Réseaux sociaux des collectivités et élections : essayons d’y voir clair !
Les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans la vie publique. Élus et collectivités s’en sont saisis. Mais en période électorale, le juge de l’élection a été amené à statuer sur les usages. Facebook, Twitter, chaque réseau a ses particularités. À l’approche des municipales de 2020, quelques conseils aux communicants publics pour respecter les règles qui s’appliquent et ne pas compromettre l’élection.
Avocate au barreau de Strasbourg, ancienne directrice de cabinet en collectivité, et formatrice pour le réseau Cap'Com, Rolande Placidi (r.placidi@placidi-avocats.eu) intervient en droit électoral, droit de la communication et sur les questions touchant à l’intercommunalité. Elle accompagne de nombreuses collectivités dans leur stratégie de maîtrise des risques liés à leur communication. Dans la perspective des élections municipales et communautaires de 2020, elle explique ici les règles applicables à la communication publique en période électorale et dispense quelques conseils aux communicants publics pour mieux en appréhender les spécificités.
Les réseaux sociaux prennent une place de plus en plus prépondérante dans la vie politique. Chaque élu, chaque collectivité souhaite être sur les réseaux afin de pouvoir échanger avec les internautes. Ces outils de communication ont fait leur entrée dans les campagnes électorales et le juge de l’élection a été amené à statuer.
1. Réseaux sociaux : définition
Twitter est un réseau social de microblogage qui permet à des internautes de publier gratuitement des messages courts (tweets) limités à 280 caractères. Ces messages permettent à l’internaute d’exprimer une opinion, de donner un avis ou encore de partager un contenu ou une information en temps réel soit par le biais d’une messagerie instantanée soit par SMS. L’ensemble de ces messages constitue un flux.
Une page Facebook est dans le vocabulaire « officiel » de la plateforme une page ou un ensemble de pages créé pour le compte d’une entreprise, d’une marque ou d’une organisation. La page Facebook se distingue donc du profil Facebook réservé aux individus et qui ne peut être utilisé par une organisation. La création d’une page Facebook permet de recruter des fans alors que celle d’un profil permet de se constituer des amis.
La page Facebook est donc à différencier du profil Facebook. Ce qui est permis par l’une n’est pas autorisé par l’autre. Un tableau synthétique permet d’identifier les différences importantes entre le Profil et la Page Facebook.
La question de l’utilisation et des potentialités offertes par le profil ou la page Facebook est synthétisée dans le tableau ci-après :
En bref
Un maire aura un profil Facebook.
Une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale aura une page Facebook.
Un candidat aura un profil Facebook.
Une liste de candidats aura une Page Facebook.
2. L’utilisation des réseaux sociaux par la collectivité
La collectivité qui développe une page Facebook ou un maire (en cette qualité) qui développe un profil Facebook devra respecter les règles édictées par le code électoral.
Utiliser internet et les réseaux sociaux pour accroitre la visibilité d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale est légitime. Cependant, les communicants publics veilleront à bien faire respecter les règles qui s’appliquent en période électorale et qui ont été rappelées dans l’article précédemment publié.
La mésaventure d’un maire candidat aux élections municipales de mars 2014 appelle en effet à la prudence. En 2012, ce maire avait créé une page Facebook intitulée « Mairie de Hermes » , de statut public au sens des règles de confidentialité de ce réseau social. Cette page était donc un outil de communication institutionnelle puisqu’elle comportait des informations sur l’actualité municipale.
