
Confinement numérique
Faites le test : en arrivant au bureau, n’allumez pas votre ordinateur. Ne consultez ni messagerie ni agenda sur votre téléphone. Ne comptez que sur vos notes manuscrites et les documents papier présents dans votre bureau. Et dans cette situation, projetez-vous sur votre activité des jours et des semaines à venir.
Par Jean-Charles Lallouet, adjoint à la DGA communication et attractivité de la ville et de l’agglomération de Saint-Nazaire.

Oui, vous n’avez plus que votre mémoire pour reconstituer votre environnement de travail, et les quelques éléments papier qui n’avaient pas été dématérialisés. Cette situation, c’est celle qu’ont vécue les agents de Saint-Nazaire Ville et Agglomération au printemps dernier. Victimes d’une cyberattaque d’ampleur, les deux collectivités ont vu leur système d’information mis à l’arrêt. Les ordinateurs, la messagerie, les lignes téléphoniques, les logiciels métiers, les matériels connectés, tout est à l’arrêt. Une sorte de nouveau confinement, numérique cette fois-ci. Point de vue de l’intérieur, où les cahiers et les crayons ont remplacé les ordinateurs.
Le retour du papier et du crayon
À la différence de la crise sanitaire, la vie a suivi son cours par ailleurs. La stupeur provoquée par cette situation inédite a ainsi rapidement laissé la place à la réorganisation de l’activité en interne. Pendant que les agents de la DSI, épaulés par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi) et Orange Cyberdéfense, analysaient l’attaque et rebâtissaient brique par brique notre maison numérique, les services développaient des procédures papier pour maintenir les services publics essentiels.
Comme un pied de nez à l’actualité qui remettait au même moment la notion de mérite des fonctionnaires dans le débat public, celles et ceux de Saint-Nazaire rivalisaient de réactivité, de souplesse, d’ingéniosité et de persévérance pour garantir les services aux habitants. D’autres se mettaient à disposition pour aider les équipes qui en avaient le plus besoin. Dès le premier jour de la crise, aucun accueil n’a été fermé. On reçoit, on informe, on fait patienter, on tente d’expliquer un contexte pourtant difficile à mesurer de l’extérieur.
La direction de la communication, mutualisée entre la ville et l’agglomération, était dans le même bateau que tous les autres services. Sans plus aucun planning ni fichier, sans accès aux dossiers en cours, sans capacité à rédiger, à mettre en page ou à diffuser quoi que ce soit (sauf sur les sites web et les réseaux sociaux), les équipes se sont démenées pour reconstituer les projets, poursuivre ce qui était en cours avec les prestataires. Le système D est devenu la règle, avec l’appel vocal et le SMS comme seuls outils de travail disponibles. Et déjà il fallait anticiper une sortie de crise sans en connaître la durée : faut-il annuler des projets et des événements ? Continuer coûte que coûte, avec les moyens du bord ? Attendre en espérant que la situation se débloque, quitte à mettre un coup d’accélérateur pour tenir ce qui était prévu ? Tout se décortiquait et se tranchait au cas par cas.
Garder une capacité d’agir
Ces journées ont mis à l’épreuve notre activité, si dépendante des outils numériques, mais aussi notre propre fonctionnement, collectif et individuel, tout aussi accro aux nouvelles technologies. Dans cette situation, le temps défile à toute vitesse en même temps qu’il paraît interminable. L’effort de mémoire et d’adaptation imposé par la crise use et interroge nos usages. Le facteur humain reste sans doute la donne que ne pourra jamais circonscrire un protocole de gestion de crise, aussi bien pensé qu’il puisse être. Cet événement nous a appris beaucoup sur nous-mêmes, et nous fera indéniablement évoluer positivement. Le temps de l’analyse est en cours, le changement sera nécessaire. C’est sans doute ça aussi, la sobriété numérique : garder une capacité d’agir, même quand les écrans restent éteints.