Faut-il commémorer mai 68 ?
Qui oserait d’abord ? Mai 1968, même cinquantenaire, divise toujours autant. On voit mal les mairies des 5e, 6e et 14e arrondissements de Paris mettre des pavés à la disposition des nostalgiques des émeutes, des barricades, que dis-je, de la chienlit.
Par Pierre Geistel, ancien chargé de communication de la région Nord-Pas-de-Calais
D’accord, le Quartier latin a connu une notoriété internationale mais les édiles préfèrent sans doute ranimer la flamme du jazz des caves de Saint-Germain-des-Prés, ou le souvenir de bardes qui, telle Juliette Gréco, firent longtemps rimer « je t’aime » avec « café-crème ».
Même l’icône Jean-Paul Sartre (ou Jean Sol Partre, c’est selon) semble has been. Avec d’autres, à la Sorbonne, à l’Odéon, il avait pourtant apporté une caution intellectuelle à un mouvement qui en avait bien besoin, entre grèves générales et tentations anarchistes.
Redorer le blason de mai 1968 ne passera pas non plus par Cohn-Bendit : Dany le rouge a bien pâli sous les costumes verts de député au Bundestag et au Parlement européen. Le CRS qu’il narguait sur un cliché célèbre doit se moquer, où qu’il soit.
Alors qui, pour célébrer les 50 printemps de ce qui nous semblait parfois l’aube du grand soir ? Nous, les anciens combattants, nostalgiques d’une époque bénie ? Tu parles (Charles), on avait 20 ans et on ne s’imaginait pas céder aux tentations dénoncées avec passion et même violence.
Pourtant, les manifs appelaient une nouvelle Liberté à guider le peuple. Il fallait mettre l’imagination au pouvoir et prendre nos désirs pour des réalités. Les élections devenaient pièges à cons. On faisait l’amour et pas la guerre, on fermait la télé pour ouvrir les yeux… enfin, on essayait et on avait déjà trouvé la plage sous les pavés !
Enfin, mai 1968, il est vrai aidé par Jean Yanne, a inventé le nec plus ultra des slogans, le graal des communicants et des brainstormings en quête d’absolu : il est interdit d’interdire. Moyennant quoi, on n’a jamais édicté autant de règlements ni promulgué de lois. Il n’y a, dès lors, plus aucune raison de commémorer mai 1968.