Aller au contenu principal

À Zagreb, la communication est une question vitale

Publié le : 30 janvier 2024 à 16:34
Dernière mise à jour : 23 juillet 2024 à 11:14
Par Yves Charmont

La Croatie, désormais européenne, a la mémoire du dialogue perdu et de la voix des armes. À l’occasion d’un récent colloque de communicants européens à Dubrovnik, il était intéressant d’interroger Zvonimir Frka-Petešić, directeur de cabinet du premier ministre de Croatie sur le fragile pouvoir du dialogue et les vertus de la communication publique face aux défis de demain, politiques ou climatiques.

L’incommunication à l’ordre du jour à Dubrovnik

Au cœur d’un pays qui a gagné son indépendance au terme de la longue et meurtrière guerre qui a accompagné la dislocation de l’ex-Yougoslavie, la question de la rupture ou du maintien du dialogue dans une communication en tension et la notion d’incommunication chère à Dominique Wolton a été évoquée en tribune, en septembre dernier (lors d'un séminaire sur l’élargissement de l’Union européenne et les stratégies macro-régionales de l’UE à Dubrovnik – Croatie). On y a notamment rappelé que « la communication fait courir le risque de l’incommunication : ce sentiment partagé de ne pas arriver à se comprendre (insatisfaction) ou la croyance que l’on est parvenu à se comprendre alors qu’il n’en est rien (malentendu). Mais ce n’est ni de la non-communication, ni un désaccord, mais une négociation. » Pour le chercheur français, cela va même au-delà, l’incommunication est un état de dialogue permanent qui est une réussite immense pour l’Europe.

Commonality : La communication publique a-t-elle un rôle dans la réussite du consensus démocratique ?
Zvonimir Frka-Petešić :
Extrêmement importante ! Depuis Kant on sait que la seule réalité qui nous soit accessible c'est la perception de cette réalité. Donc, tout ce que l’on fait : il faut aussi l’expliquer, pour obtenir la compréhension de l’opinion publique, mais également son soutien. C’est un minimum dont on est redevable aux citoyens, qui sont souverains en démocratie.
Je me redis souvent que la démocratie, ce n’est pas la gouvernance des plus forts, des plus responsables, des plus riches, ou d'une autre qualité. Non, c’est avant tout la gouvernance des plus nombreux. Mais, pour le dire autrement, si l’on souhaite combiner quantité et qualité, afin que cette gouvernance de la majorité fonde ses décisions sur un jugement avisé, sûr et critique, il est nécessaire que les citoyens soient aussi éclairés que possible. On est tenus d’informer du mieux que l'on peut de l’action gouvernementale et de ses enjeux, sans quoi on se met dans une position ou la démocratie peut être menacée (autrement dit, si la majorité des citoyens est mal informée, cela devient problématique). C’est une condition sine qua non, car en de situation de déstabilisation et de péril, la réaction trop émotive de la majorité des électeurs peut conduire à des décisions inconsidérées. Et il n'est pas besoin de remonter aux années trente et à la montée des extrêmes en Europe. Les Français se souviennent sans doute de l'affaire Paul Voise, le papy agressé, roué de coups dont la maison a été incendié, et dont les images du visage tuméfié ont choqué la France à quelques jours du premier tour l'élection présidentielle en 2002, qui s'est soldée par l'élimination surprise de Lionel Jospin devancé par Jean-Marie Le Pen. Après coup, les télévisions ont concédé qu'elles avaient commis une faute et accordé un peu trop d'attention à ce tragique fait divers qui a suscité une émotion démesurée, en lieu et place d'une présentation plus objective, mesurée et chiffrée de l'insécurité en France. Les exemples similaires ne manquent pas…

Le populisme, qui à mauvais escient use et abuse du registre de l'émotion, est la maladie mortelle des démocraties.

