Et si, au fond, la communication publique ne servait à rien ?
Soyons clairvoyants, la révolution ne passera pas par la communication publique. Une question cependant, comment avons-nous pu (mais il n’y avait peut-être que moi ?) y croire une seule seconde ? Je m’explique tout en précisant que ce texte est surtout un cumul d’interrogations, pas de jugements ni encore moins de renoncements…
Par Marc Thébault.
Enfonçage de porte ouverte : le monde change. Précision : pas forcément en bien. Voilà ce que je me suis glissé in petto après avoir, dans un laps de temps assez restreint, entendu les « révélations » de Kim Glow sur le vaccin anticovid, lu les commentaires de soutien au documentaire Hold-up et ceux stigmatisant de nouveau la jeune Mila. J’ai aussi constaté l’expansion de l’extrémisme religieux de tous bords et certains aspects sectaires de la laïcité lorsqu’elle se pose en négationniste des croyances, subi les tweets de Donald Trump (« I WON THE ELECTION! »), épluché quelques articles sur la loi sécurité globale (et le rappel à l’ordre de l’ONU) et celle consacrée à la programmation de la recherche. J’ai également écouté une conférence de presse de Jean Castex puis une cacophonie inquiétante d’un gouvernement qui, visiblement, n’arrive ni à rassurer, ni à prouver sa maîtrise de la situation (en dehors du fameux « Conseil scientifique », s’entend). Je peux ajouter l’inflation du nombre de pauvres et de sans-abri en France, ou encore le constat d’une fracture numérique qui ne se résorbe pas, bien au contraire. Et pour faire bon poids, j’ai noté le recul évident des libertés individuelles sous le regard béat de celles et ceux qui ne se sentent en rien concernés, « car nous sommes des honnêtes gens, on n’a rien à craindre de plus de sécurité ! ».
Certes, la pandémie en cours ne permet certainement pas de poser un regard serein sur nos sociétés et nos modes de vie. Mais, au-delà du contexte sanitaire, que nous espérons toutes et tous temporaire, la radicalisation, sous toutes ses formes et sur tous les sujets, progresse inexorablement et sans que l’on n’entrevoie la moindre lueur d’espoir.
On pourrait néanmoins estimer que, côté « forces du bien », il y a les communicantes et communicants du secteur public. Depuis très longtemps elles et ils annoncent travailler pour recréer du lien social, faire la part belle à la parole « citoyenne », redonner le sens de l’action publique, retisser de la confiance dans la politique, au moins la locale, et avec les politiques. Donc créer et maintenir des relations avec toutes les composantes de leur territoire, informer en toute transparence, éduquer à la citoyenneté, apaiser des tensions, pacifier l’espace public, proposer un cadre serein de débat et de dialogue social.
D’un côté une communication publique qui se professionnalise sans cesse, sait capter les tendances et qui déclare s’engager de plus en plus pour améliorer, voire changer le monde. De l’autre un même monde qui se clive à grande vitesse et qui, osons le dire, part en vrille.
Pour atteindre ces objectifs, Dieu sait que la créativité a été plus que largement mise à contribution pour inventer des moyens pertinents et adaptés en permanence. Il sait aussi que les efforts d’appropriation des nouveaux (enfin, de moins en moins nouveaux) médias numériques ont été sans retenue. Aujourd’hui, le secteur public maîtrise parfaitement internet (depuis le temps, faut dire…) comme quasiment tous les réseaux sociaux. Sur ces points, la littérature est immense, les décryptages d’expériences légion, les catalogues de formations infinis et les échanges de bonnes pratiques permanents. Au risque cependant de nous rendre « monocentrés ».
Pour autant, d’un côté une communication publique qui se professionnalise sans cesse, sait capter les tendances et qui déclare s’engager de plus en plus pour améliorer, voire changer le monde. De l’autre un même monde qui se clive à grande vitesse et qui, osons le dire, part en vrille. J’ai failli écrire « qui part en couilles », mais cela ne se fait pas. La défiance envers l’Autre – surtout s’il s’agit d’un personnage public – serait devenue une règle universelle. La « première intention », dirait un commentateur sportif. Précision, je ne suis pas certain que nous aurions beaucoup à gagner à tenter de plaider le clivage « vertueuse communication publique locale » versus « désastreuse communication gouvernementale » (lire ou relire, sous ce lien, la récente tribune du JDD), la défiance aux mots publics, même si elle reste moindre au local qu’au national, risque toujours d’emporter tout sur son passage. Après tout, aux yeux de celles et ceux qui rejettent toutes les voix « officielles », nous sommes aussi une voix officielle. D’où le truc du bébé, de l’eau du bain, tout ça…
Que l’on se comprenne bien, la communication publique est bien sûr utile, malgré mon titre un tantinet « putaclic ». Ses initiatives sont essentielles. Et notamment depuis le 16 mars 2020 lorsqu’il a été vital de diffuser vite et bien de très nombreuses informations, de mettre l’accent sur les comportements à adopter, de valoriser les actions déclenchées au service des plus fragiles, comme de l’emploi et de l’économie, et de continuer à faire vivre ensemble, etc. Mais est-ce que tout cela a fondamentalement inversé des tendances sociétales de fond ?
