Branding territorial : plaçons le processus au-dessus du résultat
En cette veille de vacances estivales, j’ai cherché un sujet bucolique. Mais, chassez le naturel … Je vais donc de nouveau parler marketing territorial, et en particulier « marques de territoires ». Vous noterez toutefois que l’aspect vacances ne sera pas absent, même s’il va être surtout question de « centres de vacances » ! Vous allez comprendre…
Par Marc Thébault
Sujet récurrent s’il en est, les fameuses « marques de territoires » et leurs flots d’articles, extatiques le plus souvent, saluant avec ferveur, mais rarement avec recul, un nouveau dessin en couleur pour symboliser un territoire (ou au moins le regroupement de deux ou trois institutions). Tout se passe comme si la création de cette marque était une fin en soi. Je ne vais pas vous refaire un topo complet, je l’ai déjà fait maintes fois ! Je veux juste tenter de déplacer légèrement votre regard et votre raisonnement, histoire de voir les choses un peu en diagonale …
Il y a quelques (litote) années, j’ai passé un peu de temps dans l’animation socio-culturelle. N’ayant que peu de goût pour la tranche d’âge 8-12 ans que j’estimais un peu molle du genou (et hyper conformiste), j’ai surtout travaillé avec deux extrêmes : les maternelles (pour leurs capacités imaginatives) et les adolescents (pour les joies de la confrontation). Et, à mon époque, « adolescent » signifiait « au moins 15 ans ». J’ai ainsi eu l’occasion de diriger un petit paquet de camps d’ados, dont la plupart proposaient un hébergement sous tente et impliquaient, forcément, une prise en charge quasi complète de l’entretien du fameux camp par les participants eux-mêmes. En particulier, il fallait faire la vaisselle ! Il était donc question de mettre en œuvre une organisation particulière pour que cette vaisselle soit effectivement prise en charge, qu’elle soit bien faite et si possible par tout le monde à tour de rôle. Vous voyez le topo : responsabilité, propreté et équité !
On pourrait s’attendre à ce que l’objectif premier de l’équipe pédagogique, surtout en plein été, en camping et en tant que garante de la bonne santé des adolescents, soit que la tâche « vaisselle » soit prise en charge. Point. Quitte à devenir directive et à imposer un système quelconque en cas d’échecs des pourparlers. Quitte également à prévoir des sanctions. Après tout, la fin pouvant justifier les moyens, si le seul enjeu est la réalisation de la vaisselle et si le groupe n’est pas capable de s’entendre pour poser principes et roulements, faisons donc leur bonheur malgré eux ! Et passons vite aux activités car c’est quand même bien plus intéressant !
Pourtant, le réel objectif était tout autre. Derrière l’enjeu explicite s’en faufilait un autre, totalement implicite : l’essentiel n’était pas que la vaisselle soit faite (en posant toutefois quelques limites hygiénistes), le vrai enjeu était de faire en sorte que les adolescents se parlent, échangent, se prennent la tête, esquissent des schémas, les annulent, laissent tomber, y reviennent, se brouillent, se réconcilient, retentent des négociations, etc … Notre rôle était alors tout autre que celui de gardiens de l’ordre, il était de proposer un cadre dans lequel allait s’élaborer une dynamique du groupe, un lieu (garanti par les animateurs) d’échanges, à l’intérieur duquel se vivrait une expérience d’argumentations, d’oppositions (parfois à l’adulte, mais il est là pour cela !), de compromis, de ruptures quelquefois, de communication toujours. Seul risque à accepter : que pendant quelques jours, la vaisselle ne soit pas faite. Mais est-ce si grave ?
Une confidence : nous aurions pu prendre autre chose que la vaisselle comme prétexte. Et j’emploie le mot « prétexte » volontairement, car c’est bien de cela dont il était question. Nous aurions pu mettre entre leurs mains les menus, le nettoyage des douches, les propositions d’activités, etc … D’ailleurs nous le faisions aussi, à des degrés divers. Mais je dois reconnaître que le sujet « vaisselle » a toujours eu ma préférence.
Et si l’essentiel n’était pas le dessin d’une marque territoriale, mais bien la dynamique collective indispensable à créer pour faire que toutes les parties prenantes se parlent et échangent.
Pour en revenir au marketing territorial et au branding (qui, comme je l’ai déjà écrit, a eu le malheur d’être traduit en français par « marque » au lieu de « réputation »), c’est exactement la même chose pour les fameuses « marques de territoire ». Et si l’essentiel n’était pas leur dessin mais plutôt la dynamique collective indispensable à créer pour faire que toutes les parties prenantes se parlent et échangent ?
Et si, pour de vrai, l’important n’était pas de choisir couleurs et slogan à la manière « The meilleur endroit to be pour faire une better life dans un world 3.0 » ? Et si l’essentiel ne résidait pas dans le résultat, mais dans le processus qui l’a précédé ? Et si ce qui comptait vraiment était de construire un esprit collectif en prenant comme prétexte le choix d’une signature commune ? Ce serait donc de l’échange que pourrait se construire un collectif.
Si je retourne deux secondes à mes anciens camps d’ados, deux choses. D’abord, vous avez compris qu’il n’était pas question de sacrifier les activités au profit des débats sur la vaisselle. Car les débats sur la vaisselle, c’est une activité en soi ! Concevoir ensemble des règles de vie commune est en effet une activité un poil plus essentielle que la voile, le tennis ou l’équitation (même si Caramel le poney est vraiment TROP mignon !).
Seconde chose : il y avait une seule règle incontournable et non négociable : non, chacun ne fait pas sa propre vaisselle ! Trop facile. Une solution au service du collectif ne peut être la somme d’actes individualistes. Là encore, et si nous appliquions cette règle au branding territorial ? Le salut viendra du collectif, pas de d’accumulation d’initiatives en forme de repli sur soi. Là aussi, la solution au service du bien commun doit venir du collectif, quitte à passer du temps sur les débats de la création d’une marque. C’est un excellent « prétexte » (voir ci-dessus) à échanges, non ? Vous connaissez la formule « seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Et puis, contrairement aux chutes, dans un cheminement, l’important c’est le chemin, pas l’arrivée !
Bonnes vacances !