Budgets communication : à quand cartes sur table ?
Informer les citoyens sur les crédits dévolus à la communication et en expliquer la raison d’être est un impératif démocratique.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Les chemins escarpés plutôt que les voies balisées, le site Marsactu les emprunte, à Marseille. Ce « journal local d’investigation » vient de lancer un « appel public à la transparence » sur les aides des collectivités locales aux médias. Les réponses de huit grandes collectivités et de la préfecture des Bouches-du-Rhône sur les achats d’espaces, les annonces légales et les partenariats sont attendues.
Cette initiative a été déclenchée par le refus de la région Sud (Provence-Alpes-Côte-d’Azur) de répondre aux questions sur la rémunération de la fonction d’« ambassadrice » confiée à l’animatrice de M6 Karine Le Marchand. Épisode presque anecdotique d’une affaire importante et résurgence d’un sujet plus global : l’argent public consacré à la communication.
La composante politique de notre métier
Pendant les campagnes électorales, le sujet suscite souvent de vertueuses déclarations sur la réduction de ces budgets… promesses pas toujours tenues. Puis, les oppositions, quelle que soit leur couleur, ne manquent pas de stigmatiser les scandaleuses dépenses de propagande au seul profit de la majorité. Haro sur la « communication », ainsi défigurée. Vous connaissez cet habituel charivari. Communicants publics ou prestataires, nous ne sommes pas décideurs, ni sur le montant des budgets, ni sur leur présentation publique. Toutefois, nous pouvons mettre un peu de clarté dans ce concours de faux-semblants.
D’abord une caractéristique. Dans des conditions diverses selon la collectivité et selon le sujet, « la communication publique est un service public », comme Cap’Com le clame à juste titre, et c’est aussi, en même temps, la mise en valeur des décisions de la majorité et de leur incarnation par les élus, en particulier celle ou celui de premier rang. Cette composante politique de notre métier apparaissait clairement dans l’étude Cap’Com-Occurrence de 2019. À quelques semaines des élections municipales, parmi les 113 dircoms qui ont répondu, 87 % indiquaient que le positionnement stratégique de la communication impliquait une proximité politique avec l’exécutif et 88 % que le projet politique était un facteur d’efficacité et de légitimité de la communication. Le nez sur la production, sur les outils, on peut avoir tendance à oublier ces fondamentaux.
Une double légitimité, plus une
La communication publique s’appuie donc sur une double légitimité, la légitimité institutionnelle d’intérêt général et la légitimité politique d’enracinement démocratique, la légitimité des élus. S’y ajoute notre légitimité professionnelle, fondée sur nos compétences, dans le champ stratégique comme dans le domaine opérationnel, pour s’adresser aux usagers, aux habitants, aux contribuables, aux visiteurs, aux citoyens. Cette dualité nous est familière. Elle est une des spécificités du métier, a fortiori si l’on y exerce des responsabilités.
Ce cadre, dans lequel nous évoluons, nous donne des repères pour la communication sur la communication. S’agit-il de pratiques nécessairement cachées, basses besognes, dictées par les seuls étroits desseins partisans ? Sinon, pourquoi ne pas mettre cartes sur table ? Au nom de quoi le champ de la communication échapperait-il à la demande de « transparence » (le mot commence à être usé) sur l’action publique, le pourquoi et le comment des décisions des élus, l’usage de l’argent public ? Pourquoi une citoyenneté vivante, exigeante, ne s’épanouirait-elle pas là, comme ailleurs ?
Les différences entre les missions et fonctions confiées aux directions de la communication, l’existence de lignes de crédits « communication » dans d’autres directions et une certaine culture de la dissimulation rendent complexe de rendre publics des chiffres fiables et comparables, notamment sur la part du budget communication, salaires compris, par rapport au budget total. Cette saine et juste clarification est également difficile en raison de la méfiance d’une bonne partie de l’opinion vis-à-vis de la communication, cette « com » aveuglément vilipendée, qu’elle soit institutionnelle, informative, commerciale, propagandiste, manipulatrice ou mensongère ou, tout simplement, utile. Certes. Mais si nous avons quelques raisons d’être fiers de notre travail, soutenons ce progrès : poussons les élus à expliquer, avec notre appui, les enjeux, les objectifs, l’exigence et la nécessité de la communication publique. Faisons en sorte que la prise de parole de la collectivité soit aussi convaincante sur ce sujet que sur d’autres.
Dans l’ombre ou en lumière ?
Généralement, les élus n’y sont pas prompts, quand ils n’y sont pas carrément hostiles. Cependant, certains commencent à s’y prêter. Comme le maire de Montpellier, qui a rendu public le coût et les résultats – favorables, il est vrai – d’une récente étude d’opinion. Mais souvent, c’est un domaine réservé. Pas touche !
Pourtant, plutôt que le laisser dans l’ombre, il serait bon de mettre ce sujet dans la lumière. En effet, où est le risque politique ? Dans la perpétuation crispée du refus d’assumer le coût de la communication, l’obstinée résistance aux interpellations des citoyens et l’activation de la suspicion et de la méfiance ? Ou bien dans une attitude paisible, avec le choix délibéré de donner sa juste place à ce volet d’un exercice ouvert du pouvoir, la volonté de justifier le budget communication et de faire ainsi (un peu) progresser la démocratie ?