Ainsi, commençant à apercevoir ma fin de carrière, je ne peux que me remémorer tous nos débats passionnés, toutes ces thématiques capcomiennes si généreuses et engageantes, et parfois va-t-en-guerre (cf. l’appel à mobilisation des « soldats de la démocratie » à Lyon en 2018), lancées à chaque Forum et constater que, question amélioration durable du bordel ambiant, pas mal de pain est encore sur la planche !
Et si croire qu’on puisse changer durablement des comportements et des points de vue et être, de fait, un peu des sauveurs du monde, relevait d’une forme d’illusion collective ?
Si les actions de la communication publique remplissent, sans conteste, un rôle primordial de diffusion d’informations indispensables quant à l’organisation de la vie en commun dans nos territoires, croire qu’en plus on puisse changer durablement des comportements et des points de vue – et devenir, de fait, un peu des sauveurs du monde – relève sans doute d’une forme d’illusion collective. Illusion entretenue, c’est une hypothèse, par notre foi en notre professionnalisme, notre créativité ou notre maîtrise des fameux réseaux sociaux comme autant de garanties de résultats. Autre hypothèse alors : et si, en réalité, tout cela ne s’adressait, en réalité, toujours qu’aux mêmes personnes ? Et si nous ne faisions que parler aux plus intégrés de nos mini-sociétés ? Et si, dans les faits et même involontairement, nous ne faisions que creuser un fossé entre celles et ceux qui veulent ou peuvent s’impliquer dans la vie publique (au sens large), lobbies locaux et notables compris, et celles et ceux qui s’en sentent exclus – ou qui s’excluent d’eux-mêmes – et qui tournent, peut-être définitivement, le dos au modèle de vie commune que nous promouvons ?
Parce que reconnaissons que nous sommes, en définitive, plutôt des normatifs, des apôtres du conformisme, cherchant principalement à faire entrer dans le rang, mettant beaucoup d’énergie pour faire diminuer la visibilité de points de vue trop différents et pour toujours tenter de faire adhérer, coûte que coûte, au nom du toujours supérieur « intérêt général », et tant pis s’il devient exorbitant.
En somme, la communication serait plus volontiers un outil, évidemment assez efficace, d’intégration au moule (tant pis s’il n’est pas parfait), mais jamais un creuset au service de la mise au jour, et de la prise en compte, de réelles alternatives. Certes, il existe de nombreuses actions de « participation citoyenne » mises en œuvre ici ou là. Elles sont certainement utiles et bénéfiques pour quelques-uns, mais elles ne sont visiblement pas parvenues à reboucher les lignes de fracture.
Et si nous ne faisions que parler aux plus intégrés de nos mini-sociétés ? Assumons d’être les hérauts du système, pas les porte-parole de la divergence.
Mais, après tout, il n’y a sans doute pas à en avoir honte. Il y a juste à être lucide. Être au service d’une institution, de ses femmes et de ses hommes et de leurs projets (pour lesquels une élection démocratique a d’ailleurs validé l’adhésion) n’a rien de condamnable. Ce serait même assez noble. Ce qui serait en revanche interpellant, ce serait l’entretien d’une chimère professionnelle.
Peut-être alors faut-il cesser de penser que nous serions en mesure de changer quoi que ce soit. Assumons d’être les hérauts du système, pas les porte-parole de la divergence. Nous sommes des intégrateurs, pas des désintégrateurs. Nous sommes plutôt au service de l’obéissance civile, bien peu à celui des adeptes de la rébellion. Nous sommes capables d’influence éphémère, mais pas d’un changement fondamental de paradigme. De là à croire que pour changer réellement nos mondes, plutôt que de créer un nouveau numéro vert, une appli ou une story sur Instagram, il conviendrait surtout de changer de métier, il y a qu’un pas… mais que je ne propose pas forcément de franchir. Car, en fin de compte, notre terrain de jeu n’est peut-être pas le changement de monde, mais certainement la promotion, la reconnaissance et l’acceptation de l’altérité, pour « vivre ensemble ».
J’ai failli titrer cet article « Communicants publics, qu’avons-nous raté ? » (« je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché », comme dirait l’autre). Mais, après tout, je le redis, il ne s’agit pas d’un ratage. Il est peut-être juste question d’une confusion malheureuse des genres ? Ou du refus d’accepter nos limites ? Pour autant, lorsque l’on envisage ce que représente le cumul de toutes les initiatives locales, mêmes les plus infimes, au final, ce serait une sacrée belle et puissante force de frappe, non ?