Triomphe de « Kaizen » : le code a changé et les politiques ne le voient pas !
Pourquoi il est indispensable de regarder le documentaire du youtubeur Inoxtag.
Par Vincent Lalire, responsable de la communication interne du département de la Seine-Maritime.
Souvent je m’interroge sur la petite flamme (la mienne, pas celle des JO) qui me permet de garder intact l’intérêt pour ce métier depuis trente ans. Je pourrais être gagné par une certaine lassitude. M’engourdir de poncifs répétés à l’envi sur la com et ses fondamentaux. Blasé par une profession dont le but est souvent de créer une illusion collective sur mille et un sujets : comment faire adhérer, comment faire aimer, comment faire comprendre ?
Et pourtant non ! Ce métier me retient à chaque fois par le col. Toute pulsion d’abandon est immédiatement contrecarrée par la survenance d’un nouveau phénomène : fait de société, nouvel outil, tendance... L’état des lieux de sortie que je projette disparaît aussi vite que naît l’envie de renouveler le bail pour comprendre la chose nouvelle qui se présente. La lassitude cède alors le pas à l’excitation. Mon envie d’en découdre, de comprendre la tendance et de m’en inspirer est intacte.
Ces phénomènes sont sporadiques, déstabilisants, motivants. Dernier en date : celui du triomphe de l’influenceur Inoxtag – de son vrai nom Inès Benazzouz – dont le récit de l’ascension de l’Everest a explosé littéralement les compteurs de vues sur YouTube mais surtout réinventé le genre « documentaire » français pour toute une génération… Pardonnez du peu !
Donc un gamin de 22 ans, ultra connu des 15-25 ans (mais illustre inconnu de leurs parents), décide de grimper sur le toit du monde. Ce n’est ni le premier, ni le dernier. On repassera pour la nouveauté. Et pourtant, son récit de 2 h 26 est un tournant. Un exercice inédit de narration aventurière (d’un budget de plus d’un million d’euros quand même) totalement adapté à son époque et d’un impact sans précédent. Deux éléments pour en témoigner. D’une part le jeune influenceur remplit le 14 septembre toutes les grandes salles de cinéma de France et de Navarre pour une projection unique de son film qui sera pourtant disponible gratuitement le lendemain sur YouTube.
Plus de 300 000 billets vendus ! Quel documentaire français peut revendiquer autant d’entrées en si peu de temps depuis que le cinéma existe ? Et cela sans aucune campagne de pub sinon celle qu’orchestre savamment depuis un an le jeune homme sur son compte Instagram.
D’autre part, les 12 millions de vues du fameux film en moins de 24 heures sur YouTube. Tout simplement historique. Elles sont le fruit d’un suspense brillamment entretenu par l’auteur auprès de son jeune public. Arrivera-t-il ou non au sommet de l’Everest ? Un storytelling de folie, des images à couper le souffle et surtout un mode de narration qui plaît autant à ses spectateurs qu’il peut faire fuir leurs géniteurs. Car oui, à coups de « brother », « frère », « frérot », « j’m’en bats les couilles », et autres « je m’chie dessus », les réfractaires seront légion. Mais il est impératif de regarder le doc avant de juger.
Avec cette génération, comme celles qui l’ont précédée, la langue évolue, le vocabulaire se réinvente, tout comme la musique, la danse, la mode... et l’image. Le code a changé (leur code a changé) et les politiques ne le voient pas ! Ou pas assez. Combien de fois, au sein du réseau professionnel Cap’Com, nous sommes-nous interrogés sur l’imperméabilité des jeunes aux discours de leurs représentants… et souvent aux contenus éditoriaux de leurs communicants ? Combien d’argent public dépensé sans résultat ?
« Désintoxiquez-vous des réseaux sociaux, [...], ne vivez pas l’aventure à travers les autres mais vivez pleinement la vôtre. » Combien de campagnes institutionnelles ont tenté – en vain – de faire passer ce même message ?
Oui, tenons-nous-le pour dit : les moins de 30 ans et les plus de 50 vivent sur des planètes culturelles différentes. Se convaincre du contraire est illusion. Mais ces planètes peuvent se rencontrer, échanger, finir par se comprendre. Il ne s’agit surtout pas de singer les youtubeurs, de s’emparer de leurs codes ou tenter de les imiter. Ce serait aussi idiot que de demander à un responsable politique d’enfiler un sweat à capuche et une casquette pour dialoguer avec eux. Mais décrypter leurs contenus, les aider à en produire de nouveaux « sans essayer de leur bourrer le mou », est indispensable.
Ce qui est intéressant dans le documentaire du jeune youtubeur est moins l’exploit sportif en lui-même – finalement assez banal – que le message qu’il veut faire passer à sa génération. En résumé : « Désintoxiquez-vous des réseaux sociaux, arrêtez de scroller comme des zombies, jetez votre smartphone par la fenêtre, ne vivez pas l’aventure à travers les autres mais vivez pleinement la vôtre. » Combien de campagnes institutionnelles ont tenté – en vain – de faire passer ce même message ?
Naturellement, on n’est pas dupes. Cette machine à générer des millions de vues vise aussi à rapporter des fortunes. Les sponsors en pagaille ont compris tout l’intérêt de s’associer à la démarche : on ne compte pas les placements de produits dans le reportage. Il n’empêche. Le documentaire d’Inoxtag a touché toute une génération comme aucun avant lui, et nous devons clairement en tirer les leçons pour notre profession.