De la marque de territoire à l’actif immatériel
Par Albine Villeger
Les évolutions significatives du modèle de développement économique interrogent les acteurs de l'attractivité territoriale sur leurs capacités à appréhender ces changements, leurs conséquences sur les démarches de marketing, à les cerner dans leurs avantages et inconvénients respectifs au regard de l'ancrage local, repensé comme un actif immatériel de nature communicationnelle.
L'appétence de plus en plus grande pour les dimensions du cadre et de la qualité de vie conjuguent leurs effets avec celles des des nouveaux modes de travail, que cela concerne l'organisation spatiale - co-working, télé-travail, tiers-lieux collaboratifs ... ou la volonté d'agir en circuits courts généralisés, et pas uniquement pour l'agriculture et l'alimentation.
Co-construire son projet de développement en le faisant reposer sur des valeurs humaines et des richesses partagées ne constitue pas un slogan pour électeur-gogo. Cette tendance lourde s'inscrit dans des démarches récurrentes de "place-making citoyen", à l'instar de l'expérience de Rockford en Illinois, où la victoire surprise d'un candidat non issu de l'un des deux blocs, a débouché sur la mise en place d'un circuit court de développement en mode XXL ! Parti d’une simple conversation sur Twitter, le maire de Rockford, une ville de 150 000 habitants, lourdement touchée par la crise industrielle et le chômage, propose à Etsy, leader de la vente en ligne de produits de l'artisanat local, l’idée d’un partenariat inédit, « gagnant-gagnant », pour développer une "Etsy Economy" sur son territoire et revaloriser l’image de sa ville… Le principe : ne pas s'illusionner sur les capacités du territoires à attirer artificiellement les catégories dites CSP+ - ou plus joliment nommés "nouveaux talents" - avec des start-ups, mais partir de la situation humaine des populations, ayant voté pour une autre vision du territoire, et ancrer le développement dans le fameux "Il n'est de richesses que d'hommes" de Jean Bodin. Des populations fragilisées socialement, peu qualifiées. Acte I : diagnostiquer les capacités de chacun.e, identifier les potentiels d'auto-entrepreneuriat - aussi modestes soient-ils. Acte II : les mettre en formation pour conforter les compétences acquises ou spontanées dans le domaine de l'artisanat - entendu de manière large - et développer celles nécessaires à une activité d’auto-entrepreneur, avec des clés de fonctionnement numérique pour en faire des micro-entreprises. Acte III : mettre en place une plate-forme pour propulser et booster commercialement toutes ces micro-activités, en capacité de répondre aux besoins des habitant.es, client.es, entreprises ... Son principe : avoir le réflexe de trouver localement le prestataire requis, que ce soit en matière de travaux, cadeaux, déco, gâteaux etc. Acte IV : engager des actions de communication, pour que cette possibilité de consulter in situ un annuaire digital de prestataires locaux, soit largement partagée.
Résultat : donner à voir un territoire convivial, dont l'image a sensiblement évolué, et dont la qualité de vie en connexions directes dégage un éco-système de développement, et, in fine, attirer des start-ups dont les acteurs sont en recherche de ce « CO », sous toutes ses formes : co-working, co-voiturage, co-construction locale, éco collaborative, et bien évidemment Eco-activités.
L'attractivité n'est plus cet ailleurs de marketing et de communication ; elle procède de ce que les populations et acteurs locaux veulent donner à leur territoire, et in fine, donnent à voir. Du local au local, ce qui fait du bien à l'intérieur se voit à l'extérieur.
La troisième révolution industrielle, celle du progrès numérique et digital n'est-elle que technique ? Les objets connectés peuvent transformer nos villes minérales en smart-city, avec de nouveaux services aux usagers. Parallèlement, la végétalisation et l'agriculture urbaine cohabitent avec ces kyrielles d'objets connectés pour remettre du territoire-terroir qualitatif au cœur des stratégies d'attractivité métropolitaine. En Corée du Sud, on observe des démarches de "share-city" plaçant au cœur de leurs préoccupations l'économie du partage et l'évaluation des politiques publiques. Économie du partage, car la valeur d'usage prend de plus en plus d'importance en comparaison de la valeur de possession : location de vélo ou auto pour se déplacer ; système de partage des biens immobiliers pour la résidence principale ou touristique ... La part de services produits sur un territoire emporte un pourcentage croissant de son attractivité. Or, les services sont majoritairement produits par les acteurs publics locaux. Notre service public Made in France, qui concourt à l'attractivité résidentielle grâce au bien-être social de toutes les générations (PMI, crèches, écoles, collèges, EPHAD …) ou environnemental et à la sécurisation des parcours de vie professionnelle (insertion, formation ...) pourrait donc se concevoir comme un facteur de ... compétitivité ! L’évaluation des politiques publiques irait donc de pair avec cette économie du partage, issue, en partie, d'un redéploiement du service public.
