Et si le territoire était une personne ?
Attention, le titre de ce billet ne doit pas être compris comme le fait qu’il serait possible de réduire tout à un territoire à une seule personne ! Loin de là. Non, il convient bien de le comprendre comme l’hypothèse par laquelle on doit pouvoir considérer les territoires non pas comme de simples entités géographiques, mais bien comme des personnes. Démonstration.
Par Marc Thébault
Celles et ceux qui se sont intéressés de près ou de loin aux aspects « identitaires » de leur territoire l’ont sans doute constaté dans leurs recherches : dans le passé d’un territoire, dans son histoire, il n’est pas rare de détecter des incidents, parfois des drames, ou des grands bonheurs, en somme des évènements, heureux ou malheureux, qui ont forgé ce que l’on pourrait appeler une « posture collective ». Et de temps en temps, on aurait même l’impression que ces évènements ont eu tellement d’impact qu’ils ont ancré des valeurs, des points de vue sur le monde ou sur les autres, des manières de réagir et d’agir, des positions de vie, des croyances, etc. Peut-on aller jusqu’à parler de névroses ou de psychoses, certes collectives ? Je crois que oui. On s’approche donc assez vite de l’hypothèse que, à l’instar de n’importe quel individu, un territoire répondrait à une psychologie propre, liée à son histoire personnelle. De là à le considérer comme un personne, avec ses qualités et avec ses défauts, avec ses traits de caractère spécifiques, il n’y a qu’un pas. Je le franchis. Me suivez-vous ?
Ainsi, on pressent assez vite que les approches de définition de ce qu’est, en fin de compte, un territoire, sont multiples et complémentaires. D’ordinaire, et nous autres communicants savons parfaitement le faire, on privilégie les descriptions chiffrées, ce que l’on nommera le capital matériel, ou les actifs matériels d’un territoire : superficie, nombre d’emplois, d’habitants, d’entreprises, d’étudiants, de visiteurs dans les musées, de résultats si favorables dans les classements des médias, etc. Mais, si nous gardons bien en tête le fait que, si ça se trouve, le territoire est une personne (voir plus haut), alors peut-être pouvons-nous compléter cette approche arithmétique et rationnelle par une seconde plus irrationnelle, où l’on ira rechercher des actifs cette fois immatériels, du côté justement (re-voir plus haut) des valeurs, des croyances, des positions de vie, etc. À titre indicatif, et histoire de rendre mes propos moins farfelus, je rappelle l’existence, en haut lieu, de l’APIE : agence dont le rôle est de protéger et valoriser le patrimoine immatériel de l’Etat. Cette approche plus sensible, plus humaine donc, n’est pas qu’un effet de style. Elle pourrait même devenir un socle fondamental sur lequel se construira une réelle politique d’attractivité, en particulier parce que la plupart des territoires, en tous les cas dans une même catégorie de taille démographique, s’ils peuvent aligner à peu près les mêmes chiffres, à peu près les mêmes actifs matériels, en revanche ils doivent pouvoir chacun se différencier des autres par une gamme d’actifs immatériels uniques, car liés à une histoire propre, donc à des valeurs exclusives. Pas mal pour jouer à fond la discrimination face à la concurrence. Et assez bien aussi pour raconter une histoire plus séduisante que celle narrée par d’autres. Prenons un exemple.
Imaginez que vous soyez invités à un dîner chez des amis qui vous annoncent qu’ils ont également convié d’autres personnes que vous ne connaissez pas. Ils peuvent vous en parler de deux manières. Ils peuvent d’abord vous dire que, lui, 42 ans, est cadre dans une banque, qu’il gagne environ 50 000 € par an, qu’il mesure 1m80, pèse 82 kilos, a deux enfants, l’un de 8 ans, l’autre 14 - et ce dernier est abonnés aux 19/20 en maths - que son épouse est médecin, dans un cabinet situé en centre-ville, et que toute la famille vit dans une maison de ville de 180m², etc … OK. Tout cela est juste et précis mais il n’est pas évident que, d’emblée, vous sautiez de joie à l’idée de passer une soirée avec ce couple dont la présentation n’est guère affriolante. En revanche, si vos amis précisent que, elle, est très drôle et spécialiste des dialogues des comédies US cultes, qu’elle chante comme un pied mais tout le temps, qu’elle a passé 5 ans en Afrique dans des actions humanitaires, que les enfants font du cirque, que le plus jeune est super timide mais très attachant, que les parents sont fiers des résultats en maths de l’autre parce qu’il a frôlé la mort étant tout petit, et que, lui, s’ennuie à mourir dans sa banque et ne rêve que d’une chose, c’est de devenir traiteur pour des mariages, et d’ailleurs c’est lui qui cuisinera pour votre dîner et que, promis-juré, vous allez tomber par terre, sans parler des vins qu’il a déjà choisis … Alors je prends le pari que, cette fois, votre curiosité sera accrochée et que, du coup, ce repas ressemblera de moins en moins à une galère mondaine et chabrolienne.
Pour le dire plus trivialement, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre et ce n’est pas en jouant à « qui qu’à la plus longue ? » (liste de chiffres-clefs s’entend) qu’on avance vraiment dans la promotion territoriale. Les territoires sont des personnes. Des personnes morales, d’accord, mais des personnes d’abord. Et comme pour toute vraie personne, c’est toujours la révélation de l’intime qui est plus captivante que l’étalage des muscles. C’est toujours ce qui rend les personnes uniques qui attise l’attention et déclenche l’attachement. Et c’est la connaissance des névroses territoriales, des pannes de libido, des défauts trop prégnants - la composition de l’âme territoriale en quelque sorte - qui indique les blocages à lever. Bon, au prochain billet je vous parle de ma petite enfance, de mes hobbies et de ma chienne (ah mince, c’est déjà fait !).