Quand les collectivités publiques sont des médias
Elles produisent de l’information et la diffusent massivement. Les collectivités jouent aujourd’hui un rôle important dans l’écosystème médiatique local. Mais leurs actualités sont-elles attendues et vues ? Partant de ce questionnement, Rennes, ville et métropole, a élaboré un nouveau dispositif média pour multiplier les points de contact avec son public. Les informations institutionnelles, les renseignements sur les services publics et les actualités du territoire y sont traités différemment. Une démarche initiatrice d’une évolution de la communication publique.
Le service information de Rennes, ville et métropole, s’est posé les bonnes questions. Engagé dans la refonte du site internet institutionnel, il se penche sur les nombreux contenus d’actualité mis en ligne. Chaque article comptabilise alors entre 30 et 300 consultations. Des chiffres bien faibles pour un territoire de 400 000 habitants. « Quand nous avons organisé les ateliers de concertation sur le site internet, nous avons clairement posé la question : lisez-vous ces actus ? », explique Benjamin Teitgen, responsable du service information de Rennes, ville et métropole. La réponse fut sans appel : une large majorité ne les consulte pas !
Il y a une importante demande d’information locale mais il y est mal répondu
Alors faut-il arrêter de publier ? Les collectivités locales sont-elles attendues sur la production de contenus d’actualité ? Est-ce que les informations déversées n’intéressent pas le public ? « Nous leur avons donc demandé plus précisément si, à la lecture de nos informations, celles-ci les intéressaient. » La réaction fut rassurante, il y a bien une importante demande d’information locale mais il y est mal répondu.
Le Baromètre de la communication locale, dans son édition de 2018, dresse le même constat. La demande d’information sur la vie du territoire, sur la vie associative et culturelle locale, les services et les équipements publics, les projets d’aménagement, est élevée.
Et les habitants comptent sur leurs collectivités pour leur dispenser cette information. Elles sont légitimes pour produire l’information locale, confirme le Baromètre. Cela d’autant plus que les médias traditionnels jouent un moindre rôle aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans. Pour s’informer sur la vie locale, les habitants utilisent d’abord les supports de leurs collectivités, journaux et sites, bien avant la presse régionale, les télés ou les radios locales ou les sites d’information privés. Un constat confirmé par les dernières éditions du Baromètre.
Cette présence de l’information portée par les collectivités publiques interpelle les médias privés. Certains dénoncent une distorsion de moyens. La presse locale voit en effet son modèle économique s’étioler, confronté à des abonnés qui se raréfient et à la publicité qui privilégie d’autres supports. D’autres médias locaux y voient la nécessité d’une nouvelle approche, plus centrée sur l’investigation, l’enquête et le débat contradictoire.
Une information attendue, mais où ?
Pour les collectivités locales, le bon fonctionnement des institutions publiques, la nécessaire construction du vivre-ensemble, le dynamisme et l’attractivité d’un territoire nécessitent que l’information soit accessible et de qualité. Les médias des collectivités locales font alors face aux mêmes défis que la presse privée : entendre ces lecteurs, leurs attentes et leurs usages, se saisir de tous les outils éditoriaux et numériques pour y répondre, jouer la transparence pour rétablir la confiance en l’information diffusée.
Voilà des enjeux auxquels Rennes, ville et métropole, lauréate du Grand Prix Cap’ Com 2019, s’est attaquée en se posant des questions sur le traitement de l’information. « Cette attente d’information nous a renforcés dans notre légitimité à produire des contenus d’information et confirme qu’il y a un public pour cela », souligne Benjamin Teitgen. « Le problème, c’est de trouver les bons formats éditoriaux et les bons canaux de diffusion de l’information. » Sa mission de production d’information sur l’actualité de la collectivité confortée, Rennes s’attaque à la suite : faire en sorte que les contenus produits atteignent leur cible. La communication fait donc le pari de sortir l’actualité du site institutionnel et de la diffuser via un dispositif numérique plus cohérent et plus en phase avec les nouveaux usages. Pour le concevoir, le service information se fait accompagner par le cluster des médias numériques dans le Grand Ouest, OuestMedialab. « Ils nous ont guidés à travers les usages et les outils médias numériques pendant plusieurs séances de travail, état de l’art, présentation des outils existants, etc.). »
Le dispositif média s’adapte aux usages de son public
Le nouveau dispositif média créé, fort justement intitulé Ici Rennes, multiplie les points de contact avec le public, en s’adaptant aux usages et aux temps de la journée. D’abord, via une application mobile gratuite. Développée par la société Niji, elle met à disposition quotidiennement plusieurs contenus utiles sur l’actualité des politiques publiques de la ville et de la métropole de Rennes. Avantages de l’application : « La personne qui choisit de l’installer est forcément intéressée par son contenu, et nous pouvons propulser l’information via les notifications. » L’application envoie des alertes en direct en cas d’urgence (fermeture d’un établissement, changement d’horaire, alerte pollution, grève, etc.) et propose l’envoi chaque samedi de l'Expresso, une newsletter qui récapitule toute l'actu de la semaine.