Cependant, au fur et à mesure de l’approche des élections municipales, le maire a utilisé cette page Facebook à des fins de propagande électorale. Le Conseil d’État relève ce glissement de la façon suivante :
« En ce qui concerne le grief tiré de la manœuvre constituée par l'utilisation d'un réseau social pendant la campagne électorale :
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que M.A..., maire sortant, a créé en 2012 une page " Facebook ", de statut " public " au sens des règles de confidentialité de ce réseau social, intitulée " Mairie de Hermes ", dont la " photographie de couverture " représentait une vue de la commune et la " photographie de profil " l'hôtel de ville, afin de promouvoir son action en qualité de maire ; que y ont été publiés, jusqu'à la veille du scrutin du 23 mars 2014, notamment, des informations sur l'actualité municipale, le plus souvent illustrées de photographies et accompagnées de commentaires valorisants, des échanges épistolaires entre le maire et ses administrés ou des prestataires de services de la commune, un extrait du bulletin de service interne de la police municipale, la composition de la liste qu'il conduisait, des commentaires sur la liste adverse ainsi que des liens vers différents sites informatiques, parmi lesquels celui de la liste que conduisait M. A...et celui de la commune de Hermes intitulé " Ville de Hermes ", sur lequel M. A...a utilisé sa page " Facebook " intitulée " Mairie de Hermes " pour répondre aux questions de certains administrés ;
5. Considérant que la page " Facebook " créée par M. A...était de nature, compte tenu de son intitulé " Mairie de Hermes ", de son contenu mélangeant informations institutionnelles et propagande électorale, de son ton initialement proche de celui d'un bulletin municipal puis progressivement polémique, au fur et à mesure que s'approchait la date du scrutin, et de son interaction avec le site web officiel de la commune de Hermes, à créer une confusion dans l'esprit des électeurs ; qu'il est par ailleurs établi que 53 connexions ont interagi avec cette page entre le 5 et le 12 mars 2014 ; qu'ainsi, l'utilisation de cette page, qui était en libre accès compte tenu de son statut " public " au sens des règles applicables au réseau social qui la contenait, a constitué une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, eu égard à l'écart de cinq voix séparant la liste conduite par M. A...et celle conduite par M.D... ; »
(CE, 6 mai 2015, req. n° 382518)
Compte tenu du très faible écart de voix (cinq voix), le Conseil d’État a confirmé l’annulation du scrutin.
En bref
Le juge de l’élection adopte donc une attitude très pragmatique lorsque la question des réseaux sociaux est posée en matière électorale. Le critère déterminant reste bien celui du contenu des messages. Le juge s’assure que les réseaux sociaux d’une collectivité territoriale ne sont pas utilisés par des candidats sortants. Cela implique donc que les candidats distinguent bien leurs réseaux sociaux et ceux de la collectivité territoriale.
Les communicants publics veilleront particulièrement à ce que les maires ayant constitué un Profil Facebook « maire » ou une page Facebook « commune » - « département » - « régions » ou « EPCI » n’utilisent pas ces pages comme des outils de propagande électorale.
Il importe en réalité que les candidats à une élection créent soit un profil Facebook « candidat » (sans aucune publicité possible afin de respecter les dispositions de l’article L.58-2 alinéa 2 du code électoral), soit une page Facebook liste de candidat.
La même règle doit être appliquée aux comptes Twitter de façon à identifier si le message provient de l’élu, de la collectivité, du candidat ou de la liste.
3. L’utilisation des réseaux sociaux par les candidats
Les réseaux sociaux sont des outils de communication appréhendés par le Code électoral. Ainsi l’article L.48-1 du Code électoral n’est on ne peut plus explicite en affirmant que : « les interdictions et restrictions prévues par le présent code en matière de propagande électorale sont applicables à tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique ».
Dès lors, les candidats et leurs équipes seront particulièrement vigilants s’agissant de l’utilisation des réseaux sociaux pendant la campagne électorale. La jurisprudence récente invite les candidats à respecter ce conseil.
En matière de propagande électorale, le Code électoral interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale (art. L.48-2 du Code électoral).
L’article L. 49 du code électoral interdit, la veille du scrutin à partir de zéro heure, toute diffusion de messages ayant le caractère de propagande électorale en ces termes : « à partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ». Cet article ajoute explicitement « qu’il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ».
Il en résulte que même sur Facebook ou sur Twitter, les règles de propagande électorale doivent être respectées.
La jurisprudence récente le rappelle.
Le tribunal administratif de Strasbourg a ainsi prononcé l’annulation des élections municipales du 30 mars 2014. En effet, le protestataire soutenait que le maire sortant avait publié deux tracts sur la page Facebook de son comité de soutien et sur celle de son premier adjoint. Si le maire sortant soutenait que la page Facebook consacrée à sa liste avait été figée dès le vendredi 28 mars 2014, les magistrats ont cependant souligné que cette affirmation était fausse en relevant que « il résulte de l’instruction que plusieurs documents ont été effectivement ajoutés dans la nuit du 28 au 29 mars, à 0h38 et 0h50 sur le site du comité de soutien à la liste du maire sortant », « de même que sur le site [de son premier adjoint] ». Le tribunal en a alors déduit que : « la diffusion de telles informations, la veille même du scrutin, à un moment où la campagne électorale était normalement close, doit être regardée comme une opération de propagande électorale prohibée ».
