Covid : sous le masque, la parole publique inaudible
Franchement, on ne veut pas jeter d’huile sur le feu, ni emmerder personne. Mais depuis deux ans et le début de la covid-19, on tourne et retourne nos doigts sur le clavier sur la gestion de la parole politique. Angoisse, colère, abattement, révolte, espoir, lassitude… Que dire et comment ? Soyons clair, on n’a pas envie de céder à la critique facile : personne n’aimerait gouverner pendant une telle période. Pas envie non plus de cracher dans la soupe. Les communicants publics ont largement fait leur part pour faire passer les messages de prévention. On n’a pas non plus le goût de participer aux complots faciles contre la politique, la science, les médias, les labos, les vaccins.
Par Bruno Lafosse, président de l’agence de communication publique et citoyenne Boréal, membre du Comité de pilotage de Cap’Com, ancien dircom de Dieppe.
Reste quand même un malaise. C’est pas qu’on nous cache tout ou qu’on nous dit rien. Juste que cette crise vient rappeler avec une acuité nouvelle combien la parole publique s’est abîmée, de petites phrases en non-dits, de clashs en effets d’annonces, de tweets stupides en volte-face. L’enchaînement des bourdes est cruel, et usant à la longue. Les masques qu’on n’était pas capables de porter, le système de santé bien préparé, les discours guerriers contre l’ennemi invisible, le vaccin qui évite la contamination, le refus de la levée des brevets, les protocoles multipliés jusqu’à l’absurde (pass sanitaire dans les TGV, mais pas dans le TER, dans les cinémas, mais pas dans les supermarchés…).
Et puis voilà le trop-plein, 2022 et son effet Omicron. Notre ministre de l’Éducation nationale qui réserve systématiquement ses annonces à la presse et zappe tout aussi systématiquement la consultation des professionnels avant de changer trois fois de protocole en une semaine. Notre président qui veut emmerder une partie des Français… Soudain, on comprend ce qui nous gêne depuis le début de la crise : cette impression qu’on nous vole notre part de citoyenneté et de libre arbitre. On nous prend pour des demeurés, incapables de comprendre une épidémie, les incertitudes, les mutations du virus, de nous soigner, de nous dépister, d’avoir un avis sur une stratégie vaccinale ou sur le fonctionnement de notre système de santé.
Mais à quel moment fait-on simplement appel à notre intelligence pour débattre et délibérer ensemble ? À quel moment on se dit qu’écouter les soignants, les personnels des Ehpad, les enseignants, les pharmaciens, les patients, les élus locaux, ça ne veut pas dire faire preuve de complaisance dans la lutte contre la maladie, mais au contraire donner les meilleurs outils à chacun pour s’en prémunir ! À force de prendre les gens pour des imbéciles et le citoyen pour une part du marché électoral, on abaisse le niveau du débat public, on aggrave les fractures, on renforce la défiance et l’on perd en efficacité quand il s’agit de se protéger collectivement. Notre société n’est pas (seulement) malade de la covid. Elle l’est de la manière dont le pouvoir s’exerce, déconnecté des réalités et hostile à toute idée de transparence et de contrôle citoyen, avec un discours issu de la novlangue managériale – vous vous souvenez de la distanciation sociale ?
Sauf qu’en matière de santé, il est indispensable que le patient soit un acteur conscient, dans la prévention comme dans le soin. Cela suppose une information honnête et transparente sur les avantages et inconvénients de chaque traitement, de chaque stratégie. Admettons le fait que la défiance serait moins grande si quelques scandales sanitaires ne s’étaient produits ces dernières années : Mediator, Dépakine, Levothyrox, chlordécone…Reconnaissons que si les labos n’étaient pas dans la course au profit autant que dans la course au vaccin financée par l’argent public, le débat serait plus serein.
Tout ça finit par gâcher les plus belles réussites : des Français·es qui ont globalement fait preuve d’un civisme remarquable, un vaccin trouvé en un temps record et une campagne de vaccination réussie grâce à une mobilisation inédite du terrain et des collectivités, un retour en grâce du service public dans sa capacité d’accompagnement égalitaire et désintéressé…
Alors, puisqu’on est à l’heure des vœux dans une année électorale, formulons-en quelques-uns. À défaut d'un vaccin contre la bêtise, rêvons que la parole politique et publique puisse retrouver un peu de cohérence et de crédit. Qu’on arrête avec les décisions d’émotion et les promesses intenables genre, « Rendez-vous dans trois mois à Marseille pour voir tout ce qui a changé », « ressortir le Kärcher du garage ». Qu'on arrête les volte-face, les « Je ne serai pas une candidate de plus » mais quand même, les « J'irai jusqu'au bout », sauf si… « La République, c'est moi », etc.
Rêvons que le débat public se mène ailleurs que chez Hanouna et consorts, où l’avenir du pays se joue à la force du clash et du buzz, entre deux infos anecdotiques sur le devenir de telle ex-star de la télé-réalité. Santé, dérèglement climatique, envolée des inégalités sociales, contrôle des datas, nucléaire et énergies renouvelables, laïcité… les sujets de débat ne manquent pas. Ils sont nécessaires. Ils réclament du sérieux, de la pédagogie, parfois de l’ennui et surtout de l’honnêteté : savoir dire ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. Savoir penser sur le temps long autant que dans l’urgence. Quel risque prendrait-on à réinventer la délibération collective selon l’idée cartésienne que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : que le peuple prenne le pouvoir et qu’il l’exerce ! Non, je déconne…
Illustration : Alex Jordan, Atelier Nous travaillons ensemble.