Cet été, j’ai bien communiqué
Tout au moins j’ai essayé, car loin du bureau c’est le moment de réfléchir aux fondamentaux et d’être observateur, curieux, novateur, expérimentateur… La communication estivale demande finalement pas mal d’expertise !
Par Youcef Mokhtari.
Le repos du communicant c’est, je le croyais, l’abandon de toute forme sophistiquée de langage, le retour aux sources, le contact simple, le vrai… On se tape dans le dos, on redemande des merguez, on sourit béatement sans se préoccuper de son image (on rentre le ventre quand même !). Mais cet été m’a projeté dans des situations communicationnelles complexes qui m’ont laissé perplexe.
Communiquer avec son moniteur
Test réussi. Mais quelle galère ! Car les moniteurs de plongée, comme tous les moniteurs sportifs (et les instructeurs militaires), pensent qu’il suffit de parler fort et clair pour obtenir des résultats. Mais ceux-ci n’étant pas toujours probants, ils le font savoir… fort et clair ! Dans le cas précis, en phase subaquatique, difficile de communiquer autrement que par gestes. Et la clarté n’étant pas toujours au rendez-vous, il m’aura fallu toute l’expérience d’un candidat redoublant au niveau 1 pour comprendre ce que le moniteur attendait de moi, exprimé par moult moulinets, hochements de la tête, mains sur le masque, bulles et œillades vertes (ça c’est à cause de la couleur de l’eau). J’ai donc anticipé ce qu’il pouvait bien attendre de moi, comme quand les profs de maths attendent simplement que tu leur ressortes la formule apprise la veille, sans chercher à comprendre ni pourquoi ni comment. Vu qu’il remplissait son masque d’eau et qu’il soufflait ensuite dedans (et pas seulement de rage), j’ai imaginé qu’il souhaitait que je simule une inondation de mes yeux (pas malin, vu que c’est par là qu’on communiquait, mais bon...). Gagné. Il était content.
Immersion prolongée
Deuxième test, toujours amusant, qui consiste à formuler une demande compliquée, urgente, sans connaître la langue de son auditeur. Cas d’école qui vous ramène loin dans vos études, au temps où l’on apprenait que près de 80 % de la communication est non verbale. Expressions du visage, signes, mime, onomatopées, maintien d’un contact visuel permanent : et voilà que votre interlocuteur percute et vous indique une personne capable de vous transporter, et vous note son numéro de téléphone. C’est incroyable ce qu’on peut dire sans parler ! Mais c’est inconfortable. Et ce n’est pas mon escapade en Auvergne pour cause de fuite devant la canicule qui l’aura démenti. Plus que les mots : l’attitude, les gestes, la posture, le mouvement, sont un discours en lui-même qui dépasse les frontières culturelles et bouscule les barrières sociales. Quel répertoire sémantique ! Ici ou là-bas, quand on sort des sentiers battus pendant l’été, toute communication demande des efforts importants. Il faut capter les usages, apprendre de nouveaux codes, mettre toute son énergie pour délivrer un message, interpréter tous les signes et plonger dans un océan d’humanité, vif, dense, varié, réactif, étrange et beau. Ce qui ne repose pas de notre labeur quotidien !
Incongru et douteux
Et au retour, riche de toutes ces communications épuisantes mais fécondes, on retrouve l’autoroute chargée, la conduite brusque et incertaine d’une masse de vacanciers avec le GPS calé sur « maison ». Pas franchement contents. Plutôt irritables et dangereusement ballottés par un mouvement d’accordéon qui transforme l’A7 en vaste bal musette. Les vitres sont fermées à cause de la clim. On s’échange des regards hostiles, l’œil torve. Certains ne respectent pas les règles, les codes… le code. Et une communication primitive s’instaure, à base d’appels de phare, de mouvements de bras en l’air, de cris muets (parce qu’on n’entend rien derrière les vitres avec le bruit des moteurs). Je vois bien que le conducteur derrière moi est très énervé parce que je me suis mis sur sa file (à cause d’une manœuvre fine devant moi, je tiens à le préciser pour mon assureur, pour qui la communication se limite à une question de priorités, comme pour mon DG d’ailleurs). Ce pédant rentre-t-il bien de Nice ? Je ne change pas d’allure et quand il me dépasse par la droite, je lui adresse un signe très intéressant, international, qui ne mobilise qu’une main, et même qu’un doigt.
Enrichir son répertoire
Loin d’être une pause, cette période de vacances, retiré du monde de la communication publique, constitua donc une grande révision, dans un immense champ expérimental. Comment ne pas entendre là un appel à mieux prendre en compte ce que j’aime à nommer « les communications naturelles », celles qui s’établissent d’elles-mêmes, qui vont au plus simple, qui glissent, qui s’insinuent, qui sont efficaces au-delà de tout ? Je prends une résolution de rentrée (cela existe-t-il ?) : celle de mieux écouter et déchiffrer le langage non verbal de mes interlocuteurs, modestement, au-delà des techniques froides. C’est plus « une question de feeling » (comme dans la chanson de Fabienne Thibeault : « Deux étrangers qui se rencontrent, Stoppant leur course contre la montre… »). Je prendrai garde à mieux m’intéresser au contexte, à la culture ambiante, aux attentes non formulées et aux conventions implicites. J’ai hâte d’ailleurs de rencontrer mes homologues pour bousculer mes convictions, leurs convictions, sur ces thèmes. Mais pour le moment, je suis vidé comme un plongeur qui a exploré le fond de la Creuse.