Et si la communication publique ne pouvait être qu’humaniste ?
Nous sommes tous friands de technicité et de bons « trucs » pour exercer notre métier, notamment dans ses aspects numériques. Mais que valent nos compétences professionnelles sans un minimum de principes pour les encadrer ? Vous vous doutez que je vais évoquer dans ce billet la notion de « valeurs » de la communication publique. Et poser la question de savoir si tous les communicants les partagent. Notons que, puisqu’elle s’exerce auprès d’élus, on va certainement parler politique. L’ensemble, sous la menace d’une épée de Damoclès qui tombera, peut-être, en 2027, si l’on en croit certains commentateurs.
Par Marc Thébault, consultant en attractivité territoriale et communication publique, ancien responsable de la mission attractivité territoriale de Caen-la-Mer.
Incontestablement, la communication publique demande une véritable expertise professionnelle et la maîtrise d’un certain nombre d’outils et de savoir-faire. Du moins quelques notions au minimum, histoire de savoir choisir et faire travailler des prestataires spécialisés ou de pointus collaborateurs. Pour autant, si cela est nécessaire, est-ce suffisant ? Ayant quelques marottes sur ce sujet, je ne peux que les réactiver en affirmant que non, bien sûr, ce n’est pas suffisant, car la communication publique doit pouvoir s’exercer aussi avec des valeurs, avec des principes. Ainsi, si on peut difficilement attaquer sur le strict plan technique certaines campagnes de collectivités gérées par l’extrême droite, on peut s’interroger sur les valeurs qui les colorent. Oui, une affiche peut être professionnellement irréprochable, mais ce qui ne l’empêche pas d’avoir des relents nauséabonds.
Je n’irai pas jusqu’à parler de déontologie. En effet, malgré quelques tentatives anciennes de mettre par écrit des lignes directrices, soit de la part de Cap’Com (les plus anciens se souviendront de la « Charte de Marseille » de 2002), soit de la part de l’association Communication publique, pour l’heure, un tel socle commun n’existe pas réellement. Mais je me dois de rappeler, toutefois, le manifeste publié dans le magazine Brief de janvier 2018, sous le titre « Ceci n’est pas notre métier » et signé par 120 dircoms publics, suite à des campagnes, on va dire « discutables », de la ville de Béziers. Il semblerait donc, enfin je l’espère, que pas mal de dircoms partagent quelques convictions. Par exemple, celle que la communication publique est un service public et ne peut être réduite à une officine de propagande au service exclusif des élus en place et de leur idéologie.
Donc, quid de nos valeurs en général, et quid de leur partage dans notre communauté professionnelle ? Et ont-elles la couleur de celles de nos élus ?
La communication publique est-elle étroitement reliée aux principes politiques qui animent nos élus ?
Vous le savez, même les communicants qui bénéficient de la plus grande confiance de la part de leurs élus ne peuvent, en réalité, mettre en place des formes communicationnelles et des discours, avec les valeurs qui les sous-tendent, que si l’ensemble est considéré, par ces élus, comme conforme à leurs propres valeurs et donc validé par eux. La communication serait donc étroitement reliée aux principes politiques qui animent nos élus. D’où cette question, qui peut fâcher : la communication publique est-elle la même suivant que l’on est dans une collectivité dirigée par la gauche ou par la droite ? Ah ! Un collègue de Saint-Turon-sur-la-Panse m’envoie ce message : « Quelle question ! Autant débattre du sexe des anges ! » On va voir...
Il est, à cet instant, important de rappeler que je ne suis ni un spécialiste des sciences politiques, ni un philosophe. Pour autant, j’ai tenté de classer, à la lumière de diverses lectures, les points de clivage notoires entre droite et gauche, histoire de voir ce que cela donne. Cela, évidemment, en partant de l’hypothèse, optimiste, qu’il existerait encore une « gauche » et une « droite » aujourd’hui en France. Et aussi, forcément, même en n’entrant pas dans les détails (infinis je pense), sans omettre qu’il pourrait exister moult courants, de droite comme de gauche, avec le niveau de tension entre eux que je vous laisse imaginer ou constater régulièrement dans les médias. Quant au « en même temps »… Posons néanmoins quelques pistes...
