6 choses que j’ai, peut-être, apprises en 30 ans
En ce début de retraite, voilà que m’est venue l’idée saugrenue de poser sur le papier quelques « leçons », apprises en un peu plus de trente années en communication publique, histoire d’en faire profiter les plus novices. Quelle folie !
Par Marc Thébault.
D’abord qui suis-je pour oser penser que cela puisse être utile à quiconque ? Ensuite, comment prétendre être exhaustif ? Et quel angle choisir : réussites glorieuses ou échecs cuisants ; rester dans le strict domaine professionnel ou sortir un tantinet du cadre ; ne parler que des communicants ou évoquer aussi d’autres acteurs ? Enfin, faut-il vraiment relancer le débat sur cette fameuse « expérience » des uns qui serait prétendument indispensable pour d’autres ?
Toutefois, j’ai osé ! Pour être tout à fait transparent avec vous, sachez que j’ai tenté de resserrer mes propos autour de ce que j’aurais sans doute voulu que l’on me dise lorsque j’ai entamé ma carrière. Ce sera donc très subjectif et incomplet. Je vous laisse juge…
1. La communication, c’est un processus
Définitivement, la communication n’est pas une simple succession de « coups », au seul service de la promotion des actions, des agents ou des élus d’une collectivité. Ce serait oublier trois choses. La première, c’est que l’objectif ultime, c’est l’influence : chercher à influer sur des comportements, sur des perceptions, des représentations, etc. La deuxième, en lien direct avec la précédente, c’est que la communication n’a, en réalité, que peu de chances de faire changer durablement quoi que ce soit, notamment si elle n’a pas suivi un processus logique. La troisième, c’est que l’on construit la communication d’une collectivité comme on tisse une communication interpersonnelle, d’abord en pensant « relation ».
Ainsi, la première étape sera bien de créer et de maintenir un lien avec les cibles que l’on souhaite toucher. Puis on délivrera les informations nécessaires pour que nos interlocuteurs puissent décrypter ce que l’on a à leur dire. Après, pourra s’ouvrir une étape de concertation, rendue plus efficiente par le fait que les concertés seront en amont bien informés. Ensuite, et seulement ensuite, on pourra faire de la promotion, phase la plus visible, donc souvent celle sur laquelle s’arrêtent les observateurs, renforçant alors la croyance que la communication, ce n’est que de la valorisation. Et, enfin, si les précédentes étapes sont couronnées de succès, alors, peut-être aurez-vous des chances d’influer, au moins momentanément.
2. Cultiver le goût du travail bien fait
Vous le savez, notre problème n’est pas d’avoir des idées, mais c’est de les mettre en œuvre. L’essentiel de notre emploi du temps n’est donc pas consacré à parader dans les réceptions, mais à être au sous-sol, en salle des machines, les mains dans le cambouis.
Voici donc une martingale absolue : le travail (bien fait) paie. L’essentiel est donc d’entretenir votre esprit « artisan » et de ne pas tout miser sur votre seul talent, même si vous le pensez, et pourquoi pas à juste titre, incontestable. Souvenez-vous de Brassens : « Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie. » Vous serez quasiment inattaquable tant que vous serez à votre juste place et que vous aurez travaillé bien, assez, consciencieusement et humblement, avec méthode, capacité de vous réinventer régulièrement et respect des procédures comme de la stratégie, fixée à votre initiative je l’espère. Car, que les choses soient bien claires, la définition de la stratégie ne relève ni d’un prestataire externe, ni des caprices de votre hiérarchie.
En tous les cas, en suivant ce principe, on ne vous titillera jamais sur le plan professionnel ; on sera contraint, si d’aventure on se met à vous chercher des noises, d’aller dénicher des arguments ailleurs, du côté du subjectif et du partial. Parfois du côté de l’injuste. En somme, en cas de conflit, ce n’est pas vous qui vous salirez les mains et la conscience. Bien sûr, vous n’échapperez certainement pas, si les circonstances évoluent mal pour vous, à une vraie chasse aux sorcières ou à une sévère coalition hostile. Mais, comme vous aurez fait votre taff, vous pourrez au moins continuer à vous regarder dans un miroir et vous réjouir d’observer jusqu’où peuvent aller dans le glauque et le médiocre celles et ceux qui veulent votre peau.
