Une France inquiète, selon l’étude « Le cœur des Français »
La France n’est pas en colère. C’est l’inquiétude qui correspond le plus à ce que ressentent les Français, a déchiffré Jean-Daniel Lévy, directeur délégué stratégies politiques et d’opinion d'Harris Interactive. Devant des communicants publics parisiens lors d’une réunion organisée par Cap’Com, il a décortiqué l’étude « Le cœur des Français ».
Les mouvements sociaux ne traduisent pas un profond sentiment d’exaspération, les haines déversées sur les réseaux sociaux ne révèlent pas une opinion publique révoltée. Une majorité de Français s’affirment inquiets. Cette inquiétude n’est pas due à la pandémie. L’étude établit que ce sont le dérèglement climatique, l’avenir de leurs enfants, le terrorisme, la délinquance et les inégalités qui suscitent les craintes de plus de 8 Français sur 10.
Inquiétude face au dérèglement climatique
En tête de cette inquiétude figure le climat. 84 % des Français se déclarent inquiets face au dérèglement climatique. La transition écologique a pris une place importante dans les préoccupations des Français. « Je crois, précise Jean-Daniel Lévy, que cette préoccupation a atteint un niveau de non-retour. » Au cours des années 1980-1990, l’écologie était un post-matérialisme, explique-t-il. Une fois que les besoins primaires – se nourrir, se loger, se vêtir – sont remplis, il est possible de se préoccuper d’autre chose, de son cadre de vie. Aujourd’hui, la perception est totalement différente. Il y a une prise de conscience que c’est l’activité humaine qui participe au dérèglement climatique. De plus, il y a dans l’esprit des Français un lien profond entre environnement et santé, la santé de ses proches, de ses enfants. Et sur ce point, les Français sont loin de pouvoir être rassurés. Cela explique que les préoccupations écologiques sont aujourd’hui fortement et profondément ancrées dans l’opinion publique.
Ce sentiment conduit les Français à passer à l’action. 2/3 des Français affirment qu’ils sont prêts à faire réparer leur électroménager en panne au lieu d’en acheter de nouveaux, à réduire l’utilisation du chauffage ou de la climatisation chez eux, à privilégier les produits en vrac, à moins prendre l’avion pour partir en vacances, ou encore à consommer moins de viande et payer plus cher pour consommer des produits locaux. Ces gestes individuels s’accompagnent d'une préoccupation collective. Ce qui conduit les Français, près des 2/3 d’entre eux, à estimer que les pouvoirs publics n’agissent pas assez en faveur de l’environnement. Un avis qui traverse toutes les catégories de population.
Sur l’ensemble des sujets, les Français n’ont pas renoncé au collectif. Par exemple, si le chômage arrive parmi les sujets prioritaires (92 %), cet enjeu est loin de refléter une préoccupation individualiste. Il constitue un sujet de société partagé davantage par les retraités, qui y sont plus sensibles que les actifs.
Ce qui apparaît aussi nouveau, c’est l’injonction à ne pas penser uniquement à l’instant mais également à préparer le moyen et le long terme. À ce titre, les Français évoquent l’investissement dans l’école et la formation tout comme dans la recherche comme des sujets prioritaires.
Une forte capacité de mobilisation
Devant un avenir qui les inquiète, les Français ne baissent pas les bras. Ils restent prêts à se mobiliser. Les jeunes particulièrement, dont l’état d’esprit traduit autant une inquiétude que la détermination d’agir. Pour défendre le climat, les Français sont une majorité à déclarer pouvoir participer à un mouvement collectif. Mais la défense des droits des femmes et la défense du service public pourraient aussi mobiliser un Français sur deux.
Les Français pensent que l’on peut répondre à leur inquiétude, que des solutions existent. Près de la moitié des Français considèrent que la France est aujourd’hui en déclin, une opinion qui est largement due aux questions économiques : les déficits et la dette, le chômage, les délocalisations, la désindustrialisation, le déficit commercial. Mais près de 7 Français sur 10 considèrent qu’il est possible de mieux réguler la mondialisation. Près de 9 Français sur 10 estiment qu’il est possible de relocaliser les industries en France.
