« Finalement, je crois que je l’aime bien »
Deuxième extrait du (presque réel) carnet de bord d'une communicante.
Par Lucille Roué, responsable de la communication de la ville de La Tour-du-Pin.
Mercredi 2 février 2022, 12h45, home office
Cher carnet,
Est-ce que je t’ai déjà parlé de lui ? Ce membre plus qu’actif de la page Facebook de la ville ? Celui qui, à peine un post publié, taxe la publication – pourtant longuement réfléchie et travaillée – d’un rageux et sans détour « Grrrrr », bien souvent assorti d’un commentaire à faire frémir les pages du Petit Robert.
À croire qu’il n’attend que ça, fébrilement… Je le vois bien, son portable à la main, à surveiller la moindre notification émanant de la collectivité, pour ensuite pianoter frénétiquement de ses longs doigts ridés et poilus des commentaires niveau bac à sable.
Je ne sais pas pourquoi, je l’imaginais vieux. Cet internaute doit passer sa journée à observer la rue en râlant sur les automobilistes mal garés, sur les enfants qui font trop de bruit en jouant dans le parc voisin, sur les nids-de-poule de la place des Ormes. Un jour, il fait la remarque à la boulangère que la baguette n’est pas assez cuite. Le lendemain, il lui reproche qu’elle l’est trop…
Tu penses que j’exagère ? Je ne suis pas si loin de la vérité, en fait… J’ai parlé de lui à notre « référente historique mairie ». Si, tu sais bien, la collègue qui est là depuis des lustres : celle autour de laquelle les murs de la mairie ont été érigés. Eh bien, elle a confirmé : « M. Machin, de la place de la République ? Ah, mais oui ! Quand j’étais à l’accueil, il appelait dès que quelque chose n’allait pas. Un vrai empêcheur de tourner en rond ! » Le mode d’action de mon gentil troll de la page Facebook semble donc changer avec le temps et les technologies. Mais si ses méthodes évoluent, il n’en reste pas moins fidèle. Fidèle à son intérêt pour la vie locale au fil des années, toujours en mode grognon.
Et c’est vrai que ça devient presque un rendez-vous, une habitude, une attente de ma part. Lorsque je programme des posts sur Facebook et que je ne le vois pas réagir tout de suite, je m’étonne. Que lui arrive-t-il ? Plus de batterie ? Parti en vacances ? Pas de réseau ? Pire ? Je m’inquiète… À mon tour, je consulte frénétiquement la page, l’actualise, jusqu’à enfin voir apparaître son commentaire – souvent hors de propos –, et me voilà rassurée. Il est là, il réagit, il râle. Il se fait chambrer par les autres internautes. L’univers s’équilibre.
Finalement, je crois que je l’aime bien, moi, ce troll !