Comme le disait Robert Kennedy "Le PIB mesure tout, sauf ce qui vaut la peine d'être vécue" : non prise en compte du contenu qualitatif des activités, de la répartition des revenus entre les individus, de la cohésion sociale ...Ces dimensions alternatives au PIB constituent un lien direct avec l'enjeu de l'attractivité territoriale, car celle-ci s'envisage dorénavant à l'aune d'une visibilité globale du territoire : son image, activant des ressorts symboliques, médiatiques, émotionnels, communicationnels et son offre, qualifiable objectivement et rationnellement, mêlant les éléments multi-facettes de l'attractivité résidentielle en sus des paramètres économiques. Sport, culture, habitat, éducation, déplacements, crèche, santé ...constituent autant d'indicateurs performants que le haut-débit, l'accessibilité, le prix du foncier, la présence de salariés formés, dans un cadre de cohésion sociale, gage de sécurité des activités.
« La qualité de vie est le principal facteur de compétitivité », dixit Damien Robert, DG de l'EPA Plaine de France.
Notre territoire-lieu - issu de la vision de l'État aménageur - est devenu un territoire-lien, après les années de décentralisation, faisant évoluer une vision descendante et jacobine en un mode de management de projet concerté et partenarial, entre acteurs publics et privés.
Le prochain défi de l'attractivité sera de réussir à joindre des gouvernances qui se sont historiquement organisées de manière distincte, avec le tourisme. La Bretagne dispose à cet égard d'un savoir-faire historique. Les premiers acteurs du marketing territorial furent les peintres paysagistes, plaçant de facto les espaces géographiques en concurrence pour leurs atouts et attraits naturels. Puis vinrent les progrès ferroviaires, avec un paysage qui défile et d'où émerge la notion de destination touristique.
Nos destinations sont aussi nos cœurs d'identité : le recentrage des citoyens sur leur territoire est manifeste, pour reconquérir une maîtrise des repères et des choix de vie. L'identité territoriale est devenue une ressource. Sa traduction en un actif immatériel au cœur de la cohésion sociale et économique constitue un enjeu pour les nouveaux modèles de développement : économie sociale et solidaire, économie positive, collaborative, circulaire ... Elles évoluent, tout comme les entreprises françaises, entre innovation technologique et ancrage géographique.
En 2017, le rapport Deloitte consacre l'ancrage territorial comme source de compétitivité pour les entreprises. Ce cabinet conseil, peu suspecté de constituer une association de philanthropes humanistes, invite même les entreprises à se rapprocher des collectivités locales. Incroyable changement de paradigme entrepreneurial, qui voit l’ancrage local porteur de sens économique , dans une traduction d’attractivité dont l’efficacité impose d’activer l’intérêt général porté par des acteurs publics. En France plus que dans n’importe quel autre pays, la défiance des consommateurs s’exprime par un taux plus élevé d’usage des logiciels bloquant les pop-up, et de facto par un moindre ralliement aux communautés de marques. Ces marques cherchent avant tout à générer des valeurs, pour mieux agréger leurs consommateurs, les fidéliser et en conquérir d’autres. Incarner des valeurs ne se décrète pas ! Les marques déploient imagination fertile et preuves tangibles, mais ne sont jamais à l’abri d’un bad buzz réputationnel (*), dont l’influence se répand alors de manière virale, et malmène tous les efforts marketing déployés avec force de moyens et d’années. Une marque de territoire incarne la promesse des valeurs qu’elle a décidé de porter et déployer, parfois en y adjoignant l’éthique du service public, doublé d’une dimension de qualité, proximité et efficacité. Elle repose sur des fondamentaux d’identité territoriale, dont la traduction communicationnelle, avec un univers éditorial et graphique – si celle-ci est réussie bien sur ! - est beaucoup plus à l’abri des mauvaises surprises réputationnelles.
Car le territoire a une âme, un affect géographique et humain, qui ne se dévalorise pas du jour au lendemain : le charisme d’une marque de territoire transforme un outil de marketing public en actif immatériel, aux bénéfices entrepreneuriaux et locaux.
Aux acteurs du marketing territorial et de la communication publique de ne pas gâcher cette chance, et de savoir prendre en compte les profondes transformations des modèles économiques, pour mettre à la disposition des acteurs locaux ce potentiel inégalé de plus-value identitaire. Quant au projet politique de l'attractivité territoriale, il devra répondre aux enjeux de progrès humain, social, environnemental et économique, oscillant entre identité géographique, performance de développement local et qualité de vie résidentielle.
(*) : les exemples de Volkswagen ou de la Société générale