Pages de com : « La Post-vérité » par Claudine Tiercelin
Il y a un terme qui devrait connaître un regain d’intérêt : celui de « post-vérité ». Ce livre nous donne les clés pour mieux le comprendre. Pugnace et engagé, ce texte d’une philosophe, professeure au Collège de France, reste accessible. Il parle beaucoup de démocratie et de fausses informations, sujets qui nous concernent ! L’autrice trouve des outils pour lutter contre un relativisme ambiant et propose même des recommandations dans une stratégie « d’attaque et de défense contre la post-vérité ».
Ce petit livre sorti il y a un an dans la collection « Le Point sur les idées » est court et tranchant. Selon la présentation de l’éditeur, « pour s’orienter dans la pensée il faut se fonder sur un savoir ». Claudine Tiercelin s’est donc lancée et, d’une traite, sort un texte engagé, fort, sans respiration, sans chapitres, sacrifiant au minimum de formalisme mais regorgeant de notes et de références. C’est même une bonne manière de faire le tour du sujet d’un point de vue philosophique puisqu’elle cite les principaux auteurs, explique leur approche, et prend parti. Elle n’y va pas par quatre chemins et utilise un ton qui tranche avec la langue académique prudente et allusive, voire alambiquée et déférente. Et rien que pour cela c’est bon à lire ! Le temps est sans doute venu de revenir à des mots francs, des opinions, des partis pris. Parce qu’il faudra lutter contre la ré-information et la post-vérité, déversées par les populistes et les conspirationnistes, avec autre chose que des mots doux (voir l'article de Samuel Jequier et Raphaëlle Giniès dans Stratégie). Alors elle attaque, en démystifiant l’apparition de ce terme de post-vérité en 2016. « Que mensonges, entourloupes et autres enfumages soient désormais omniprésents, que les gens se soucient peu de ce qu’ils disent et croient, qu’on en soit à désespérer de l’idée même de vérité, quelle nouvelle ! » Et non, ce n’était donc pas nouveau et elle se réfère aux sophistes.
L’apparition de la post-vérité est une tentative pour faire disparaître la vérité objective au sein d’un univers démocratique en la dissolvant.
Elle interroge alors les termes de « vérité objective », de « perte de sens » et désigne un objectif : « Sauver la vérité et la démocratie qui, seules – mais de concert cela va sans dire – nous protégeront du totalitarisme et de l’autoritarisme. » Pas essoufflée, elle poursuit son texte en retrouvant les enjeux contemporains. Elle cite 1984 de George Orwell et la disparition de la vérité objective au sein d’un univers totalitaire afin de mieux montrer que l’apparition de la post-vérité, de façon opposée, est une tentative pour faire disparaître la vérité objective au sein d’un univers démocratique en la dissolvant (page 47). Et cela fait effectivement froid dans le dos, car nous y sommes. C'est même un bon résumé des effets conjugués de l’infobésité, de la production automatisée de fake news et du combat sur tous les fronts pour faire reconnaître une équivalence entre faits et opinions. Claudine Tiercelin évoque « l’iségoria, le droit égal de chaque citoyen [chez les Grecs anciens] à prendre la parole, à s’exprimer devant l’assemblée, et à défendre son propre point de vue » et nous fait nous interroger sur cette parole, aujourd’hui massifiée par le numérique, égalisée par les algorithmes, renforcée par des biais cognitifs et des effets de subjectivité collective.
Relation entre vérité et politique
Elle n’a pas peur de citer des philosophes comme Hannah Arendt ou Jürgen Habermas pour en prendre le contre-pied sur la question du rapport entre vérité, éthique et politique. Pour elle, il ne faut pas « renoncer à l’idée que la poursuite de la vérité est plus que jamais de mise en politique ». Car c’est la seule manière d’éviter le fanatisme et l’autoritarisme. Son livre s’achève avec dix recommandations, qui sont simples à lire, mais plus compliquées à comprendre. En voici les trois premières :
- Prendre certes conscience de nos biais cognitifs et des sources et causes variées d'enfumage et d'entourloupe.
- Cultiver nos vertus épistémiques et tenir l'évidence des faits pour une exigence première.
- Mais aussi nuancer l'opposition entre faits et valeurs.
Il faudra sans doute que Cap’Com l’invite à venir nous les expliquer !
La Post-vérité ou le dégoût du vrai
Claudine Tiercelin
Éditions Intervalles
Collection « Le Point sur les idées »
Avril 2023
112 pages