Réhumaniser l’information sur les mobilités à l'ère digitale
Malgré la digitalisation et la multiplication des applications sur smartphone, beaucoup d’usagers et de potentiels utilisateurs se sentent encore seuls face à certains outils digitaux, mais aussi face aux nombreuses offres de mobilité qui émergent, constate Julien de Labaca, consultant et créateur du cabinet conseil Le facilitateur de mobilités. Un drôle de paradoxe auquel il est possible de remédier en réhumanisant l’information sur les mobilités. En amont de son intervention aux Rencontres nationales du marketing territorial d'Annecy ce 7 février 2020, il explore quelques pistes à partir d'initiatives françaises et européennes.
Par Julien de Labaca, consultant et créateur du cabinet conseil Le facilitateur de mobilités.
Lorsque, étudiant, j’étais contrôleur à la SNCF, j’avais observé chez les voyageurs un phénomène presque systématique : bien qu’ils disposent de la même information sur le quai, dans le train, dans le hall de gare et sur leur billet, ils venaient forcément me voir pour confirmer cette dernière. Ce constat, je l’ai observé pour le train, mais il devait vraisemblablement être le même pour d’autres modes de transport. Quinze ans plus tard, avec la digitalisation et la multiplication des applications sur smartphone, je pensais que ce besoin d’être rassuré, accompagné, conseillé aurait disparu. Il n’en est rien : beaucoup d’usagers et de potentiels utilisateurs se sentent encore seuls. Seuls face à certains outils digitaux, mais aussi seuls face aux nombreuses offres de mobilité qui émergent. C’est un drôle de paradoxe auquel il est possible de remédier.
Centraliser pour mieux informer
Les offres de mobilité se multiplient, c’est un fait. Cela signifie aussi que, bien souvent, les canaux d’information, de distribution et de vente sont différents et cloisonnés. C’est en partie pour cela qu’ont émergé progressivement des « maisons de la mobilité ». En règle générale, ces espaces permettent aux habitants de se renseigner en un même lieu sur les différentes offres de transport et d’acheter leurs titres. Ils sont le plus souvent situés au droit de lieux stratégiques : place principale, gare SNCF, gare routière… Parfois également, ils permettent de louer directement certains modes de déplacement (par exemple des vélos partagés). Ainsi à Grenoble, plusieurs maisons de la mobilité (ici on les appelle agences) ont été installées. Elles offrent informations et conseils sur l’offre de déplacement dans l’agglomération et vendent des titres de transport pour les offres urbaines, interurbaines et ferroviaires (principalement sur l’aire urbaine grenobloise et sur un périmètre plus étendu).
Ces maisons de la mobilité succèdent aux « kiosques » ou « bureaux » gérés en direct par les opérateurs de transports et sont donc une première étape importante dans l’amélioration et la centralisation de l’information. Néanmoins, elles ciblent encore majoritairement les offres de transports publics et rares celles qui sont enclines à intégrer d’autres niveaux d’offres : mobilité douce et/ou active (ex. : trottinette…), longue distance (ex. : covoiturage, TGV, cars « Macron »), ou encore offres de mobilité touristiques. Bref, il reste encore des marges de manœuvre pour répondre à un plus large spectre de demandes.
Accompagner pour déclencher les « nouvelles mobilités »
D’autant plus que, depuis la mise en place de ces premières « maisons », d’un côté les outils digitaux ont énormément évolué et de l’autre les offres de mobilité se sont multipliées. C’est pourquoi il devient essentiel, au-delà d’informer sur les offres de transports publics « historiques » et de vendre certains titres, d’aider réellement les utilisateurs à franchir le pas, à essayer. Cela signifie qu’il est désormais nécessaire de pouvoir leur apprendre à utiliser les différentes applications, à acheter des titres de transport directement en ligne ou encore à calculer leurs itinéraires via des apps. Il s’agit aussi de leur donner la possibilité d’essayer les différentes offres à disposition, en leur prodiguant les conseils de base. C’est exactement dans cette logique qu’a été lancé le Mobility Store de Bruxelles.
Durant une expérimentation de plusieurs mois, Bruxellois et visiteurs avaient accès à des informations sur la totalité des offres de transport présentes dans la capitale belge, en un même lieu. Comment ? Grâce à trois Mobility Angels (des conseillers) présents en permanence, à une toolbox interactive et à un panneau d’affichage multimodal à disposition. Il était également possible d’essayer des véhicules partagés, tels que des trottinettes, des vélos électriques… C’était aussi un espace de showroom pour plusieurs services de mobilité : SNCB, Billy Bike, Poppy, Ahooga, Edenred, Vias, Jeasy… C’était enfin un lieu neutre pour accueillir tout type d’événement sur la mobilité. À ce jour, les discussions sont en cours pour pérenniser ce type d’initiative (lancée jusquà présent à 100 % avec des financements privés).