Cet espoir s’inscrit dans un registre de forte critique à l’égard de ceux pouvant être les acteurs d’un renouveau. Dans ce contexte, trois acteurs sont « pointés du doigt » : les responsables politiques, l’administration et le système éducatif français. La République, dans ses entrailles, participe – aux yeux d’une majorité relative de Français – au déclin de notre pays. La critique est nette et sévère.
Mais un autre acteur s’en sort mieux : les associations. Près de la moitié des Français considèrent que les associations contribuent au progrès de la France alors qu’ils ne sont que 12 % à le penser pour les responsables politiques.
On notera aussi le score pas si mauvais des collectivités territoriales (36 %) et de l’Union européenne (31 %), qui se placent nettement devant l’administration française (19 %).
Le renouvellement des élus locaux : un phénomène suffisamment marquant pour penser qu’il révèle un changement
Les communicants publics parisiens ont été invités, le 1er octobre 2021, à une réunion du réseau autour de l’intervention de Jean-Daniel Lévy suite à l’enquête « Le cœur des Français » d’Harris Interactive. L’occasion d’un débat avec le directeur délégué stratégies politiques et d’opinion, sur les valeurs et les attentes des Français à l’approche des élections présidentielles.
Cap’Com : Dans plusieurs grandes villes, de nouveaux maires qui n’étaient pas des notables locaux ont été élus en 2020, que cela traduit-il ?
Jean-Daniel Lévy : Lors des élections municipales de 2020, il y a eu en effet un phénomène nouveau en dépit de la faible participation électorale. Dans de nombreuses villes, des maires inconnus de leurs électeurs ont été élus. Pourtant, dans les petits manuels du candidat, que vous devez bien connaître, il est toujours souligné qu’il faut être connu de longue date pour se lancer dans l’élection municipale.
Ces maires peu connus ont été élus parce qu’ils tenaient un propos extrêmement clair, notamment sur la transition écologique. Ils affirmaient une vision forte sur ce que devait être la ville, sur ce qu’ils souhaitaient qu’elle devienne. Leurs propos politiques ont comblé leur déficit de notoriété. D’une certaine manière, Emmanuel Macron a aussi été élu alors qu’il n’était pas un homme politique connu de longue date par les Français.
Je ne sais pas si cela sera un phénomène durable, mais c’est un phénomène suffisamment marquant pour penser qu’il révèle un changement. Il renvoie à une dimension nouvelle du rapport à la politique. Face aux enjeux, notamment écologiques, les réponses doivent être claires, la vision forte, la nécessité d’une puissante action publique pour accompagner une période de transition doit s’affirmer vigoureusement.
Il y a une relative confiance dans les élus locaux, mais il y a en même temps un fort doute sur leur capacité à mettre en œuvre les politiques annoncées.
Jean-Daniel Lévy
« La crise sanitaire a renforcé l’action de proximité », a ajouté Jean-Daniel Lévy. « Les Français ont identifié les acteurs locaux comme étant plus agiles, plus aptes à intervenir, plus précis dans l’information donnée. » Pour la première fois aussi, la politique de l’État a été relativement déconcentrée, le gouvernement a appliqué des mesures différentes selon les départements. Le maire reste aujourd’hui le responsable politique auquel nous accordons le plus de confiance, poursuit Jean-Daniel Lévy. Malgré cela, il y a une baisse tendancielle de la participation aux élections municipales. Il y a une relative confiance dans les élus locaux, mais il y a en même temps un fort doute sur leur capacité à mettre en œuvre les politiques annoncées. Les moyens matériels et humains dont disposent les collectivités locales ne sont pas à la hauteur des attentes. Cette situation est déstabilisatrice tant pour les institutions locales que pour le fonctionnement démocratique.
« Le cœur des Français », enquête réalisée par Harris Interactive pour Challenges en ligne du 19 au 26 juillet 2021. Échantillon de 10 001 personnes, représentatif des Français âgés de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e).