Défions la défiance
Ce stress, ce stress, ce stress… Gérer personnellement et professionnellement les privations de liberté, le confinement, les dépistages, les vaccinations, l’impossibilité de prendre l’apéro dans un café avec les collègues… Maintenant, il faut gérer les complotistes. Hé ! Ho !
Par Marc Cervennansky.
@Cervasky
Même si l’affaire a quelque peu disparu des radars, elle a secoué le landerneau médiatique à la veille des fêtes de fin d’année : le danger représenté par le documentaire Hold-up, accusé de véhiculer des thèses complotistes, et le risque de pourrir l’ambiance dans les familles au moment de la découpe de la dinde de Noël : « Les vaccins contre la covid-19 intègrent-ils bien des nanoparticules nous permettant de capter gratos la 5G, et accessoirement un contrôle de la population mondiale ? »
D’ailleurs, j’ai un scoop pour vous : bien avant Sophie Marceau, dès 1985, Coluche et Jean-Paul Belmondo assuraient la promotion du documentaire complotiste Hold-up. La preuve dans cette vidéo :
Après la pandémie de la covid-19, nous voilà menacés par l’épidémie des rumeurs et fausses informations symbolisée par le fameux documentaire Hold-up qui a enregistré plusieurs millions de vues sur internet en France. J’ai même des collègues qui me l’ont proposé sous le manteau sur une clé USB, genre : « Es-tu prêt à apprendre la vérité que l’on nous cache, toi qui es au service de l’État profond et des extraterrestres qui utilisent nos attestations pour guider nos déplacements sur une Terre plate comme une crêpe ? »
Selon le baromètre Edelman 2020, la France fait partie des pays qui font le moins confiance aux institutions. Avec toutefois d’un côté, le « public le plus informé » qui affiche un taux de confiance de 63 % et, de l’autre, une « population de masse » qui exprime une réelle défiance (42 % de confiance envers les institutions). Les réseaux sociaux gagnent sans cesse du terrain comme source d’accès à l’information, notamment auprès des 18-24 ans, qui s’informent à 18 % par la télévision et à 75 % par internet, en privilégiant les réseaux sociaux.
Le pire n’est jamais sûr mais reste probable
Quel sens donner au succès des thèses complotistes, véhiculées majoritairement par les réseaux sociaux, qui deviennent de plus en plus contagieuses et que l’on croyait jusqu’alors réservées à une minorité d'hurluberlus paranoïaques ?
Nous le savons, le complotisme est nourri en partie par la défiance de la population vis-à-vis du pouvoir (sujet qui a fait l’objet de nombreux échanges et articles au sein de Cap’Com).
Face à l’incertitude de l’avenir, où le pire n’est jamais sûr mais reste probable, il est réconfortant de partager des informations, des avis, des opinions plus ou moins argumentés et plus ou moins farfelus pour se rassurer, de croire en des réponses que l’on attend, de se préparer à faire face à ce que nous devons affronter, même de manière biaisée.
Mais se pose-t-on les bonnes questions : qu'est-ce qui nourrit réellement le complotisme ?
Des maladresses et mensonges avérés ont généré des dégâts sur le long terme. Rappelez-vous la crise du virus H1N1 en 2009 avec ces quantités astronomiques de vaccins achetés par l'État et non utilisés. Mais qu'aurait-on reproché à ce même État si la grippe avait provoqué des ravages et si les vaccins avaient manqué ?
Plus récemment, les masques jugés inutiles en début de pandémie pour « masquer » en réalité des stocks insuffisants. Que penser des scandales de laboratoires pharmaceutiques qui ont privilégié leurs profits au détriment des malades, qui se sont vu prescrire des médicaments inadaptés voire dangereux ? Il ne faut pas s'étonner que maintenant une partie non négligeable des Français hésite à se faire vacciner. Certains acteurs privés de la santé étant désormais assimilés à de simples entreprises capitalistes.
Et comment croire à l’efficacité de la participation citoyenne quand, par exemple, les productions du grand débat national, lancé par le président de la République suite aux mouvements des gilets jaunes, n’ont donné lieu à ce jour à aucune publication et encore moins à des actions concrètes ?
Globalement, le manque de perspectives et de foi en l'avenir renforce la perméabilité aux théories complotistes, à l’instar des éléments de langage de partis politiques extrémistes qui proposent des réponses simplistes à des problèmes complexes.
Notre cerveau est physiquement saturé d'informations
Il est plus facile de croire que la pandémie est une volonté d'un pouvoir occulte pour contrôler la population mondiale, plutôt qu'un phénomène complexe que personne ne maîtrise, ce qui le rend d'autant plus effrayant.
Paradoxalement, la quantité astronomique d'informations disponibles sur le net et les réseaux sociaux rend encore plus compliqués leur assimilation et leur décodage.
Notre cerveau est physiquement saturé d'informations, pour la plupart anxiogènes. Vouloir tout assimiler, tout digérer, c’est le burn out mental assuré. Comment faire le tri ? Comment sélectionner, recouper les sources et à qui faire confiance ? Pas simple.
Le sociologue Gérald Bronner décodait récemment sur France Inter la pratique du pouvoir par Donald Trump : la désintermédiation de l'information. Un néopopulisme s'appuyant sur de l'intuition personnelle au détriment d’infos scientifiques. Il s’agit de s'adresser directement au peuple sans passer par le filtre des médias. La croyance irrationnelle prend le pas sur des faits jugés trop effrayants. Il faut se rendre à l’évidence : ces « vérités alternatives » sont devenues une arme politique trop longtemps regardée avec moquerie.
La censure récente (et tardive) des comptes du président des États-Unis par Twitter, Facebook ou YouTube pose d’ailleurs la question de l’équilibre du pouvoir entre ces géants privés du numérique et les institutions. Qui doit cadrer la liberté d’expression, aussi délirante soit-elle ?
Communicants publics, nous sommes au service de personnalités politiques parfois dépassées et désemparées face à la défiance de plus en plus affirmée de nos administrés vis-à-vis des discours que nous relayons. La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses.
La cacophonie et les injonctions parfois contradictoires de l'État, de la préfecture, de l'ARS ou des spécialistes de la santé qui expriment dans les médias leur vision personnelle de la manière dont la crise sanitaire devrait être gérée, ne nous facilitent pas la tâche.
Alors oui, nous pouvons aussi être désemparés.
Ça n'est pas la communication qui va rétablir la confiance de nos concitoyens. Mais la manière dont nous la gérons. Essayons de nous placer dans des temps plus longs, arrêtons de surréagir au moindre bad buzz propagé sur les réseaux sociaux. Faire preuve de modestie, de recul, de pédagogie non infantilisante et d’écoute active est notre meilleure arme pour défier la défiance.
Illustration : photo de Jasmin Sessler pour unsplash.com.