Mais pour aller jusqu’à prononcer l’annulation du scrutin, les juges se sont appuyés sur des éléments bien particuliers. Premièrement sur le contenu des documents diffusés. « Le premier de ces documents prend la forme d’un tract de propagande électorale signé par le maire en cette qualité, rédigé sur un ton particulièrement polémique et mettant personnellement en cause M. H…, lequel y était accusé de mensonge ou d’incompétence » : le juge apprécie donc le contenu du tract. Quant au second document, il comportait « une liste de personnalités présentées comme ayant apporté leur soutien à la liste de M. M…. , assortie des commentaires favorables à celui-ci et à sa liste ».
Deuxièmement, les magistrats se sont penchés sur l’impact qu’avait eu la diffusion de ces documents. Car le problème est que « le caractère tardif de cette diffusion interdisait matériellement à la liste menée par M. H… d’y répondre ». C’est d’ailleurs l’une des principales raisons ayant conduit l’édiction de cette règle. Sauf que dans le cas présent, le tribunal administratif relève « que ces différents messages ont effectivement donné lieu à consultation de la part du public sur le site électronique, seize personnes ayant d’ailleurs indiqué les « aimer ». » Ainsi, l’écart de 17 voix entre les deux listes, qui est très faible, conduit le juge de l’élection à sanctionner cette irrégularité qui a été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
(TA Strasbourg, 10 juin 2014, req. n° 1402111)
Le Conseil d’État a également annulé les élections municipales dans la commune de Voisins-le Bretonneux en raison d’une part du faible écart de voix entre les deux listes (15 voix) et de la diffusion d’un nouveau message de propagande électorale le samedi 29 mars 2014. Ce message appelait à voter pour la liste de Mme E… sur la page Facebook d’un groupe dénommé « Tu sais que tu viens de Voisins-le-Bretonneux quand ». La Haute juridiction a ainsi relevé que cette diffusion contrevenait aux dispositions de l’article 49 du code électoral, que ce message a été publié auprès d’un groupe de 753 membres alors que l’écart de voix entre les deux listes n’était que de 15 voix et sur une page qui était ouverte à la consultation publique.
(CE, 25 février 2015, req. n° 385686)
Plus récemment encore, des posts Facebook sont à l’origine de l’annulation de l’élection d’un député. Le Conseil constitutionnel a relevé dans l’affaire qu’il avait à examiner que l’écart de voix entre les deux candidats était très faible (huit voix) ; que le candidat à la députation par ailleurs maire de la commune avait publié le dimanche 18 juin 2017 à 15 heures 52, sur la page Facebook dédiée à ses fonctions de maire de Montargis, une photo le représentant prononçant un discours à l’occasion de la cérémonie commémorant l’Appel du 18 juin. Ce discours faisait état de « l’affluence à cette commémoration officielle », qu’en outre un adjoint au maire de Montargis avait publié le dimanche 18 juin, à 11 heures 42 sur sa page « Facebook » personnelle des éléments de propagande électorale. Ainsi cet adjoint avait fait état de son vote en faveur du maire candidat à la députation et avait invité les électeurs « à choisir l’expérience face à l’aventure ». Le Conseil constitutionnel relève que « eu égard à la faiblesse de l’écart de voix entre Monsieur D… et Mme H… à l’issue du second tour de scrutin, la diffusion de ces messages le jour du scrutin sur des pages « Facebook » qui ne revêtaient pas un caractère privé au sens des règles de confidentialité de ce réseau social a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Il a en conséquence annulé l’élection législative attaquée. (Cons. Const. 18 décembre 2017, décision 2017-5092, A.N. Loiret (4ème circ), Mme Mélusine HARLÉ)
À l’inverse, le juge de l’élection n’a pas sanctionné la diffusion de trois messages sur réseau Twitter eu égard à la nature des message en cause, à leur contenu, exempt de tout élément nouveau de polémique électorale, ainsi qu’à l’écart de voix séparant les deux listes arrivées en tête au second tour. Cette diffusion n’a pas été, compte tenu de l’espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin.