3. Savoir anticiper les réactions
Le but de la communication n’est pas de faire taire, mais d’anticiper les réactions qui ne manqueront pas de surgir après une action de communication. Vous savez, les fameux « feed back » ! La communication n’est ni un couvercle pour marmite bouillonnante, ni un tapis pouvant cacher toute la poussière du monde, et encore moins un écran de fumée pour écarter de l’essentiel. L’objectif de la communication, en tous les cas dans un contexte « démocratique », n’est pas le silence dans les rangs, mais l’anticipation des réactions. Donc de faire œuvre de pédagogie en interne pour alerter sur le fait qu’il y aura, naturellement, des retours. Et en nombre si vous avez bien fait votre boulot puisque, évidemment, c’est parce que vous aurez réalisé une efficace campagne de communication que les projets seront alors connus, donc illico soumis aux réactions en retour.
4. Expliquer comment fonctionne la communication
On peut penser que cela flattera notre ego de passer, aux yeux des Moldus, pour un sorcier maniant secrets occultes et autres savoirs réservés aux initiés, tout en rappelant, mine de rien, que vous êtes rattaché au cabinet et que vous pouvez solliciter maire ou président d’un simple claquement de doigts. Le tout, histoire d’imaginer ne vous déplacer qu’avec une aura déclenchant méfiance et admiration.
Mais, dans la vraie vie, l’efficacité de la communication publique est forcément soumise à l’association éclairée de vos commanditaires. En conséquence, vous formerez vos collègues et vos élus à ce qu’est la communication, car c’est parce que vos fondements et votre fonctionnement seront compris que vous serez sollicité à meilleur escient et avec plus de clarté et de précision dans la commande. Souvenez-vous qu’il n’y a pas vraiment de bonne communication sans bons produits. J’ai souvent déclaré que, parmi les droits fondamentaux des dircoms publics, il y avait celui de dire « non » ; mais ce refus doit pouvoir s’expliquer et l’autre possibilité doit pouvoir se co-construire.
5. Construire un espace de dialogue
La communication publique est là pour dessiner le cadre (« l’espace entre les hommes », dirait Hannah Arendt) dans lequel la communication des politiques va pouvoir se déployer. La communication publique n’est donc pas cette communication politique, elle n’en est que le lieu d’expression. Elle prépare, a priori dans l’ombre, le terrain des élus, elle construit l’espace des politiques, mais sans jamais prendre ni leur place, ni la lumière. Réciproquement, elle trace également l’espace de l’expression citoyenne. Là aussi avec des limites : son rôle est l’écoute et parfois la médiation, certainement pas le lobbyisme.
La communication publique est donc un exercice d’équilibre permanent entre institution, élus et représentation de la voix des habitants. Si les adeptes de la propagande estiment que leur mission est la réquisition des esprits, les professionnels de la communication publique savent, quant à eux, que leur objectif n’est que la sollicitation des esprits. Ce qui est déjà un vaste programme.
6. L’argent peut faire le bonheur
Une croyance tenace : on ne parle JAMAIS du budget « communication » : ce serait mal ! Et dangereux ! À la fois ce serait du pain bénit pour l’opposition qui, si elle est en manque de sujet de polémique, pourrait toujours viser la communication en mode « propagande au service de la majorité ». Et, à la fois, ce serait un sujet souvent non assumé par la majorité elle-même, pas toujours convaincue qu’il faille dépenser autant pour un « truc » dont on ne mesure jamais vraiment les retombées ! Ainsi on préfère déclarer à qui veut l’entendre que l’on réalise plein de choses, mais pour deux fois rien, grâce aux ressources internes et aux stagiaires. Et pour conquérir une image de bon gestionnaire, on coupera d’abord dans ces dépenses. Et on s’en vantera.
Évidemment, cela perpétue depuis des décennies le flou (rarement artistique) autour des fameuses dépenses de communication. Mais, malgré le célèbre adage « Quand il y a du flou, il y a un loup », il semble, pour beaucoup, préférable de taire le sujet, quitte à entretenir doutes et soupçons, plutôt que d’oser la transparence complète. Et tant pis si cela, de fait, met de côté la réalité de la communication publique. Et tant pis si cela renforce encore le caractère occulte de ces dépenses publiques. Moralité : tant que nous ne serons pas assez courageux pour évoquer clairement ces questions budgétaires, nous continuerons à maintenir une ambiance, évidemment malsaine, de suspicion sur nos champs d’action.
Rendez-vous dans le prochain numéro de Point commun pour découvrir 6 autres choses que j’ai, peut-être, apprises en 30 ans.