Information locale : l'IA entérinée, le papier consacré, la distribution repensée
Au Festival de l'info locale 2024 à Nantes, les acteurs privés et publics ont partagé leurs analyses et leurs solutions sur des problématiques communes.
Le Festival de l’info locale (FIL) est, depuis 2019, un rendez-vous annuel pour les acteurs des médias de proximité. L’édition 2024 vient de se dérouler les 26 et 27 septembre à Nantes. Au programme, des retours d’expérience, des conférences et des ateliers pour échanger et s’inspirer sur l’évolution des métiers du journalisme et des usages médiatiques, et de nombreuses interventions qui trouvent un écho dans la communication publique, comme nous le relate notre envoyé spécial, Didier Rigaud-Dubaa, membre du conseil coopératif de Cap'Com, maître de conférences associé à l'université Bordeaux-Montaigne.
Comme lors du dernier Forum Cap’Com, l’intelligence artificielle a pris une place importante dans les échanges. Elle était même l’objet d’un fil rouge durant la première journée. Ce serait une erreur, pour ne pas dire une faute, pour les médias locaux (et les collectivités territoriales) de ne pas, dès aujourd’hui, prendre en considération l’IA au niveau de l’ensemble des métiers – documentation, rédaction, promotion… mais aussi au niveau juridique, éthique, sociétal…
Même si vous ne voulez pas de l’IA, l’IA va entrer dans vos outils.
Titus Plattner, journaliste et chef de projet d'innovation de Tamedia
Quelques exemples d’utilisation de l’IA dans des médias locaux :
- la gestion des datas (articles, photos…) et l’extraction de données pour un sujet : les datas représentent plus de 100 millions de contenus pour le groupe Ouest-France ;
- la rédaction de résumés de podcasts ;
- la rédaction de titres ;
- la transcription d’enregistrements audio en texte (speech to text en bon français)…
Faire face à la problématique de la distribution
Autre problématique commune avec les collectivités territoriales, la distribution des publications. D’ailleurs, parmi les intervenantes de l’atelier figurait Audrey Coupat, directrice de la communication de la ville d’Annecy. Les médias privés locaux s’inquiètent du risque de suppression de l’aide à la presse pour la diffusion et par voie de conséquence de l’abandon par la Poste de sa mission de service public en n’assurant plus la diffusion dans les zones rurales et très isolées. Ce contexte alarmant est proche de la problématique face à laquelle se trouvent de nombreuses collectivités depuis le départ d’un des leaders du marché de la distribution en toutes boîtes. La ville d’Annecy a mis en place pour son magazine bimestriel un mix de plusieurs modes de diffusion, des dépôts sur l’ensemble du territoire, 500 commerces et équipements publics, le téléchargement des numéros via le site internet et un système d’abonnement. L’expérience est encore récente, le nombre d’abonnements en augmentation régulière, mais le tirage, en comparaison du mode de diffusion en toutes boîtes, a été pratiquement divisé par trois.
Le toutes boîtes a un impact sur l’environnement pas suffisamment évalué, nos élus locaux y sont attachés mais quel est le lectorat réel ? Une distribution adaptée et plus ciblée sur le lectorat réel pourrait être source d’économie en réduisant le tirage. La réduction des coûts peut également se faire au niveau du choix du papier et de la technique d’impression. Thierry Doll, du groupe Riccobono, a développé un plaidoyer pour l’utilisation de ce que l’on appelle « le papier journal » utilisé par la presse quotidienne, peut-être pas adapté à tous les tirages de collectivité mais bien moins polluant et énergivore (car sans séchage) que le papier « blanc » généralement utilisé par la presse territoriale. C’est d’ailleurs le type de papier retenu pour ICI Rennes, grand prix du dernier Prix de la presse et de l’information territoriales.
Le papier fait de la résistance
Autre collectivité représentée durant ce FIL 2024, le conseil départemental des Hauts-de-Seine avec la saga de sa publication destinée aux collégiennes et collégiens du département. L’Abeille vient de fêter ses dix-huit ans d’existence, et en octobre sortira à la suite d’une refonte complète une nouvelle formule avec un nouveau titre, Buzz. Durant le travail de refonte, la piste de supprimer le magazine papier a été rapidement écartée pour diverses raisons. Durant ces deux journées, d’autres témoignages d’expériences allaient également dans ce sens, comme la revue trimestrielle La Topette (journal local, populaire et indiscipliné) en Maine-et-Loire : ils ont démontré que le papier avait encore tout à fait sa place dans le paysage médiatique local, il doit cependant s’adapter, innover et cibler ses publics.
Une consommation de l'information à prendre en compte dans nos dispositifs éditoriaux
Pour terminer, quelques chiffres issus d’une enquête sur le rapport des Français à l'information réalisée en 2023 par l’agence d’études Iligo pour le quotidien Le Figaro. Une étude identique avait été effectuée en 2010, la comparaison des résultats de ces deux études peut être source de réflexions sur nos dispositifs éditoriaux.
En moyenne nous consacrons quotidiennement 2 h 11 à la recherche d’informations (de tout type) avec peu d’évolution en treize ans (2 h 16 en 2010). Les 18/24 ans y consacrent 2 h 23. En même temps, le sentiment d’être submergé d’informations a doublé : 31 % en 2010, 61 % en 2023.
Internet est devenu incontournable, quel que soit l’émetteur, site ou réseau social, il est une source d’information pour 56 % des répondants (64 % des 18/24 ans) contre 23 % en 2010. Et surtout les réseaux sociaux sont devenus le principal relais d’information : 33 % en 2010, 54 % en 2023 (71 % pour les 18/24 ans). Nous échangeons, nous partageons et nous relayons de moins en moins par voie orale des informations.
Plus inquiétant – et certainement le résultat du travail des algorithmes –, les Françaises et Français sont de plus en plus en recherche d’informations et d’opinions qui leur ressemblent : 37 % en 2010, 72 % en 2023 (82 % pour les 18/24 ans). Un challenge à relever par la communication publique pour la survie d’un fonctionnement démocratique de nos institutions et le mieux vivre ensemble ?