Profession : équilibriste !
Cela fait plus d’une année que les communicants publics, et notamment les communicants internes, tels des équilibristes, marchent sur le fil. Entre devoir d’informer sur une actualité complexe et nécessité de remotiver, obligation de respecter les protocoles en vigueur et envie de rassembler, urgence du moment et besoin de s’évader, le challenge est quotidien. Ils penchent d’un côté, puis de l’autre. Ils funambulent. À l’aube du lever de rideau qui se profile et des restrictions sanitaires qui reculent, ont-ils trouvé le point d’équilibre ou restent-ils sur la corde raide ?
Par Vanessa Gotti, chargée de communication interne à la ville de Chatou.
Sous le chapiteau
S’il existait un top 3 officiel du jargon du métier de ces derniers mois, les mots Adaptation, Réactivité et Improvisation y figureraient à coup sûr. Pour le top 3 officieux – osons le dire –, les mots Fatigue, Lassitude et même Mélancolie, pourraient être en lice. Pas facile de toujours garder le cap, d’accompagner avec confiance quand les bases mêmes de notre métier se trouvent bousculées sur le long terme. Alors, même si toujours pleine d’optimisme par rapport à ce métier qui m’anime depuis des années, quand mon fils m’a demandé l’autre jour :
— Maman, c’est quoi en fait ton travail exactement aujourd’hui ?… j’ai soudain été prise de vertige.
Dans ce contexte difficile, malgré les efforts, les actions menées, les défis relevés, les nouveaux supports créés, les petites et grandes victoires, les avancées notables… mon travail touchait-il encore les agents ? Le lien recréé, dématérialisé, distancié, aseptisé… était-il toujours utile ? Arrivait-il encore à véritablement fédérer ? Je me suis demandé si le sens profond de ma fonction était encore palpable, encore présent aujourd’hui. Si, après plus d’une année maintenant, la valeur ajoutée de la communication interne conservait quelques braises après cette tempête sanitaire.
La magie du métier
Ces derniers mois, l’information a pris le pas sur les autres missions de communication interne. Nécessaire et primordiale, elle a néanmoins vampirisé malgré elle, et le contexte qui l’imposait, les relations entre les agents. L’impossibilité de se réunir a inévitablement tamisé, avec le temps, les liens qui les unissaient. Pourtant, quand je vois les sourires qui filtrent aux coins des yeux des collègues qui se croisent à nouveau dans les couloirs, quand les temps d’attente devant les salles de réunion sont des prétextes bienvenus pour faire connaissance avec les nouvelles recrues aperçues dans la lettre d’information interne, quand les demandes d’inscription pour cette dernière se multiplient sur les adresses mail personnelles des agents qui n’ont pas d’adresse mail professionnelle, quand même les structures externes participent avec plaisir aux défis lancés en interne, quand les mercis fusent en passant dans les services, quand les petites attentions touchent au cœur les agents et qu’ils nous le font savoir… je me dis que oui, la communication interne participe encore à faire vibrer le collectif.
Même si nous accompagnons les transformations et les changements – parfois difficiles – au sein de la collectivité, nous incarnons une communication positive qui a le privilège d’une proximité et d’une complicité uniques avec le personnel. Elle peut à loisir valoriser, mettre en lumière, rassurer, expliquer, récompenser, aider… faire plaisir ! Créer l’alchimie qui in fine s’infusera – au-delà de la soirée cow-boy, du karaoké déjanté ou du dossier intranet sur l’implication des agents dans telle ou telle action – jusqu’aux salles de réunion, jusqu’aux échanges constructifs sur un projet, jusqu’aux liens de complémentarité et de collaboration qui se tissent entre les services. Bienveillante et fédératrice, et finalement qu’importent l’angle ou le moyen qu’elle utilise, elle a bien le pouvoir de faciliter et de faire du bien.
La chute finale
Il y a plusieurs années, mon petit garçon m’a dit que mon travail, c’était comme d’être un lutin du Père Noël (je vous laisse deviner à quelle fonction ce dernier fait référence et déjà la belle image que j’avais su lui insuffler de la fonction publique). L’objectif : pas d’apporter des cadeaux (ça, le vrai Père Noël s’en charge très bien), mais d’aider les habitants de la ville dans leur quotidien. J’avoue que cette image – assez flatteuse, je dois le dire –, faite par un petit bonhomme d’à peine quatre ans, m’avait fait fondre certes, mais m’avait aussi plutôt surprise. Aussi naïve qu’elle paraissait, je l’avais trouvée assez juste à l’époque.
J’ai par la suite tenté d’aller plus loin pour lui expliquer ma fonction. Je lui ai parlé des missions principales du communicant interne : informer, accompagner, rassembler… et j’ai bien évidemment utilisé l’image de la personne qui met de l’huile dans les rouages pour aider à ce que tout fonctionne mieux ensemble, que chaque partie du grand mécanisme de la collectivité puisse avancer le plus sereinement possible, sans trop de grains de sable perturbateurs.
Alors, il y a quelques jours, quand il m’a de nouveau posé cette simple question sur la nature de mon métier – me voyant certainement plus préoccupée ces derniers mois –, j’ai ajouté une autre image à la définition et je lui ai répondu :
— Mon chéri, comme le lutin du Père Noël, comme la personne qui met de l’huile dans les rouages, un peu les deux à la fois… j’essaie de faire de mon mieux pour rendre les gens heureux. Mais en fait, et surtout ces derniers temps, je le fais un peu différemment, je suis comme un équilibriste.
Je marche sur le fil, tu vois. Je m’adapte, mon but est de conserver l’équilibre. Il faut faire preuve de souplesse et en même temps de stabilité. Garder son calme même quand la situation est instable et que le fil bouge. Être centré mais savoir en même temps se balancer. Garder la juste tension pour avancer et ne pas tomber. Il faut aussi savoir jongler avec plusieurs balles, faire quelques pirouettes pour surprendre, savoir émerveiller et sortir de sa manche plusieurs surprises pour redonner le sourire.
Alors il m’a regardée et il m’a dit le plus sérieusement du monde :
— Maman, c’est trop chouette ton travail ! Moi aussi j’aimerais bien travailler dans un cirque !
Et là j’ai ri ! Le fou rire m’a prise et j’ai cru ne jamais l’arrêter.
Mais il a renchéri :
— Parce que tu sais, essayer de rendre les gens heureux et faire briller leurs yeux, c’est ce qu’il y a de mieux !
Et là, j’ai pleuré. Dans les mots simples d’un petit garçon, résidait le sens profond de mon métier.