Agressions d’élus locaux : pouvons-nous regarder ailleurs ?
Les atteintes ont beaucoup augmenté. Voyons si ce phénomène préoccupant est étranger à nos responsabilités.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste.
C’est un chiffre choc : le nombre d’agressions d’élus locaux a bondi de 32 % entre 2020 et 2021. Les faits officiellement enregistrés par les préfectures sont passés de 1 720 à 2 265. Des menaces, des injures, des outrages et, dans 7 % des cas, des violences physiques. Le phénomène est plus vaste : les élus ne portent pas toujours plainte.
Cette violence s’est aggravée. Selon un spécialiste de la question, Xavier Crettiez, professeur à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, co-auteur de Violences politiques en France, avant les « gilets jaunes » sur les 9 190 actes étudiés, la plupart étaient des atteintes aux biens et des obstructions, très peu des agressions contre des personnes. Celles-ci ont été de 165 en 2021 et de 160 en 2022, d’après un recensement non exhaustif.
La parole publique décrédibilisée
Le plus souvent les diverses violences résultent de l’intervention d’un élu en raison d’incivilités, comme les troubles du voisinage ou les dépôts sauvages de déchets. « Les maires sont souvent pris à partie quand ils reprennent un citoyen sur ce qu’il est en train de faire », constate Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF (Association des maires de France), maire de Lampertheim (Bas-Rhin) et vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg. Xavier Crettiez analyse le durcissement : « Le mouvement social des ‘’gilets jaunes’’ a été un moment de rebond de violence politique. La parole publique a été fondamentalement questionnée, discutée, décrédibilisée. » Le chercheur souligne que cela coïncide avec le développement du conspirationnisme et que « cela ne s’est pas amélioré avec le Covid ». Pour sa part, Murielle Fabre pointe le rôle des réseaux sociaux qui engendrent « l'hystérisation des propos, qui relèvent souvent de l’injonction agressive voire de la diffamation, et pèsent sur le quotidien des maires ». Constat similaire de Xavier Crettiez : « La nouveauté est peut-être là : une brutalisation des relations humaines sur les réseaux sociaux qui déborde dans le monde réel et peut justifier, pour certains, le passage à l’acte physique. »
La défiance encore à la hausse
Bien entendu, le fondement de cette situation est la défiance à l’égard des autorités et des institutions. Elle est profondément ancrée. La vague 14 (février 2013) du Baromètre de la confiance politique Opinionway pour Sciences Po-Cevipof démontre que le fossé se creuse. La confiance dans les collectivités est en baisse par rapport à janvier 2022 : - 10 % à 53 % pour le conseil municipal, - 8 % à 48 % pour le conseil départemental, - 9 % à 45 % pour le conseil régional. Les élus locaux restent relativement moins touchés que les parlementaires, la Première ministre. Mais la défiance à leur égard augmente dans les mêmes proportions.
Des mesures techniques et juridiques ont été mises en place. Une loi de janvier dernier donne la possibilité aux associations d’élus et aux collectivités locales de se porter partie civile pour soutenir les élus victimes. L’AMF a lancé en 2020 son observatoire des agressions envers les élus. Le ministère de l’Intérieur doit créer une cellule d’analyse et de lutte.
Les principes démocratiques remis en cause
Mais les enjeux sont bien plus vastes. « Dans la plupart des cas, l’élu n’est pas agressé pour ce qu’il pense ou ce qu’il porte, mais pour ce qu’il est », considère Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales. Le chercheur Xavier Crettiez rejoint le point de vue de la membre du gouvernement : « Il y a la remise en cause de la légitimité politique et des principes démocratiques. »
Une étude – Banalisation de la violence politique et nouveau régime médiatique – met ce phénomène en perspective par rapport à ce à quoi nous avons assisté ces derniers temps. Sa conclusion : « La banalisation de la violence politique résulte d’un lent processus de dégradation de la parole politique. Appauvrissement, rétrécissement, dépolitisation, brutalisation sont les symptômes de cette dégradation. »
Notre métier
Voilà qui nous dépasse… mais qui nous concerne indirectement. En revanche, plus largement, nous avons une part de responsabilité directe dans la manière dont est conçue, formulée et diffusée la parole publique, à distinguer de la parole politique sur laquelle elle s’appuie. Ce qui complexifie l’exercice. Nous donnons du sens au fonctionnement de l’institution en décryptant son fonctionnement, nous régénérons la démocratie en contribuant aux formes diverses d’écoute authentique et fructueuse des habitants, nous présentons et expliquons les politiques publiques, et démontrons les services qu’elles apportent. Donc nous participons ainsi, à notre niveau, modeste ou élevé, grâce à nos compétences et à notre engagement, à la légitimation de la politique et à l’affirmation des principes démocratiques.
Communicants au sein de la collectivité ou prestataires, nous agissons, difficilement mais opiniâtrement. C’est notre métier.