Dans la société de l'image qui fait la part belle à l'émotion, celle-ci peut prendre une part disproportionnée dans la prise de décision démocratique, avec des conséquences politiques dramatiques. C'est pourquoi le populisme, qui à mauvais escient use et abuse du registre de l'émotion, est la maladie mortelle des démocraties car il se fonde non pas sur l’information objective mais sur des réactions épidermiques qui excluent l’analyse rationnelle. Ne s'encombrant pas de nuances qui sont l'apanage de tout raisonnement éclairé, le populisme simplifie tout à outrance et cherche à transformer la démocratie en dictature de l'émotion du plus grand nombre. Sa communication à l'emporte-pièce hélas efficace car simpliste est actuellement le plus grand défi auquel font face les démocraties, notamment en Europe. Si nous ne faisions confiance qu'à nos sens, et à nos yeux, la simple observation de la course du Soleil dans le ciel ou un regard de la côte vers le large finirait par nous convaincre, comme nos ancêtres, que c'est le Soleil qui tourne autour de la Terre ou que la Terre est plate. Mais heureusement, l'homme est aussi un être doué de raison, laquelle lui a permis, en développant la science, de vaincre l'illusion perçue par ses sens et ses émotions et de réaliser tant de progrès, et nous savons aujourd'hui que la Terre est ronde et c'est elle qui tourne autour du Soleil. On pourrait donc dire que le populisme est-il à la démocratie ce que le mythe de la Terre plate est à la science.

Commonality : Comment gagner en crédibilité pour être mieux entendu ?
Zvonimir Frka-Petešić :
C’est très difficile, naturellement, car un gouvernement, même une gouvernance locale, est une instance politique. Et on peut imaginer à juste titre qu’un gouvernement est toujours un peu subjectif dans le jugement de son action. Donc l’important est de communiquer ses résultats sur la base de statistiques irréprochables produites par des instances indépendantes : des indicateurs neutres, mesurables, incontestables. Cela permet d'échapper au partial, au suspect, au discutable, mais aussi au registre de l'impression ou de l'opinion, pour s'en tenir aux faits et aux réalités objectives. La presse indépendante a un rôle central à jouer. Nous imaginons bien que le danger, pour tout gouvernement, c’est de manquer d'objectivité par rapport à son action. Mais le danger opposé – et tout aussi important – est celui pour une certaine presse de penser que son objectivité se mesure seulement à l’aune de son degré de critique à l’égard de l'action gouvernementale. Cela pourrait alors se résumer à une posture partisane, ce nuirait à la crédibilité de la presse et serait dommageable pour la démocratie. L'opinion éclairée des citoyens en démocratie est autant menacée par les panégyriques outranciers à l'égard du gouvernement que par la crainte de tout éloge quand il est justifié, car les deux ont en commun une coupable pusillanimité à l'égard des faits objectifs.

Commonality : Quelles ont été les récentes actions de communication du gouvernement croate ?
Zvonimir Frka-Petešić :
Pour la pandémie, nous avons diffusé des campagnes publiques sur l’importance de la vaccination, rien d’original, mais rien de moins. Et nous avons constaté que, malgré tous les efforts fournis et engagés, il y avait une certaine frange de la population qui demeurait réticente à la vaccination, très encline à prendre pour argent comptant les informations plus ou moins fiables, rumeurs et opinons diffusées sur les réseaux sociaux. Cela nous interroge, car il y a trente ans, 90 % des sources d’infos étaient plus fiables : livres (des éditeurs, des comités de lecture), organes de presse (des rédactions qui s’engageaient). Aujourd’hui, selon certaines estimations, la quantité d’info générée dans le monde rien qu'au cours des dernières 48 heures dépasse celle produite par les hommes depuis l’aube de l’humanité jusqu’en 2003 ! Plus de 99,9 % de ces infos sont aujourd'hui numériques et nous sommes face à près de sept milliards de rédacteurs en chef en puissance disposant d'un smartphone. Tout à chacun peut publier n’importe quoi avec une audience planétaire instantanée. Dans cet océan de futilités, le grand défi pour les citoyens de demain c’est de se frayer un chemin vers une information fiable, dont la proportion se réduit de jour en jour, et sur laquelle ils pourront fonder une opinion éclairée. C’est aussi notre grand défi, celui des représentations démocratiques et des communications publiques. Les populistes, eux, naviguent très bien sur cet océan qui s'apparente davantage à un marécage géant.

Commonality : Les défis semblent colossaux !
Zvonimir Frka-Petešić :
Oui, et pour finir sur la vaccination, l'humanité était alors face à un choix on ne peut plus simple : « si on se vaccine, on peut y échapper ; si on ne se vaccine pas, on s’expose à des complications ». Malgré ce choix binaire, on a observé au sein de l'Union européenne, où le niveau d'éducation n'est pas le plus reculé du monde et malgré les importants moyens investis dans les campagnes de communication publique, qu'entre 10 % et 30 % des citoyens se sont montrés réticents à se faire vacciner. Et cela alors même que la vaccination est une des mesures de santé publique qui a sauvé le plus de vies humaine dans l'histoire.

