Crise du coronavirus : le service public est une vocation d’avenir
La crise sanitaire qui secoue nos territoires balaie nos repères. Tous ? L’un d’entre eux émerge cependant : le sens du service public, qui relève plus que jamais de la vocation, quel que soit le rôle de chacun. La résistance s’organise dans les collectivités. L’obstacle est de taille, mais regarder vers l’après nous aide à garder la tête haute.
Par Yann-Yves Biffe.
Silence dans les rues.
C’est la guerre. Une guerre étrange qui désempare car l’ennemi est invisible, insaisissable, microscopique. Et pourtant, il a réussi à faire passer une élection municipale, celle qui passionne les Français d’ordinaire, à la trappe.
Il annule les fêtes et réunions, vide nos salles et espaces publics, il brise nos manifestations de respect ou de tendresse. Il prépare une crise économique certainement très importante, dont on ne peut mesurer l’impact pour l’instant et ses conséquences sur le corps social à court et long termes.
Nos collectivités sont concernées. Déjà parce que tout le monde est concerné. Pas en première ligne, certes, réservée aux soignants, mais juste derrière.
Ça fait plusieurs années qu’on nous répète à longueur de formations, de colloques et de Gazette des communes que les managers territoriaux doivent faire preuve d’adaptabilité. Je crois que là, on y est. Gérer en une semaine une élection et la mutation de son organisation pour la faire évoluer du quasi tout présentiel au quasi tout virtuel, ça demande pas mal de pragmatisme et une tête bien froide plus que bien pleine. Et force est de constater que les collectivités ont répondu une fois de plus présentes, faisant passer le message à leurs populations et l’appliquant à elles-mêmes, en mettant au point des dispositifs à remettre immédiatement à plat suite à une nouvelle annonce présidentielle ou ministérielle.
Ça donne à souligner la permanence de la vocation de service public
Parce que c’est une crise majeure, l’histoire s’accélère. Les personnalités se révèlent face à la menace, face à la fin des habitudes et à la nécessité de repenser toutes nos organisations. On ne triche pas avec la réalité du service public, qui est soumise ici à un véritable test chez chacun de nos collègues. C’est aussi pour l’utilité que nous pouvons apporter que nous faisons ces métiers, que nous exerçons cette vocation. Des décisions doivent être prises dans l’intérêt général. Des responsabilités doivent être exercées. Des missions réalisées. Certes, parler à un usager peut soudainement comporter un risque. Mais celui-ci doit être analysé sans paniquer pour le réduire et apporter le service attendu. Le dévouement prend tout son sens, l’équilibre doit être trouvé entre la protection des agents et la protection de la population, l’un ne devant jamais totalement disparaître au profit de l’autre. Et c’est vraiment une joie (intérieure) que d’entendre des collègues se proposer spontanément pour « rendre service » dans la difficulté, au-delà de leurs missions classiques, quand malheureusement d’autres (heureusement rares) pensent surtout à savoir comment ils peuvent se mettre à l’abri chez eux à ne rien faire en étant payés.
On peut cependant et humainement comprendre que chacun se sente individuellement désemparé. La résistance par le cache-cache, ce n’est pas dans nos mentalités, bercés que nous sommes de super-héros qui montent au front, qui dressent le poing. À l’inverse, nous sommes appelés à nous terrer, tenus en haleine par les événements et les chaînes infos, depuis de nombreux jours, résistant par des « gestes barrières » et de la « distanciation sociale ». Pas facile vraiment de lever la tête pour porter le regard au loin, quand tout n’est que brouillard et que l’on ne sait pas trop ce qui va se passer ne serait-ce que dans quelques jours. À l’heure où vous lisez ces lignes, peut-être la situation a-t-elle déjà changé du tout au tout ?…
Ça donne à préparer l’après-crise
Pourtant, si on se force à regarder après la crise, car elle aura une fin, on doit pouvoir apercevoir un monde pas forcément meilleur, mais différent. Ainsi, selon le neuropsychiatre Boris Cyrulnik sur France Inter, « après le coronavirus, il y aura des changements profonds, c'est la règle. (...) À chaque épidémie, ou catastrophe naturelle, il y a eu changement culturel. Après le trauma, on est obligé de découvrir de nouvelles règles, de nouvelles manières de vivre ensemble ».
Cette crise, quand on sera en mesure de l’analyser, sera forcément pleine d’enseignements. On étudiera les conséquences d’une vie familiale permanente les uns sur les autres. Est-ce que ça va resserrer les cellules familiales ? Multiplier les divorces ? Il y a vingt ans, M6 lançait une émission appelée Loft Story. On trouvait ça assez débile...
On n’apprendra sans doute plus tout à fait comme avant
De facto, le modèle pédagogique doit être inversé. Les professeurs ne doivent plus déverser leurs savoir ou consignes, mais donner matière à recherche à leurs élèves qui vont revenir vers eux pour tester leurs trouvailles.
À distance, on n’interroge plus sur du par cœur, puisque les élèves ont les réponses sous la main. Il faut donc solliciter l’intelligence plus que la mémoire, et évaluer si l’élève a compris le cours, est en mesure d’analyser une situation et de proposer des solutions.
C’est d’ailleurs ce que j’appelais de mes vœux il y a deux ans lors d’une chronique intitulée « La data partout : changer les examens pour changer les études ».
Surtout, à l’issue, on va apprécier encore plus la liberté. Comme dans une guerre classique, c’est d’être privés de nos propres choix, de nos décisions d’aller ici ou là, de faire ça (ou pas), de rester chez soi mais parce qu’on le souhaite, qui nous manque le plus. La liberté est notre bien le plus précieux.
La liberté partagée, surtout. Quel intérêt d’être libre de ses allées et venues dans une ville où tous les autres sont confinés ?
Alors, cette liberté, une fois qu’on va la retrouver, nous aurons tous une grosse grosse envie de la célébrer ! Les retrouvailles seront forcément belles, le coronavirus a bien fait les choses, elles tomberont aux beaux jours…
Territoriaux des services culturels et événementiels, préparez-nous une belle fête dans vos têtes pour l’instant. Elle aura forcément physiquement lieu et elle sera très contagieuse !
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