Du marketing territorial et de l’identitaire
Assez régulièrement, notamment devant des étudiants, je me sens obligé de prendre quelques précautions oratoires lorsqu’arrive, dans le sommaire de mon intervention, le temps du « portrait identitaire ». Et vous aurez deviné que ce qui coince parfois, ce n’est pas le mot « portrait », mais bien le qualificatif « identitaire », qui fleure, malheureusement, parfois plus le lexique brun et nationaliste que la rose.
par Marc Thébault
D’ailleurs, il y a quelques années, j'avais été plus que troublé par la lecture d'un billet intitulé Les impostures du marketing territorial, publié sur le site Polémia. Soit dit en passant, j'ai un peu hésité à donner l'URL, de crainte de leur faire, à peu de frais, une publicité qui me répugnait. Mais la ligne de conduite que j'ai fixée - toujours citer mes sources - l'a emporté. Voici donc le lien sous lequel vous aurez accès à l'article complet. Autant vous le dire de suite, ce lien vous emporte, visiblement, légèrement à droite de l'extrême droite. Sachez-le d'emblée.
Pour l’auteur de l’article, le marketing territorial ne serait que le fruit de la « néophilie (nouveauté pour la nouveauté) » avec des slogans forcément en anglais ? Oui, on peut légitimement s'interroger sur ce penchant, mais pas la peine non plus d'y voir un complot au service de la mondialisation des esprits. Puis vient la critique d'un « marketing de masse […] qui s'oppose à un marketing de l'offre, qui, à l'inverse, partirait des incontournables spécificités des territoires pour nourrir un discours identitaire de simple bon sens, plus fédérateur pour les populations concernées, plus insolite et fascinant pour des publics-cibles extérieurs » ? Je suis, certes avec le nez pincé, prêt à être en accord avec l’auteur (gasp !) tant la quête des réels discriminants d'un territoire comme la révélation de son âme véritable me paraissent être des incontournables de toute démarche de marketing territorial. Mais, je ne pourrais jamais adhérer à la réponse qu’il propose, quand il entend dénoncer « l'occultation organisée au nom d'une idéologie bien typée (c’est-à-dire ? – ndlr) ». Vous l'avez compris, l'essentiel ici n'est pas la question, mais la réponse. Surtout, ce que cette réponse induit. Et, ici, comment ne pas repenser aux débats nationaux sur l'identité nationale et sur une éventuelle hiérarchie des civilisations ?
Le marketing territorial n'est pas, et ne sera jamais, en tous les cas à mes yeux, un processus de repli identitaire, cherchant à se réconforter par ses racines pour peser face à une quelconque menace de disparition que feraient peser celles et ceux qui seraient « de l'extérieur » et, ainsi, par trop « différents ».
Le marketing territorial se nourrit de mémoire, pas de regrets.
S'il va puiser dans l'Histoire une mémoire collective et les faits qui ont forgé le territoire, il n'est pas emprisonné dans la nostalgie, mais tourné vers demain. Comme le commentait un communicant largement mis en cause par l'auteur du site Polémia : « C'est nier que le marketing territorial part de l'identité du territoire pour ce qu'il est, mais surtout "pour ce qu'il peut devenir". Le récit territorial n'est pas achevé ni figé dans le passé. ». Et comme le conseillent les Africains : « Quand tu ne sais plus où tu vas, regarde d'où tu viens ».
Et définitivement, le marketing territorial devrait chercher à "territorialiser" la communication non pour exclure mais bien pour attirer.
J'ai écrit un jour que cette démarche consistait, en tout premier lieu, à révéler et à aimer ce que nous sommes. Je ne concluais pas en ajoutant, « et faire en sorte que jamais rien ni personne ne viennent un jour tenter de s'y frotter ». Lorsque l'auteur écrit : « les blasons, les patois et autres traditions embarrassent quelque peu les publicitaires de tout poil » il se trompe lourdement, car c'est exactement le contraire. C'est justement par la recherche de ce qu'est l'identité, l'âme (je me répète), d'un territoire que l'on construit pour l'extérieur un discours attractif et surtout singulier et que, pour l'intérieur, on redonne le sens du collectif et la volonté de porter des valeurs communes. Voire, de les partager avec d'autres. Car, une de fois de plus, il ne s’agit pas de se protéger d'une peste extérieure, mais bien d’accueillir l'Autre, dans sa diversité, avec toute la sérénité qu'octroient la certitude d'être soi-même et la confiance qui en découle.
Une recherche identitaire permet donc de se retrouver. Et c’est bien parce que l’on sait qui on est, sûrement et sereinement, que l’Autre n’est pas et ne pourra jamais être une menace. Mieux, il pourra même devenir une opportunité. Car tout portrait identitaire complet pointe défauts et manques que, parfois, seule une ressource extérieure est en mesure de corriger ou de combler.