Climat : nous sommes devant la plus grande crise qu'ait connue l'humanité !

Si on met cela en perspective avec la crise climatique et la crise énergétique – processus extrêmement complexes et techniques dont les paramètres sont loin d'être binaires – la difficulté expliquer leurs enjeux à une opinion publique en majorité non-scientifique est énorme. Le défi est littéralement dantesque, et nous sommes devant la plus grande crise qu'ait connue l'humanité ! Car s'attaquer à la crise climatique en réduisant les gaz à effets de serre n'est pas quelque chose qui dépend du seul bon vouloir des gouvernements, qui, par un coup de baguette magique auraient le pouvoir de régler le problème tandis que tout un chacun ne changerait rien à son comportement individuel. C’est thermodynamiquement impossible. L’ampleur du défi est telle que la réponse ne peut pas prendre la forme d’une action qui se limiterait à celle du gouvernement, quel qu'il soit. Cela implique nécessairement de changer nos habitudes de vie, de faire des choix, d'arbitrer entre le souhaitable et le possible, dans un monde en contraction énergétique. Car de l'aveu même du directeur de l'Agence internationale de l'Énergie, le monde passera par un triple pic de production des énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – avant la fin de cette décennie, sachant qu'elles fournissent 80% de notre énergie. Or malgré l'accélération souhaitable du déploiement des énergies renouvelables, du fait de leur intermittence et de leur caractère diffus, celles-ci ne pourront hélas compenser la réduction attendue de la production des énergies fossiles, dont le seul avantage, mais de taille, est d'être beaucoup plus concentrées.

Commonality : Ces questions semble très, voire trop, complexes.
Zvonimir Frka-Petešić :
C'est pour cette raison qu'il est crucial que la presse y consacre beaucoup plus de place, car aux côtés des responsables politiques souvent perçus comme partisans, les journalistes ont un rôle important à jouer pour éclairer l'opinion sur les défis auxquels nos sociétés seront confrontées dans les décennies à venir. La communauté scientifique internationale est unanime, mais les scientifiques ne sont pas toujours de bons communicants. Leur rigueur les amène souvent à employer des précautions de langage souvent interprétés à tort comme une minimisation des risques réels. D'où l'importance croissante du rôle des journalistes scientifiques dans l'information du grand public. Dans les démocraties, le début de réponse viendra à partir du moment où les électeurs commenceront à prendre conscience que la crise nous enjoint tous à changer de comportement, qu’il nous faut aller non seulement vers davantage d'efficacité mais aussi de sobriété énergétique. C'est-à-dire, à partir du moment où en connaissance de cause ils feront le choix courageux, éclairé et délibéré de politiques et d’élus qui leur tiendront un langage de vérité, quitte à leur proposer, à la Churchill, de la sueur des larmes, car tel est le prix de la victoire.

Commonality : Comment s’y prendre ?
Zvonimir Frka-Petešić :
C’est tout le défi, justement. Il nous faut montrer l’exemple et faire de cette question une question primordiale. Au niveau du gouvernement croate, nous plaçons la transition écologique comme une de nos priorités, aux côtés de l'éducation, du renouveau démographique et de la transition numérique. Nous n'avons jamais autant parlé d'énergies renouvelables, de décarbonation, de lutte contre le changement climatique, de biodiversité, d'efficacité énergétique et de rénovation thermique de l'habitat ! Le Premier ministre et tous les ministres sont sur les rangs. Il n’y a pratiquement pas un discours, depuis sept ans (le deuxième mandat est en cours), qui n’aborda ce sujet. Et avec l'accélération récente d'événements météorologiques extrêmes, inondations, incendies de forêt, tempêtes sans précédent, il y a eu une montée en puissance du sujet ces dernières années.

