Ce qui nous a liés à Bordeaux
Le grand rendez-vous de la communication publique et territoriale dans la capitale de la Nouvelle-Aquitaine a tenu ses promesses. En 2019, 1 200 participants ont pu éprouver « ce qui nous lie ». Après une année citoyenne agitée, au cœur d’un mouvement social puissant, le Forum Cap’Com a révélé trois liens étroits : le lien citoyen de la parole publique, le lien professionnel aux pratiques, expériences et expertises partagées et le lien fort, l’attachement même, des communicants publics à leur Forum.
Sur la route, vers le Forum… le cheminement n’aura sans doute jamais été aussi symbolique que lors de cette édition mémorable. On dit que les druides de la Gaule celtique se rencontraient une fois par an, laissant leur village, pour échanger sur leurs savoirs, sentir les éléments, réfléchir à leur rôle. On peut être sûr que certains y ont pensé, dans la solitude de leur bureau, préparant leurs bagages. Sur les réseaux sociaux (on a quitté le Ve siècle avant notre ère !), on a pu voir fleurir des images de valises bien rangées accompagnées de déclarations déterminées : « Prêt » ou « Prête » ! Ce Forum allait être une épreuve, avec ces grèves dans les transports publics, du moins pouvait-on le déduire à l’écoute des chaînes d’info. Mais il fut surtout une mise à l’épreuve de nos convictions professionnelles, aux prises avec la réalité sociale, avec la houle de la foule, avec l’écume des opinions portées par les vagues de sondages… Face à l’océan, les communicants ont convergé vers Bordeaux.
Tous Girondins ?
Dans cette France si centralisatrice, le signal de ce rendez-vous itinérant prit un autre sens. En déplaçant le centre de gravité de la communication publique dans les territoires, Cap’Com aura suivi (ou précédé) le mouvement post-gilets jaunes qui organisa de grands débats citoyens partout dans le pays afin de reprendre attache. Dès la conférence d’ouverture, c’est une vision toute girondine, décentralisée, qui s’exprima par la voix du maire de Bordeaux, Nicolas Florian, qui invita à donner du sens à l’action politique locale (dans les métropoles comme dans les territoires ruraux), à mettre en avant l’idée d’usage, à partager « vraiment » les décisions. Questions de gouvernance largement dissertées par Judith Ferrando et Aurore Bimont. On invoqua Paul Ricœur et son identité narrative, pour qui « il n’y a pas de sans-voix, mais des sans-oreille ». On fit le récit de l’année écoulée et des dialogues inachevés. On s’interrogea : « Comment la parole des citoyens peut-elle transformer l’action publique ? »
Par la suite, avec ses conférences, ses ateliers, ses débats orientés vers la parole et l’écoute citoyenne, l’appropriation de la transition environnementale, le rapport de la communication publique au politique, aux dispositifs participatifs, à l’innovation collaborative… ce Forum au programme riche n’a pas reculé face aux défis du présent. Un défi résumé par le délégué général de Cap’Com en introduction : « La transition environnementale, voire sociétale, qui s’annonce va nécessiter que la communication publique joue un rôle accru dans la société. »
Un ton coopératif
En effet, la tonalité de l’introduction de Bernard Deljarrie plongeait ses racines dans l’exigence du présent sociétal : « La communication publique cherche plus que jamais à être en phase avec la société face aux transitions qui s’annoncent. » Justesse du propos, mais aussi souffle, brise (océane ?) avec l’entrée en scène de l’écrivain marcheur Olivier Bleys, tout juste arrivé de son carnet de marche réalisé à Limoges pour Cap’Com. Ce dernier comptait pas à pas cette Nouvelle-Aquitaine qui nous accueillait.
Le millier de congressistes présents dans l’amphithéâtre put découvrir une autre transition, plus inattendue : l’évolution de Cap’Com vers une coopérative d’intérêt collectif, afin de garantir son indépendance et sa pérennité, avec une gouvernance ouverte. Des principes qui existaient de fait mais qui, avec cette nouvelle forme, entrent en phase avec les pratiques abordées tout au long de cette édition. Ce qui nous lie, désormais, c’est aussi une coopérative.