Ensuite, sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, Twitter, Instagram, chaque contenu produit est relayé via des publications aux formats adaptés.
Autre point de rencontre numérique, mais sur l’espace public : Ici Rennes produit et diffuse chaque semaine une vidéo d’information (30 secondes, format vertical sous-titré) sur la soixantaine de panneaux numériques installés dans les rues de la ville.
L’information rennaise se regarde et s’écoute aussi. Dernière composante du dispositif média numérique Ici Rennes : une plateforme de podcasts accessible sur l’application Ici Rennes, sur Soundcloud, sur iTunes, YouTube ou via les stories Instagram.
Ce recours à l’audio comme celui à la vidéo permet de toucher plus particulièrement les personnes que les magazines institutionnels ont du mal à atteindre, et notamment les jeunes et les personnes en difficulté avec l’écrit. Des publications print qui voient, avec l’émergence de ce nouveau média numérique, leur positionnement renforcé. « L’une des craintes soulevées était que la création d’Ici Rennes conduise à la suppression du magazine. Au contraire, nous créons des outils d’actualité numériques, du quotidien, qui par leur émergence renforcent la valeur ajoutée des publications print : celle du temps long. »
Une information attendue, mais comment ?
Qui dit multiplicité des supports, dit contenu pensé et conçu sur mesure en fonction de l’outil de diffusion utilisé : articles pensés « mobile first » pour l’application, vidéo verticale sous-titrée pour les panneaux numériques, stories ou graphisme social pour les réseaux sociaux, etc. Mais au-delà de l’adaptation aux usages spécifiques à tel ou tel support numérique, Ici Rennes s’appuie sur la diversification des formats éditoriaux. « La production de contenus pour Ici Rennes a changé notre façon de traiter l’information en installant une réflexion plus forte en amont de la production sur le bon format, la bonne diffusion, etc. » Ici Rennes traite l’actualité des politiques publiques en utilisant des outils et formats journalistiques les plus variés possibles, afin de correspondre à tous les usages : articles, vidéos longues, vidéos courtes, verticales et sous-titrées, infographies fixes ou animées, teasers, cartographies interactives, reportages sonores, documentaires, explorations data, etc.
Des journalistes polyvalents sur les formats et les supports
Au service information de Rennes, ville et métropole, sept journalistes produisent des contenus pour tous les supports print et web des deux collectivités dans une optique trans-média. Ils forment ainsi une seule et même rédaction multimédia, capable de traiter l’actualité selon les rythmes et les formats adaptés à chaque support. « Nous avons beaucoup d’actualités, environ trois ou quatre par jour sans compter les réseaux sociaux. Cela passe par une polyvalence forcément importante, une capacité de chacun à produire des contenus dans différents formats. » Une première formation en interne aux réseaux sociaux, puis une deuxième plus poussée ainsi que des formations spécifiques (dataviz, vidéo, etc.) ont permis à tous les journalistes de disposer d’un socle de connaissances minimum sur tous les outils et les apports de chacun dans le traitement de l’info. « Ensuite, en fonction des appétences de chacun, certains seront plus experts sur tel ou tel outil. Nous tenons une conférence de rédaction chaque jeudi. Chaque journaliste est chargé de plusieurs thématiques. Nous discutons de la meilleure manière de les traiter. »
Ce souci d’adaptation aux usages pour faire passer l’information à un maximum de citoyens s’associe à une attention à la pédagogie de l’information – dans la droite ligne de nombreux outils mis en place par la communication rennaise (budget, conseils, etc.) – et à sa transparence. « Nous ambitionnons de sortir du discours incantatoire pour passer au discours de la démonstration avec une transparence transversale à tous nos supports : interviews, vidéos, articles sont le plus souvent possible étayés par des éléments vérifiables et mesurables (chiffres, données), en accès libre sur la plateforme open data de Rennes Métropole. » Une nouvelle manière d’envisager l'information et la relation aux citoyens pour retisser un lien de confiance entre eux, la collectivité et les élus, qui a séduit le jury du Grand Prix Cap’Com 2019.
Un acteur essentiel du paysage médiatique local en partenariat avec des médias locaux et nationaux
Au-delà de cette reconnaissance des professionnels, la plateforme est en passe de réussir son pari de recréer du lien : 11 000 téléchargements de l’application en un peu plus d’un an et des contenus qui touchent chacun 15 à 20 000 personnes, loin des 40 à 350 vues au total par article sur l’ancien site internet. Ici Rennes est aujourd’hui un acteur du paysage médiatique local et noue de nombreux partenariats avec des médias et acteurs locaux et nationaux. Les enjeux pour l’avenir ? « La notoriété de ce média encore jeune, la recherche constante de nouvelles façons de toucher les habitants, notamment avec la mise en place de points d’écoute dans les lieux publics, le soin permanent de la réflexion et de la diversification éditoriale dans notre production de contenus », conclut Benjamin Teitgen.