Commonality : Face à ces défis, et à ces incompréhensions, on parle aujourd’hui de l’incommunication comme d’un espace de travail et d’action pour la com'publique, un champ de controverses, de confrontations. Une situation que la Croatie a bien connue, n’est-ce pas ?
Zvonimir Frka-Petešić : Je ne pense pas que l'on puisse comparer la situation en France et ce qui s'est passé en Croatie : ce sont des choses complètement différentes. Je connais bien la France, j'ai grandi à Paris et en banlieue parisienne et j’ai la double nationalité, croate et française. Aussi je connais à la fois les codes de la banlieue nord de Paris et ceux de la bonne société du 16e. Et il est vrai que la société française est de plus en plus polarisée entre communautés qui ne se comprennent plus, s'ignorent et ne se parlent plus, ce qui nourrit le ressentiment et la crainte. À ce titre on peut certes parler d'incompréhension, de confrontation ou de controverses, mais malgré les éruptions de violence auxquelles on a assisté dans les banlieues, cela n'a rien à voir avec la nature d'un conflit armé tel que celui auquel la Croatie a dû faire face en 1991, même si tout a commencé comme un différend politique.

Des réfugiés croates regardent la retransmission en direct de La Haye du procès pour crimes de guerre de l'ancien président yougoslave Slobodan Milosevic, à Split, en Croatie, le jeudi 26 septembre 2002. (AP Photo/Bozidar Vukicevic)

La désinformation des années 90

Au lendemain de la chute du Mur de Berlin, les gouvernements des différentes républiques de la fédération yougoslave ont une lecture très différente de la vague démocratique qui déferle sur l'Europe centrale. Alors que les dirigeants slovènes et croates autorisent la tenue des élections libres, qui conduisent à la mise en place de gouvernements non-communistes, la Serbie est dirigée par Slobodan Milošević, leader communiste reconverti au nationalisme. Celui-ci rêve de regrouper de gré ou de force toutes les minorités serbes au sein d'une Grande Serbie, taillée sur les dépouilles de la Yougoslavie, et d'en expulser les autres peuples. Dès 1989, lors de son discours à l'occasion du 600e anniversaire de la bataille de Kosovo devant un million de Serbes il promet « que de nouvelles batailles attendent les Serbes », il leur garantit « le droit à vivre réunis entre eux dans un seul État ». Pourtant, les dirigeants slovènes et croates feignent d'ignorer l'évidence et proposent de bonne foi la transformation de la fédération yougoslave en confédération, y voyant là des garanties supplémentaires face à l'hégémonie croissante du maître de Belgrade. Milošević refuse, bien entendu, et au moyen d'un coup d'État par lequel il s'accapare le contrôle de quatre des huit entités fédérées au sein de la présidence fédérale, il cherche à mettre au pas les quatre autres républiques : Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine. En réaction, cela y renforce le sentiment indépendantiste et démocratique, qui s'exprimera ensuite lors de référendums sur l'indépendance. La Serbie de Milošević, qui a alors pris le contrôle de l'armée yougoslave, purgée de ses officiers non-serbes et acquise à sa cause, répond alors par une agression armée des plus classiques. Toutefois, elle fut sciemment qualifiée de « guerre civile » par la propagande de Belgrade, afin d'occulter son caractère de guerre de conquête territoriale et d'estomper la responsabilité des dirigeants serbes.