Innovation et convivialité
C’était dit, ce 31e Forum laisserait plus de place pour les échanges libres et les rencontres. Les ateliers et conférences s’articulèrent avec des temps banalisés, ouverts et animés au cœur même du Forum. Ces moments conviviaux et ces occasions pour faire réseau ont fait recette. Il y avait plus d’espaces pour se poser, poursuivre le débat en petit groupe, faire connaissance, voire solder ses mails ou faire un dernier BàT ! Dans l’espace des partenaires, auprès de ceux dont c’était le premier Forum ou au bistrot de la com, chacun a pu échanger ses impressions ou évoquer, par exemple, l’une des sept visites pro qui avaient été organisées mardi : un record ! C’est lors d’un de ces temps banalisés, jeudi matin, qu’ont eu lieu les premiers « Conseils à la coque » : 11 spécialistes ont pu répondre aux questions particulières de chacun – en précisément quatre minutes – et offrir ainsi un accompagnement professionnel personnalisé. Cette formule a d’ailleurs été reprise dans un autre format d’atelier, plus orienté vers le développement personnel : les ateliers « pro ». Ils expérimentaient une disposition de salle permettant aux participants de se voir et d’interagir. Mais les innovations ne concernèrent pas seulement la forme, on renouvela également le fond avec cinq conférences « Hop » dédiées à de courtes présentations d’actions de communication publique résumées de façon la plus « enlevée » possible !
Ce qui nous délie
Il n’y a pas que le lien, celui qui rapproche, il y a également cet élan positif qui délie, non pas dans le sens « qui éloigne », mais plutôt « qui libère la parole ! ». Comme le yin et le yang, lier et délier ont entamé un mouvement à Bordeaux, générant un joli courant alternatif dont les effets furent sensibles lors des déjeuners, impressionnants. Ou bien au Palais de la Bourse, pour la grande soirée Cap’Com, sous le regard des robots de la future Robocup de Bordeaux et sous le signe des vins de Bordeaux. Un test à l’aveugle géant permit à chacun de voter pour des cépages selon son nez. Sans étiquette, il faut bien se fier à son flair (n’y voyez pas d’allusion aux municipales). Ou bien même, plus tard, lorsque les capcomiens et les capcomiennes ont essaimé en centre-ville.
Ceux qui nous rallient
À tout point de vue, cette édition aura été une grande édition. Il y eut ce petit supplément d’âme qui signe certains millésimes. Et lorsque l’on se penche sur la somme des échanges, des plénières, des ateliers ou des visites, il est difficile de déterminer ce qui en fut le ferment. Certes, sans un bon travail en amont, avec le Comité de pilotage et les partenaires des territoires, sans une élaboration studieuse des contenus, sans une contribution experte des intervenants, il n’y aurait sans doute pas eu de motifs de satisfaction, mais il faut, semble-t-il, revenir à ce sentiment d’urgence, cette incertitude de la veille, pour trouver un début de réponse. Car il y eut, à Bordeaux, une évidente envie d’être ensemble, de braver les éléments. Combien de récits d’odyssées individuelles, de parcours de com battante ! Même les retours, en covoiturage souvent, furent l’occasion de prolonger le Forum entre communicants d’infortune, poursuivant dans l’habitacle les débats du cénacle.
Le désir de ne pas se laisser détourner de l’essentiel, de venir pour justement mieux appréhender une société en mouvement, l’a emporté. Certains ont dû renoncer, mais la fréquentation fut malgré tout à la hauteur de l’édition record de Lyon en 2018. Et c’est un signe puissant. Celui d’un attachement. Ce qui nous lie, titre prémonitoire, allait mettre en lumière ce qui nous liait au Forum lui-même. Et ce fut vraiment stimulant à vivre.