans un espace web dédié, feuilletable. Et il faut commencer par cela car sa première vertu est d’être exemplaire dans la transparence de l’action publique – l’IGN en est l’instrument cartographique. L’institut pose sur la table ses outils qui, mis ensemble, se combinent en une vision extralucide du territoire au service de toutes les demandes en matière de connaissance et de suivi de l’environnement, de gestion des risques, des forêts, de l’agriculture, de l’urbanisme, ou pour piloter une politique des énergies. Chapitre après chapitre, l’IGN explique ce que ces technologies permettent et comment il s’en sert, ce qui donne du sens – et fait baisser le sentiment que l’on pourrait développer devant l’incroyable acuité des systèmes d’observation – en découvrant leur application au service de la lutte contre les risques d’inondation ou d’une gestion durable des espaces. Le référentiel d’occupation des sols qu’ils construisent est, pour Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN, « un vibrant exemple de ces outils de connaissance de notre environnement qui permettent aux décideurs publics de piloter les choix de société, et ce en partage avec nos concitoyens qui en seront les premiers acteurs ».
IA quoi dans ce projet ?
Repris comme un leitmotiv tout au long de cet atlas, le questionnement autour de la place de l’IA est permanent, écrasant. Et c’est normal. Car elle est là, partout, décuplant les forces des observations laser ou autres, avec l’apprentissage profond, l’IA générative et les jumeaux numériques. Il ne s’agit pas pour l’IGN de recenser les potentialités de l’IA, ni de la placer sur le haut de la pyramide pour déclarer ensuite que tout va changer.
On peut trouver là un exemple de lucidité collective sur l’incursion de l’IA dans un domaine professionnel.
Leur atlas est une avancée scrupuleuse dans leur monde de géographe, mettant le doigt sur chaque cas d’usage de l’IA : comment, à partir de quelles données, pour quoi faire, avec quels résultats ? Finalement il n’y a pas une IA, mais une multitude de mises en application et de couplages avec d’autres technologies. La cartographie n’est pas fondamentalement modifiée, mais elle devient exhaustive, très précise, étendue dans toutes les dimensions (dans l’espace mais aussi dans le temps).
On peut trouver là un exemple de lucidité collective sur l’incursion de l’IA dans un domaine professionnel. Nos collègues géographes nous montrent une voie et de belle manière !
Une publication de référence
Car cet ouvrage vaut aussi pour ce qu’il est lui-même : une belle publication plurimédia qui a été soignée et éditée intelligemment ; la déclinaison sur leur site web est une réussite. Sur le plan éditorial, évidemment, ils savent s’y prendre en matière d’image – c’était couru d’avance ! – mais là où l’IGN nous prend à revers, c’est en publiant en fin d’ouvrage, après un chapitre de projection « Et si les machines pouvaient faire plus que penser ? », une nouvelle romancée, un bref voyage dans un futur proche, teinté de science-fiction ! « 2042, l’odyssée d’Odysseus » a été écrit par Paul Vacca et invite à imaginer une structure, un globe dans lequel un voyage dans l’espace se double d’un voyage dans le temps. Cette projection, qu’on salue et qu’on aime (une pensée pour Jean-Gabriel Ganascia et pour Frédéric Denhez), est une initiative surprenante et qui nous interpelle.
Cet ouvrage démontre que beaucoup d’acteurs, dans les domaines publics les plus rigoureux, sont mûrs pour nous rejoindre dans la production d’un récit de la construction collective et du bien commun. Un récit qui puisse nourrir à nouveau les imaginaires et sortir le débat public des aigreurs suspicieuses et des luttes pour des questions d’intérêt particulier.
Cartographier l’anthropocène
À l’ère de l’intelligence artificielle
Atlas IGN 2024
IGN
90 pages