Contre les infox : vos 5 boucliers
Théories du complot, fausses informations, influence offensive, conspiration, vérité alternative… Le communicant public se doit de traiter les infox comme des crises, c’est-à-dire comme des situations pouvant mettre en péril la confiance dans l’institution publique et ses représentants, condition pourtant nécessaire à la démocratie. Sans les minimiser, ni surréagir, mais avec la complexité et l'incertitude dans laquelle les crises peuvent nous embarquer. Chaque situation exige une analyse propre et du discernement. Mais les bonnes pratiques de communication de crise nous éclairent sur des étapes cruciales pour identifier et prévenir le risque de désinformation, et en limiter l’impact. Une checklist de survie en 5 étapes.
Nathalie Maroun, directrice associée du cabinet Element et experte gestion et communication de crise, nous livre ici la synthèse de son intervention sur les similarités entre la com de crise et la lutte contre les infox au 2e séminaire international des communicants publics de Strasbourg.
1. Identifiez et réduisez le risque
Comme toute crise, la désinformation naît des fragilités existantes et de leur ignorance. C’est pourquoi il est important de comprendre en quoi consiste le risque : ce qu’est une campagne de désinformation, par quels mécanismes elle se diffuse mais également qui sont les publics qui risquent d’y être sensibles. Par exemple : les campagnes de désinformation touchant aux sujets de santé publique se diffusent plus rapidement parmi les jeunes parents, anxieux de la santé de leurs enfants.
Comment procéder ?
- Identifiez les sujets sensibles, à risque de devenir sujet de campagne de désinformation. Ils peuvent être liés à l’actualité (électorale par exemple) ou au contexte (santé, environnement, finances publiques, etc.).
- Mettez en place des mécanismes de veille adaptés. Même si vous ne prenez pas la parole sur un sujet sensible, les médias sociaux peuvent bien s’en saisir, selon un agenda que vous ne maîtrisez pas toujours, car vous n’avez pas le monopole de la communication.
- Identifiez les « gestes barrières » et les actions de communication à mettre en œuvre, de façon préventive afin de réduire le risque de désinformation. Plus un sujet est complexe, nuancé, plus le risque de désinformation fondée sur une simplification manichéenne à outrance peut se produire. Prenez le temps d’expliquer. Un public qui comprend un sujet est un public qui doutera moins devant la désinformation.
2. Ne vous trompez pas de crise
En présence d’une communication que vous pouvez qualifier de désinformation, l’enjeu de la réponse est double : rapidité et fiabilité. Il est important de ne pas se tromper d’objectif. En effet, l’objectif d’une réponse à une infox n’est pas de nourrir le débat, ni de démontrer qu’on a raison, mais de :
- limiter la propagation de la campagne de désinformation ;
- éviter qu’elle n’impacte un public jusque-là préservé, ou non exposé encore ;
- éviter que le doute ne vienne compromettre les comportements souhaités. Par exemple la baisse de fréquentation des cinémas liée à une opération d’exagération de l’invasion des punaises de lit.
En bref, définissez ce que vous devez protéger. Cela suppose d’accepter également d’identifier ce à quoi vous acceptez de renoncer.
3. Appelez un chat un chat
Il est très difficile, sinon impossible, de démontrer que quelque chose qui n’existe pas, n’existe pas. Et la complexité de la réponse à une campagne de désinformation réside dans ce constat.
D’autant plus que la désinformation se nourrit d’amalgames, d’approximations et de certitudes énoncées comme des vérités scientifiques. N’oublions pas que le doute cartésien est fondamental dans l’approche scientifique.
Face au désordre induit par la désinformation il est essentiel de :
- distinguer l’expérience de l’expertise, et l’opinion des faits. La communication publique devant la désinformation a pour responsabilité de ne mobiliser que des faits avérés et vérifiés ;
- distinguer entre le vraisemblable et le vrai. Le défi de la communication publique est de s’appuyer sur des informations vraies, afin de développer les consensus même si certains publics peuvent trouver plus rassurantes des versions fausses mais vraisemblables, fondées sur des schémas de pensée réconfortants et des biais cognitifs ;
- nommer ce que la situation est, et non chercher à nier ce qu’elle n’est pas. « Non, la commune n’accorde pas de privilèges à telle association » n’est pas audible face au doute induit par l’éventualité de cette accusation. Une information ouverte et transparente sur l’attribution de l’ensemble des subventions ne convaincra pas tout le monde, mais évitera que le doute ne s’installe partout.
4. Ne restez pas seuls
Une information ne circule pas seule. Elle est portée par des vecteurs, individus, groupes ou médias qui en assurent la propagation, sciemment ou parfois sans le savoir.
Face à une situation de désinformation, n’oubliez pas que la fiabilité de l’information compte autant que son accessibilité. De plus, les informations, poussées par les algorithmes, ont tendance à évoluer à travers des bulles sociales définies.
Pour contrer cela :
- identifiez les publics que vous pouvez toucher facilement, par exemple les abonnés d’une page sur un réseau social ;
- identifiez des personnes et des communautés ambassadrices à qui revient la mission non pas de se faire l’écho de votre discours mais d’être un trait d’union avec une ou plusieurs bulles sociales en adaptant la communication à leurs questions, enjeux et sensibilités ;
- formez vos équipes à identifier les risques de désinformation grâce à la pensée critique.
5. Préservez la relation de confiance
Les peurs se nourrissent de ce qu’on ignore, et les campagnes de désinformation misent beaucoup sur les peurs. C’est sur le long terme que se travaille la prévention des risques de désinformation à travers la relation de confiance avec les citoyens et les médias. À travers un dialogue soutenu, et le respect des croyances des uns et des autres.
Derrière la désinformation se cachent une grande fragilité de nos modèles de pensée critique et une confiance souvent remise en question des institutions publiques et de la science.
La relation de confiance ne peut se créer qu’en laissant de côté la certitude arrogante, qui réfute le dialogue, ou qui minimise les peurs qui se cachent derrière les infox.
Certes, l’expérimentation scientifique démontre que les vaccins sont sûrs, mais la peur de jeunes parents est légitime. L’appeler théorie du complot, c’est rompre toute possibilité de dialogue. Et que serait la communication publique sans dialogue ?