Une propagande qui rappelle celle en cours à propos de l'Ukraine

À l'instar de la récente propagande russe à l'égard des Ukrainiens, les Croates sont alors eux aussi qualifiés de nazis. Tout comme la nation ukrainienne est niée par le Kremlin, de même l'existence même de la nation croate fut mise en cause par Belgrade. Cette agression militaire en trois temps commença d'abord par la brève guerre de Slovénie, puis se poursuivit en Croatie, où un quart du territoire fut occupé de 1991 à 1995, et se prolongea en Bosnie-Herzégovine (1992-1995), où plus de 70% du territoire fut occupé. Tout comme la ville ukrainienne de Marioupol fut assiégée et pilonnée durant 86 jours, la cité croate de Vukovar a résisté 87 jours, écrasée par les bombes et fut en 1991 la première ville d'Europe rasée après la Seconde guerre mondiale. De même, Dubrovnik, joyau de l'Adriatique, fut bombardée et assiégée durant huit mois, avant d'être débloquée. Comme aujourd'hui en Ukraine où le Kremlin prétend voler au secours de la minorité russe, de même en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, une partie de la minorité serbe a été alors instrumentalisée par la propagande délétère et haineuse de Belgrade. Elle y attisa sciemment leurs peurs en présentant la perspective de devenir une minorité nationale dans les nouvelles républiques indépendantes et démocratiques comme une possibilité insupportable contre laquelle on ne saurait que prendre les armes. Une partie des Serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine sont alors embrigadés au service du projet grand-serbe de Milošević, avec le soutien de l'armée "yougoslave", devenue alors entièrement serbe. Finalement, après quatre années de préparation à équiper et mettre sur pied la nouvelle armée croate, la contre-offensive croate de l'été 1995 permit de libérer en quatre jours la majeure partie des territoires occupés en Croatie et, dans les semaines suivantes, la moitié des territoires occupés en Bosnie-Herzégovine. Ce brusque retournement du rapport des forces finit par contraindre le dirigeant serbe à accepter de négocier un accord de paix avec les présidents croate et bosnien, à Dayton, sous les auspices des États-Unis, et signé en décembre 1995 à l'Élysée. Cela mit fin à la guerre et permit la réintégration pacifique de tous les territoires occupés de Croatie. Cela dit, quatre ans plus tard, en 1999, le président serbe lança une nouvelle guerre d'agression, cette fois-ci au Kosovo, provoquant une réaction militaire occidentale, qui s'est soldée par la capitulation de la Serbie et par l'extradition de Milošević au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, où il fut inculpé pour crime contre l'humanité et génocide, mais décéda avant la fin de son jugement.

Être membre d’une minorité nationale et citoyen croate à part entière

Aujourd'hui, la Croatie est membre de l'OTAN (depuis 2009) et de l'Union européenne (depuis 2013) et nombre de Serbes qui avaient fui la Croatie au moment de la reconquête croate ont décidé de revenir dans leurs foyers. Preuve tardive que l'on peut à la fois être membre d'une minorité nationale et citoyen croate à part entière – « et que la Croatie fut attaquée pour rien » commente Zvonimir Frka-Petešić – les Serbes sont aujourd'hui représentés par trois députés au Parlement croate, sur les huit réservés aux minorités nationales (sur un total de 151). D’ailleurs tous les huit font partie de la majorité parlementaire et soutiennent pleinement la politique du gouvernement actuel. Le Premier ministre, Andrej Plenković, président de l'Union démocratique croate (HDZ, centre-droit), est convaincu que leur participation à la majorité parlementaire est la meilleure façon de bâtir la Croatie comme un État faisant de sa diversité sa force, et le meilleur moyen de faire en sorte que tous les citoyens, quelle que soit leur origine, se sentent représentés, respectés, intégrés et égaux en droit.
À la différence des années de guerre, où les Serbes des territoires occupés étaient aux ordres de Belgrade et prônaient le séparatisme, la communauté serbe de Croatie participe dorénavant à la vie démocratique par le biais de ses représentants légitimes au sein des institutions croates. Alors que la Serbie n'est ni dans l'OTAN ni dans l'UE et que le gouvernement serbe actuel demeure proche de Moscou, les représentants de la communauté serbe de Croatie soutiennent, quant à eux, la politique du gouvernement croate de soutien politique et militaire à l'Ukraine. C'est une évolution importante qui traduit l'émancipation politique de la communauté serbe de Croatie à l'égard de Belgrade et renforce parallèlement sa légitimité politique en Croatie.
Anja Šimpraga, la vice-première ministre, issue de la minorité serbe, symbolise parfaitement le processus d'intégration et de réconciliation que la Croatie a accompli depuis la guerre. Elle avait huit ans, en 1995, au moment de la libération par l’armée croate des territoires occupés par les Serbes, lorsqu'avec sa famille et des dizaines de milliers de civils serbes, elle a fui la Croatie et trouvé refuge en Serbie. Quatre ans plus tard, elle est retournée en Croatie avec sa famille, termina sa scolarité et ses études, devint une élue locale et est désormais membre du gouvernement, au sein duquel elle compte parmi ses collègues croates d'anciens combattants de la guerre d'indépendance…

La Croatie, membre depuis 2023 de la zone euro et de l'Espace Schengen et 18e destination touristique mondiale, est aujourd'hui une nation qui va de l'avant dans toute sa diversité et sa richesse culturelle, mais sans rien renier de son histoire récente.

À lire aussi :
Quelle communication pour les stratégies macro-régionale européenne ?
Lire la suite