(CE, 17 juin 2015, req. n° 385859)
De même, un candidat et ses soutiens peuvent twitter la veille d’un scrutin à condition que ces messages n’apportent aucun élément nouveau au débat.
(CE, 27 juin 2016, req. n° 395413)
En bref
Les candidats donneront comme consignes à leurs équipes et aux candidats figurant sur leur liste de :
- ne pas diffuser un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale,
- ne diffuser aucun message sur les réseaux sociaux la veille du scrutin à partir de zéro heure. En clair, aucun message ne doit être diffusé le samedi à partir de zéro heure.
Il est inutile de faire disparaître un message : ceux-ci sont horodatés et une capture d’écran est très simple à faire.
Enfin, plus l’écart de voix entre les candidats sera faible plus le risque d’annulation de l’élection sera important en cas de non-respect de ces règles.
4. Selfisoloir et élections
Le tribunal administratif de Strasbourg a considéré qu’un selfie, capturé dans l’isoloir et faisant apparaître le bulletin de vote choisi, ne constituait pas un acte de propagande susceptible d’exercer une influence sur les électeurs.
Les filles d’un candidat sur une liste aux élections municipales ont publié sur leur compte Facebook - à 14h19 le dimanche 23 mars 2014 - une photographie capturée dans l’isoloir. Elles montraient de manière identifiable leur bulletin de vote pour la liste sur laquelle figurait leur père (ce candidat n’était pas tête de liste).
Le juge de l’élection va rechercher l’influence de ces selfies sur les électeurs de la commune. Le rapporteur public considère que cette influence est très marginale pour les raisons suivantes :
- En premier lieu, les photographies numériques apparaissent sur la page d’accueil du compte Facebook des intéressées mais elles ne sont accessibles qu’aux seuls amis de ces deux personnes. Le juge constate que parmi ces amis, il n’est pas établi qu’il y aurait eu de nombreux électeurs de la commune ;
- En second lieu, les commentaires publiés sous ces deux selfies sont tout à fait insignifiants ;
- En troisième lieu, le juge tient compte de la personnalité de l’électeur qui a publié cet autoportrait sur la page Facebook. Il s’agit d’un simple électeur et non pas d’une personnalité locale ou encore du candidat lui-même. La notoriété de celui qui met en ligne est donc un élément d’appréciation pour le juge de l’élection ;
- En quatrième lieu, la publication est intervenue à 14h19, alors que 70% des votants s’étaient déjà rendus aux urnes. La publication du selfie sur la page Facebook n’a donc pas eu pour effet de conduire des électeurs à se rendre au bureau de vote ;
- En cinquième lieu, le juge de l’élection tient, comme traditionnellement, compte de l’écart de voix entre les deux listes. Cet écart de voix représentait plus de 5% des suffrages exprimés (6,7% exactement).
Le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que les deux filles de l'un des candidats à l'élection municipale de Vahl-lès-Faulquemont ont, le jour du scrutin à 14h19, posté sur le réseau social Facebook des « selfies », autoportraits photographiques pris dans l'isoloir, présentant en fond d'écran la liste sur laquelle figurait leur père et accompagnés du commentaire « A voté ! ça... c'est fait ! ! ! ! » et « Dans la vie il faut savoir faire le bon choix... A voté ! » ; que le requérant, qui soutient que cette pratique est contraire aux dispositions législatives sus rappelées, n'établit pas cependant que ces publications, qui n'étaient accessibles qu'aux personnes ayant volontairement accompli une démarche spécifique pour accéder au réseau dont il s'agit, ont eu un écho significatif auprès de la population ; qu'il n'est pas davantage établi que le bureau de vote a connu une affluence plus marquée dans l'après-midi qui a suivi la publication des « *selfies » ; que ces messages et les commentaires qui s'en s'ont suivis, dont le contenu était sans lien réel avec le débat électoral, n'ont pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin dès lors qu'il manquait 11 suffrages au premier candidat non élu de la liste dirigée par M. C... pour obtenir la majorité absolue qui s'établissait à 82 voix ; qu'il s'ensuit que la protestation susvisée ne peut qu'être rejetée* » (TA Strasbourg, 20 mai 2014, req. n° 1401578)
En bref
Les candidats s’abstiendront le jour du scrutin d’utiliser les réseaux sociaux pour convaincre les électeurs d’aller voter.