Sobriété éditoriale : renoncer pour mieux communiquer ?
Dans tous les domaines, nous sommes invités à réduire la voilure. Il en va de même en communication. Seulement voilà, éviter certaines actions, c’est très facile à dire, mais lesquelles ? Faisons le point avec Ferréole Lespinasse, spécialiste de la rédaction, à travers l’approche par la sobriété éditoriale et une série de bonnes pratiques faciles à mettre en place pour des contenus plus sobres et efficaces.
Ferréole Lespinasse intervient en conseil et formation en rédaction auprès de collectivités, entreprises et TPE, depuis 2010, au sein de Cyclop Éditorial. Formatrice pour le réseau Cap'Com, elle est l'autrice de Sobriété éditoriale : 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web (Publishroom, 2022), qui accompagne pas à pas les communicants dans toutes les étapes de la création d’un contenu.
Appuyons-nous sur la loi de Pareto : celle-ci énonce que seulement 20 % de nos actions sont suivies de résultats. Autrement dit, 80 % de nos actions sont inutiles.
D’ailleurs, c'est un chiffre que l’on retrouve avec Isabelle Canivet, spécialiste en stratégie de contenus, et architecture d’information, qui, après avoir analysé bon nombre de sites, conclut que seulement 20 % des contenus d’un site génèrent l’essentiel de son trafic.
Là encore, 80 % des pages produites et écrites par les communicants n’ont pas d’effet.
Allons plus loin, l’étude de la société Ahrefs – qui aurait dû alerter déjà tous les communicants – annonce que 90 % des pages du web n’ont aucun trafic.
Si renoncer peut sembler difficile en raison de l’attachement à certaines actions, ici le constat est facile à faire : 80 % de nos actions sur le web ne sont pas suivies d’effet.
Cela dit, un dernier point plus qu’épineux subsiste : comment sélectionner les actions à éviter ? Comment s’ôter de l’affreux doute d’avoir stoppé celles qui sont efficaces ?
Il est délicat de distinguer d’où vient précisément le retour sur investissement de ses actions : quels supports, quels messages, quel moment de publication ?
Il devient urgent de moins communiquer, voire de renoncer
Alors, pour se donner bonne conscience, on va éco-concevoir ses supports de communication et calculer l’empreinte carbone de ses actions. Une manière de vérifier qu’on ne fait pas trop d’actions irresponsables. Mais ce n’est pas suffisant. Il devient urgent de moins communiquer, voire de renoncer.
Pour deux raisons :
1. La charge mentale des publics
Une étude de la Fondation Jean Jaurès sur la fatigue informationnelle des Français révèle que :
- 53 % des Français souffrent de fatigue informationnelle ;
- 72 % d’entre eux déclarent qu’il leur arrive de limiter ou même de cesser de consulter les informations, dont 27 % régulièrement.
La charge mentale de tout un chacun est énorme. Entre notifications, mails, pubs et autres SMS, nous recevons environ 1 200 messages par jour.
D’après l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique :
- 70 % des collaborateurs interrompent leur tâche quand surgit une notification.
(À noter : la durée moyenne des tâches était de 15 à 20 minutes en moyenne dans les années 1980, elle n’est plus aujourd’hui que de 4 minutes 30.)
La part du temps de travail hebdomadaire sans interruption est de :
- 42 % pour un collaborateur ;
- 11 % pour un dirigeant, soit 5 créneaux libres d’une heure sans mail.
2. La charge de travail des agents
Les métiers de la communication perdent leur sens, et sont axés sur un nombre de posts à publier pour espérer des likes, d’innombrables plateformes à remplir, etc.
La charge mentale des agents entraîne bon nombre de burn-out et de désintérêt du travail.
Comme le souligne l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles : « Si les TIC (technologies de l'information et de la communication) améliorent la productivité, elles participent aussi au développement des risques psychosociaux, qui peuvent conduire notamment à l’épuisement professionnel. » L’INRS a même consacré un guide au sujet : Communiquer avec les outils numériques : risques et pistes de prévention.
Ne nous cachons plus derrière une obligation de moyens
Le communicant public oscille entre une obligation de communiquer et l’absence de certitude sur l’efficacité de son action.
Comme souvent en communication, il y a une obligation de moyens. Alors on tape partout et très fort au cas où, pour éviter de se faire taper sur les doigts.
Car, et c’est bien connu, si l’action ne fonctionne pas, la faute reviendra à la communication, éternel fusible dans les organisations.
Prenons un exemple : si un événement n’a pas le succès escompté, est-ce la faute d’une mauvaise communication ? Ou est-ce parce que l’événement n’intéresse pas du tout ?
La communication ne se résume pas à des canaux, elle supporte une stratégie. C’est bien celle-ci qu’il convient de remettre en cause.
