Dans le monde rural, un déficit de la parole publique
Comment ne pas s’alarmer de la fracture entre les territoires que révèlent les résultats électoraux de ce premier tour de la présidentielle. France de l’Est et France de l’Ouest, disent les experts. Mais surtout vote urbain et vote rural qui s’avèrent profondément différents.
Par Bernard Deljarrie
délégué général de Cap'Com
D’un coté les aires urbaines où un tiers des électeurs votent Macron et où Le Pen est reléguée à la troisième place avec souvent moins de 15 % des voix. De l’autre, les territoires ruraux qui donnent des résultats inverses avec un FN largement en tête et un candidat d’En marche amplement distancé.
Une France réellement coupée en deux. Une moitié des communes appartenant aux 770 aires urbaines, l’autre moitié qui regroupe moins de 10 millions d’habitants (15 % de la population) sur 55 % du territoire. Deux France, deux comportements électoraux profondément distincts, deux situations économiques et sociales aux antipodes.
Ce n’est pas sur les thématiques privilégiées par le FN – insécurité, immigration – que se construit cette opposition. Mais plutôt sur un sentiment prégnant dans le monde rural de n’être plus entendu, d’être relégué loin des centres de décision, de subir seul la disparition des activités économiques, la raréfaction de l’emploi et la dégradation des services publics. Certains marqueurs illustrent depuis longtemps ce fossé, comme la couverture numérique ou la forte inégalité de la géographie médicale.
La situation du monde rural reste liée à la crise de l’agriculture, trop souvent oubliée par une classe politique urbaine. Depuis les années 90, le nombre d’exploitations agricoles a été divisé par deux et le nombre d’emplois agricoles a reculé de près de 70 %. Aujourd’hui l’économie du monde rural n’est plus centrée sur l’agriculture qui ne représente, activités para-agricoles comprises, plus que 12 % de l’emploi rural.
Il faut s’adresser à ces territoires, autrement, plus fortement. Reconstruire des formes d’espaces publics en y associant la diversité des acteurs.
Cette France rurale vivrait-elle dans son monde en crise loin de l’autre France : celle des grandes villes plus dynamiques ? Non, ce qui caractérise l’espace rural c’est bien ses relations de plus en plus fortes avec les pôles urbains qui en forment les centralités. 50 % des travailleurs des territoires ruraux sont employés dans les aires urbaines qui leurs sont proches !
L’avenir des communes rurales se construira donc avec les métropoles et les grandes villes, qui garantissent le développement de leurs territoires périphériques. C’est cette complémentarité des territoires qui est porteuse d’avenir et non pas le retour à l’esprit de clocher et au repli paysan. La création des grandes intercommunalités illustre cet état de fait.
Comme l’expliquait Philippe Estèbe lors des dernières Rencontres de la communication intercommunale à Nantes, les métropoles, qui n’étaient que des intercommunalités de services, deviennent la nouvelle centralité capable de construire un discours collectif, de tracer un avenir commun, de créer une identité et un sentiment d’appartenance partagé. Mais dans le même temps, les territoires ruraux perdent cet atout. La parole publique y est absente. L’État et ses préfectures ont déserté, les conseils départementaux sont sans moyens, les grands services publics s’éloignent. Ne subsiste que la parole désincarnée de l'Union européenne et des conseils régionaux pourvoyeurs de procédures. Et restent des élus ruraux qui portent difficilement une parole publique d’avenir, faute de représenter la diversité des nouveaux habitants et d’être suffisamment enclins à travailler en concertation pour impulser ou intégrer une dynamique territoriale.
Nombreux sont les communicants publics, ceux des villes-centre, ceux des communautés d’agglomération, sans oublier ceux des communautés de communes qui se dotent de services de communication, qui observent ce déficit de parole. Il faut s’adresser à ces territoires, autrement, plus fortement, avouent-ils. Reconstruire des formes d’espaces publics en y associant la diversité des acteurs. Porter une communication fédératrice qui associe les espaces urbains, périurbains et ruraux. Il faut, comme le suggère Philippe Estèbe, « sortir les débats délibératifs d’une emprise trop territoriale, pour y entremêler des dialogues qui permettent de parler entre les territoires plus que de parler sur les territoires ».