Si on commence par la droite, vient à l’esprit la liberté, tournée vers les libertés individuelles et la liberté économique. Les notions de responsabilité, d’autorité (principalement de l’État), d’ordre, de protection, de sécurité (« 1re des libertés », entend-on souvent). L’importance du travail, aussi. Un certain conservatisme, un respect des traditions. Et, bien sûr, l’identité nationale (et ses « racines »), le patriotisme, le rapport à la religion chrétienne (voire aux religions en général), un rien de circonspection face à l’Europe, etc. Je vous laisse le soin de compléter la liste et de débattre.
Côté gauche, on pense à la solidarité, à l’égalité, à la justice sociale. Aussi à l’humanisme et à un certain universalisme. C’est également le progrès social (avec la notion de lutte pour l’égalité), la tolérance et la liberté, cette dernière pouvant devenir légitime à s’exercer pour résister aux privilèges et aux oppressions. La laïcité aussi, et une posture générale plutôt favorable à l’Europe. Certains auteurs placent aussi l’écologie comme une valeur de gauche. Là encore, vous compléterez et discuterez si vous le souhaitez.
Est-on vraiment dans des univers si différents lorsque la responsabilité d’une collectivité locale est confiée à une droite ouverte ou à une gauche non sectaire ?
Ces quelques notions vont-elles contribuer à répondre à la question de départ (pour mémoire : « La communication publique est-elle la même suivant que l’on est dans une collectivité dirigée par la gauche ou par la droite ? ») ? Je n’en suis pas certain.
Par mon expérience, comme par des échanges avec certaines et certains d’entre vous, il m’apparaît que le clivage en local n’est pas toujours flagrant sur les aspects évoqués plus haut. Certes, des différences vont sans doute apparaître dans les modes de gestion d’une collectivité, comme dans le choix de telle ou telle priorité, notamment la culture, le social, la sécurité, l’immigration, la transition climatique, la laïcité appliquée au quotidien, etc. Mais, pour autant, et en dehors de postures opportunistes liées à l’actualité et sauf positions particulièrement « dures », est-on vraiment dans des univers si différents lorsque la responsabilité d’une collectivité locale est confiée à une droite ouverte ou à une gauche non sectaire ? Tout au long de ma carrière, j’ai croisé des élus avec qui je n’aurais jamais eu envie de prendre ne serait-ce qu’un café, et d’autres qui ont suscité toute mon admiration. Une confidence : cela avait rarement de rapport avec leur parti. J’ai vu des élus classés à droite gérer avec générosité et bienveillance (et sans paternalisme) des actions sociales. J’ai vu aussi des élus de gauche prendre en charge des opérations économiques et être des interlocuteurs pertinents et respectés des entrepreneurs ou des banques.
C’est surtout par l’idée que l’on a de l’Autre que la différence va surgir.
Alors, qu’est-ce qui ferait la différence et qui provoquerait des conséquences pour la communication publique ? Je prends le pari, osé bien sûr, que c’est surtout par l’idée que l’on a de l’Autre que la différence va surgir. Et je l’ai volontairement mise en dehors de ma liste comparative ci-dessus, la gardant pour la « bonne bouche ». Cet « Autre » donc, qui va engendrer, d’un côté, la crainte qu’il vienne nous prendre quelque chose (voire nous « grandremplacer ») et, d’un autre côté, la conviction qu’il peut nous apporter, nous enrichir de sa différence.