Dans ce contexte, comment changer la communication et réduire la voilure ?
Et si nous transformions nos manières de communiquer ?
Les chiffres énoncés plus haut attestent d’une inefficacité de certaines actions de communication qui provoquent une surcharge mentale pour nos publics.
Ils attestent à quel point faire de la communication as usual n’est plus possible.
Voilà tout l’objectif porté par la sobriété éditoriale : « Dans un contexte d’obésité informationnelle, l’approche par la sobriété éditoriale questionne les origines du dysfonctionnement. En considérant le besoin, elle évalue l’intérêt d’un contenu au regard de son utilité pour le public et de son efficacité pour la communication de l’organisme. »
La sobriété éditoriale soulève plusieurs questionnements :
- la stratégie de communication : les messages sont-ils efficaces et adaptés ?
- la qualité du contenu versus la quantité ;
- le dispositif de communication : quels supports investir avec quelle empreinte numérique ? Quel est le format le moins énergivore ?
- la fréquence de publication : quel rythme pour respecter l’internaute ?
- le cycle de vie du contenu : à quel moment un contenu est-il mis à jour et supprimé ?
- le temps de travail du communicant : comment rationaliser sa production ?
L’objectif poursuivi, cela va sans dire, est de préserver une expérience de qualité pour nos publics.
Les conséquences heureuses de cette sobriété sont le ralentissement de sa diffusion de contenus, donc une optimisation du temps de travail pour davantage de respect de la charge mentale de l’internaute.
Se concentrer sur l’information essentielle
Les principaux enjeux de la communication publique sont le service aux usagers, l’information aux citoyens, la pédagogie sur l’action publique et la promotion du territoire.
La qualité du contenu, c'est un équilibre à trouver entre l’information utile pour l’usager tout en valorisant avec subtilité l’action publique.
Renoncer, c’est choisir. Pour accompagner ce choix, une grille de lecture pertinente est de s’appuyer sur les 17 objectifs de développement durable (ODD) énoncés par l'ONU. Si mon contenu ne répond pas à ceux-ci, je peux envisager sereinement de ne pas le produire.
Quelques bonnes pratiques pour des contenus plus sobres
Les actions à mettre en place rapidement et facilement
- Entretenez votre patrimoine éditorial et vérifiez la mise à jour de l’ensemble des contenus.
- Supprimez le contenu obsolète de votre site.
- Transformez les contenus qui n’ont plus d’intérêt en l’état, mais dont vous souhaitez garder trace. Par exemple, transformez une actu ou une page en l’ajoutant à une liste recensant les actions d’un mandat.
- Réutilisez : placez en brouillon les contenus produits dans le cadre d’un événement annuel par exemple.
Avant de produire un contenu, interrogez :
- son utilité : répond-il à un besoin des publics ? Traite-t-il l’un des 17 ODD ? Sera-t-il efficace pour mes objectifs stratégiques ?
- sa pérennité : si sa durée de vie est éphémère, je peux envisager de renoncer à produire ce contenu. Ou le réserver uniquement pour les réseaux sociaux ;
- son format : déterminez le format le plus efficace pour répondre aux besoins de vos usagers et faciliter la compréhension tout en étant le moins énergivore possible.
Si je décide de produire un contenu
Je m’assure qu’il est :
- écrit en langage clair, et que l’information est compréhensible facilement ;
- utilisable, c’est-à-dire qu’il facilite le passage à l’action. Loin d’un contenu égocentré, il doit nourrir le besoin en information de l’usager ;
- entièrement original et qu’il est complet pour éviter d'ajouter au brouhaha du web. Je peux très bien faire des renvois vers des ressources existantes. Je peux aussi décider de mettre à jour un contenu plutôt que d’en créer un nouveau ;
- encadré dans un cycle de vie. Dès que je crée un contenu, j’inscris sa mise à jour, sa suppression dans mon calendrier.
Dans le cadre d’un contenu obligatoire, et si je suis secrètement dubitatif quant à sa pertinence, je prête une attention accrue à :
- son format : par exemple, j’optimise le format d’un pdf relatant un conseil communautaire ;
- sa lisibilité : avec des sous-titres, des encarts, un résumé ;
- son archivage : il faut qu’il soit régulier en fonction de ce qu’impose la loi, un an, cinq ans…
Toutes ces bonnes pratiques accompagnent la mise en place de la loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique (REEN).
Enfin, elles répondent aux besoins des générations entrantes sur le marché du travail qui souhaitent donner plus de sens à leur travail.
Pour aller plus loin
- Le livre Sobriété éditoriale, 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web : un accompagnement pas à pas dans toutes les étapes de la création d’un contenu.
- Le Référentiel de conformité sobriété éditoriale : une liste de règles qui permettent d’évaluer la maturité en sobriété éditoriale de votre site.