Pages de com : « La France en miettes », par Benjamin Morel
C’est un débat qui nous concerne. Et l’alerte lancée par Benjamin Morel nous en rappelle l’importance et l’actualité. Son livre clive autant que l’ethnorégionalisme qu’il cible. Le lire est la garantie de ne pas nous retrouver acteurs sans le savoir de ce nouveau rapport entre identité et organisation territoriale.
Les régionalismes et la République sont en dialogue depuis longtemps, ce qui n’enlève rien à la puissance des affrontements. Benjamin Morel, spécialiste de droit constitutionnel (plus souvent à l’antenne en ce moment pour commenter les décisions du Conseil constitutionnel que pour parler régionalisme), a visiblement mis du temps à peaufiner ses arguments. Mais il mesure l’urgence à réagir et produit ici un ouvrage en forme d’alerte qui s’appuie sur toute une série de faits récents. Sur l’accumulation des entorses à l’unité républicaine, face à la rupture assumée de l’égalité territoriale, il construit son discours en deux parties solides.
Dans la première, il vulgarise un travail de recherche qu’il mène avec constance depuis plus de 10 ans et largement publié dans La Revue française de droit constitutionnel, La Revue du droit public ou La Revue politique et parlementaire. Il y met en perspective certaines constructions identitaires, avec les réalités historiques et locales. Il revient naturellement sur les tentations antirépublicaines liées à l’extrême droite (il cite souvent Charles Maurras), mais aussi sur celles portées par l’Église, sur l’attitude des médias, sur celle des institutions. Loin d’être un pamphlet poussiéreux, cet ouvrage nous révèle sous un autre jour notre actualité, comme la procession de Perpignan (sant Galdric - saint Gaudric), destinée à obtenir la pluie, samedi 18 mars 2023.
Dans sa deuxième partie, l'auteur décrit la dynamique politique et la tension extrême partout à l'œuvre en Europe. Pour lui, deux décennies de décentralisation ne nous ont pas « immunisés », mais « désensibilisés ». Il dénonce une naïveté qui favorise l'effondrement d'une construction commune et égalitaire. Sans être adversaire de la décentralisation, il dit qu'elle « doit être repensée sur les bases et les motivations qui l'ont vue naître. Elle doit être un instrument de démocratisation des politiques publiques (...) dans des cadres homogènes et stables ».
Les communicants publics des territoires sont à l’œuvre en ce qui concerne la valorisation du patrimoine local, et même des langues locales lorsque c’est le cas. Cette mission répond à des logiques d’attractivité mais aussi des sentiments d’appartenance qui sont, on le voit dans ce livre, sujets à bien des débats. Tout comme la notion « d’ouverture au monde » que représenterait l’expression des régionalismes et qui serait un biais idéologique pour Benjamin Morel. Les sujets sont, on le voit, délicats, et méritent de l’attention et du recul. Ainsi qu’une culture générale régionale qui dépasse « trois paragraphes sur une fiche de révision de l’ENA et un livre de Lorànt Deutsch », comme le dit Benjamin Morel.
En tenant son Forum à Rennes, puis à Strasbourg et à Toulouse, Cap’Com explore également ces territoires qui vivent puissamment leurs identités, dans des cadres institutionnels changeants (Collectivité européenne d’Alsace), avec la loi NOTRe qui porte l’acte III de la décentralisation sur ces terrains, avec la loi Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion (promulguée récemment, censurée sur deux articles par le Conseil constitutionnel). Ce livre de Benjamin Morel ne dit rien d’autre que ce que nous avions déjà entendu sur le sujet de l’ethnorégionalisme, si l’on s’y était intéressé, mais il le fait dans un contexte où il est fortement poussé en avant.
La France en miettes
Régionalismes, l'autre séparatisme
Benjamin Morel
Éditions du Cerf
268 pages
Février 2023