Le sujet de la place de l’Autre, notre éternelle quête de communicant, serait-il donc un pertinent critère ? Je le crois. Quelle image dessinons-nous de cet Autre ? Quelle posture avons-nous vis-à-vis de lui ? Est-il une chance ou bien une menace, un appui possible ou un concurrent certain ? Faut-il s’en méfier, quitte à se replier sur soi-même, ou faut-il parier sur l’ouverture et considérer l’Autre comme son alter ego ? Tout cela peut certainement orienter la communication publique.
Une communication qui promeut le fait du prince n’est pas à ranger au côté de celle qui promeut l’intelligence collective.
En effet, ce que j’ai appris, en trente ans d’expérience, c’est qu’une communication qui n’est qu’un monologue n’est pas la même que celle qui se fonde sur l’échange. Une communication qui pense l’Autre peu prompt à comprendre des enjeux estimés complexes n’est pas identique à celle qui considérera son interlocuteur comme doué de capacités de raisonnement et d’analyse. Une communication qui promeut le fait du prince n’est pas à ranger au côté de celle qui promeut l’intelligence collective. Une communication qui ne vise qu’à cliver n’est pas la même que celle qui veut rassembler. Une communication qui ne fait qu’informer sans ouvrir de débats n’est pas la même que celle qui propose dialogue et co-construction ; et je pourrais poursuivre longtemps l’anaphore.
En somme, et sans rétrécir à outrance la réflexion, peut-on partir du principe que, de manière basique, tout acte de communication se caractérise d’abord par la manière d’aller vers l’Autre, et qu’ainsi, selon comment est envisagé cet Autre (ou ces Autres), selon les qualités ou les défauts qu’on lui prêtera, selon le droit, ou non, de participer qui lui sera laissé, l’acte communicationnel pourra être bien différent.
Les accords avoués avec des positions extrémistes sont-ils compatibles avec ce qu’il conviendrait d’appeler le socle commun des « valeurs » de la communication publique ?
Alors, la communication publique, dans son rapport à l’Autre, verra son cœur pencher de quel côté ? Si je m’interroge aujourd’hui, c’est que, notamment sur X (aka « Twitter » pour les boomers), je vois certains collègues (enfin d'« anciens » collègues puisque je n’exerce plus), prendre ouvertement parti pour des tendances politiques plutôt orientées vers les extrêmes. En tous les cas, pour des principes ou des valeurs plutôt portées par ces extrêmes. Et j’avoue que chaque fois je me demande si ces positions sont compatibles avec ce qu’il conviendrait d’appeler le socle commun des « valeurs » de la communication publique.
Vous l’avez peut-être pressenti, je crains de conclure que la communication publique locale ne puisse avoir de fondements que dans l’altruisme et l’humanisme (qui ne sont certainement pas l’apanage d’un seul clan politique). Que dans une vision ouverte et tolérante de l’Autre. Une remarque pour les éventuels trolls, c’est le moment ou jamais de dégainer « wokisme », « islamogauchisme » et autre « écoterrorisme ».
Définitivement, j’ai vraiment quelques difficultés à envisager, professionnellement parlant (parce que qui suis-je donc pour juger les convictions « personnelles » ?), des communicantes et communicants du secteur public qui ne seraient pas animés par la considération de l’Autre, par le respect de sa parole et de sa pensée, comme de ses origines ou de sa religion, par le souhait d’en faire un interlocuteur actif, par le désir d’une transparence maximum de l’exercice du pouvoir local, par la volonté d’expliquer les décisions, et par l’ouverture au fait que l’éducation à la citoyenneté est une chance collective et non une menace.
Et cela d’autant plus que l’élection présidentielle de 2027 (l’épée de Damoclès que j’évoquais en introduction) risque de voir la victoire de positions que j’estime comme aux antipodes de l’idée que je me fais des valeurs de la communication publique. Et si cette menace descend jusque dans nos collectivités, la question se posera forcément pour nombre de communicants : combattre ou se réjouir, se taire ou alerter, la jouer « devoir de réserve » ou bien « devoir de résistance » ?
Illustration : Black mirror.