Mixer enfin tourisme et mobilité
Lorsque l’on commence à réfléchir à comment donner plus de substance aux maisons de la mobilité, comment aller plus loin qu’une information souvent monomodale, comment adresser des publics nouveaux (ex. : les visiteurs), on en arrive systématiquement à une même conclusion. Il existe déjà des lieux où les agents connaissent très bien le territoire, où ils ont été formés à l’accueil de tous les publics, où ils disposent d’outils pensés pour renseigner sur un large champ d’action. Ces lieux, il y en a environ 1 500 en France : ce sont les offices de tourisme. Et la petite enquête que j’ai menée auprès d’une centaine d’entre eux m’a confirmé que les agents qui y travaillent sont justement particulièrement sollicités pour obtenir des informations sur les offres de mobilité. Alors pourquoi ne pas créer des « maisons de tourisme et de la mobilité » ? Est-ce une idée farfelue ? Visiblement, pas du tout, puisque ce type d’initiative existe déjà. À Annemasse, une maison de la mobilité ET du tourisme vient de sortir de terre. L’objectif de la municipalité était simple : regrouper au sein d’un même lieu l’information sur tous les opérateurs et être en mesure de répondre aux besoins des usagers en termes d’offres culturelles et touristiques. Cette expérience est à suivre de près. Mais dans une région aussi touristique, à proximité immédiate de la gare, et bénéficiant de l’arrivée du Léman Express et d’un ensemble de nouvelles offres de mobilité, on ne voit pas pourquoi ça ne serait pas un succès. Les élus ont d’ailleurs d’ores et déjà évoqué les évolutions à venir : « Ce lieu va devenir progressivement lieu de vente, de renseignement, de conseil, d’animation et de sensibilisation sur la thématique phare de la mobilité. »
Mais le concept de lier mobilité et tourisme n’est pas nouveau. En 2015, à Londres, l’autorité organisatrice de transports (TfL, pour Transport for London) a créé sept espaces d’information sur les mobilités, spécifiquement conçus pour les visiteurs : les London Visitor Centres. Ces espaces sont une évolution des Travel Information Centres qui existaient déjà dans la capitale mais n’étaient plus adaptés à l’évolution du marché touristique. En améliorant l’accueil des visiteurs et en proposant de véritables offres de mobilité touristique, ces espaces sont de plus en plus sollicités et poussent TfL à se réinventer à et innover en permanence.
Créer une expérience agréable et partagée
Lentement mais sûrement, les choses évoluent. Mais à l’époque où tout le monde parle de tiers lieux, de hubs, de coworking, pourquoi ne pas pousser le concept et faire de ces « maisons de la mobilité et du tourisme » de véritables lieux hybrides ? Pas uniquement des lieux où l’on vient se renseigner ou recharger sa carte de transport, mais des lieux agréables, des lieux d’échanges… bref, des lieux où n’importe qui aurait envie de s’arrêter. Des lieux où il serait possible de s’asseoir, de prendre un café, de lire différents ouvrages pour mieux connaître le territoire. Des lieux où il serait possible d’écouter des micro-conférences organisées sur des initiatives territoriales, touristiques. Des lieux où des habitants pourraient intervenir (sortes de « greeters ») et mettre à disposition leur connaissance du territoire. Une idée farfelue ? Encore une fois, pas tant que ça, puisqu’à Édimbourg, Lothian Buses, l’opérateur du réseau de transports urbains, a lancé un espace dédié à la mobilité (TravelHub) mais aussi aux touristes. Il est possible de s’y renseigner et d’acheter des titres de transport… rien de neuf au soleil ! Mais ce lieu est aussi un coffee shop, et propose même un espace d’attente VIP permettant aux usagers de la ligne de bus express entre le centre-ville et l’aéroport de patienter confortablement avant l’arrivée de leur navette. Cet espace est situé en plein centre-ville d’Édimbourg.
À l’heure où les villes se réinventent, où le tourisme explose, où les mobilités se multiplient, où le transport se digitalise, prenons le recul nécessaire. Il ne s’agit pas de réinventer la roue, mais juste de remettre du bon sens et de l’humain dans l’information aux voyageurs. Pendant les grèves des transports, les usagers préféraient-ils demander de l’aide à un gilet rouge ou regarder leur app SNCF ? Ce constat vaut pour les locaux, mais d’autant plus pour les touristes, qui ne connaissent pas le territoire. L’être humain n’est jamais autant rassuré que par le contact avec un autre humain. Il y a de formidables synergies à créer entre les formidables outils digitaux qui sont déjà à notre disposition et tout le service potentiel que nous pouvons créer autour. C’est aussi une formidable opportunité pour réinventer le rôle de chacun dans l’information aux citoyens, et ce pas uniquement sur les questions de mobilité. Tout cela passe par des LIEUX qui doivent devenir des repères accueillants, chaleureux tout en étant utiles et attractifs.