Intranet : et 1, et 2, mais timidement 3.0
Intranet est un outil central dont ne sauraient se passer les 70 % des collectivités qui en sont dotées. Pour autant, ces dispositifs numériques sont appelés à évoluer. Vont-ils suivre le secteur privé dans la voie des réseaux sociaux d’entreprises ? Les communicants internes publiques sont prudents, conscients d’une culture territoriale qui incite à innover timidement ou progressivement dans ce domaine.
Par Yann-Yves Biffe
Les 10e Rencontres de la communication interne des services publics, organisées par Cap’Com à Paris les 20 et 21 mars 2017, étaient pour une grande part dédiées à la question des intranets. Question parce que tous les communicants publics réunis là partageaient plus ou moins cette interrogation : « Qu’est-ce que je peux faire de mon intranet ? ».
Ça donne à voir des intranets qui ont besoin derégénération
Parce que les intranets (ces sites de type internet mais destinés uniquement aux agents de la collectivité) sont souvent assez âgés. Selon l’étude réalisée par Cap’Com auprès de 237 collectivités, trois quarts de celles-ci ont un intranet, et 80 % d’entre elles depuis plus de 5 ans, 53 % depuis plus de 10 ans.
Parfois, souvent, c’est un gars de la DSI qui l’a réalisé, en intra aussi, et si on a trouvé depuis les budgets pour revoir le site internet de la collectivité plusieurs fois, le moindre euro était toujours trop cher pour un intranet qui remplissait finalement toujours sa mission tant bien que mal. En plus, il convenait tout à fait aux élus qui n’en avaient absolument rien à faire et aux directions générales qui s’en désintéressaient un tout petit peu moins.
Ce temps semble avoir vécu.
Les directions générales, à mesure qu’elles se réapproprient la com interne vecteur de communication managériale, veulent des outils performants.
Et les chargé(e)s de com interne laissent affleurer leur frustration. Entendu aux Rencontres de la Com interne : « moi, mon intranet, il est 0.0 ! » ; « J’en peux plus de notre intranet et de la tronche du trombinoscope ! ».
Alors partons pour changer ! Mais changer pour quoi ?
Tout part d’une liste au Père Noël, issue de la rencontre des aspirations du chargé de com interne (en fait tous les ratés de son intranet actuel) et de celles des agents, recueillies lors de focus groupes avec éventuellement techniques créatives (ça veut dire Post-it(©)). Les élus se sentant peu concernés, on peut aller interroger les besoins à leur source.
Ensuite, il faut retenir le prestataire chargé de viser la lune. C’est lui qui va avoir le rôle ingrat de vous faire tomber dans les étoiles (cf. Oscar Wilde).
Dans certains cas, c’est la DSI qui choisit le prestataire. Si votre intranet a été développé par Microsoft avec sa solution Sharepoint, c’est que c’est la DSI qui a choisi. Parce que c’est beaucoup plus cher en raison notamment d’une facturation de licence par poste ? Parce que c’est plus rigide et moins personnalisable (entendu d’utilisateurs) ? Parce que leurs commerciaux sont convaincants ? Parce que, quand on a une brique de l’univers Microsoft, on est incité fonctionnellement à utiliser les autres dans un phénomène que les informaticiens nomment de façon assez imagée « adhérence » ?
Dans d’autres cas, il faut discuter avec le futur prestataire et être sur la même longueur d’onde, ce qui a poussé la Ville de Rouen à privilégier la voie du dialogue compétitif.
Ça donne à penser que la révolution collaborative n'a pas eu lieu
Alors, que va-t-on trouver dans l’intranet moderne ? Une transition assumée vers le réseau social d’entreprise, articulant les trois piliers de l’informatif, du collaboratif et du social ?
Il était déjà auparavant un outil d’information et de documentation. 97 % des intranets de collectivités comportent des infos RH, 93 % des actualités de la collectivité.
Cette fonction reste présente, voire primordiale, dans les nouveaux intranets présentés qui lui font une place très importante en page d’accueil. La verticalité de cette information est toujours là, même si l’enjeu reste de faire intervenir les services en direct, tout en étant conscient de la difficulté de mobiliser des contributeurs.
Si les intranets sont restés aussi longtemps dans leur jus, c’est que les communicants publics étaient aussi poussés à attendre que l’intranet 3.0 soit prêt. L’est-il aujourd’hui ?
Il le serait techniquement. Mais les communicants internes publics semblent rechigner à s’y engager. Ils sont plutôt partisans d’une évolution progressive par petites touches. Ils craignent vraisemblablement un rejet des fonctions sociales. Certains prestataires plaident pour une acculturation progressive des agents au web 3.0. Mais ils sont tous sur Facebook ! Donc le web social, ils connaissent. Mais de s’extasier sur un gâteau réussi à partager une expertise, il y a effectivement un fossé énorme. C’est difficile, par rapport au poids du regard des collègues, au « que va en dire la hiérarchie », à la peur d’un avancement ralenti, de se mettre en avant et en évidence, de prendre et défendre un avis. Ce n’est tout simplement pas dans la culture territoriale. Les départements sont plus près de la sphère étatique, dont ils sont récemment issus, que des start-up.
Alors le collaboratif, les collectivités y vont doucement.
L’annuaire en ligne semble les dédouaner d’une ambition plus profonde et servir d’alibi à la fonction sociale. Il était déjà très attendu, 3è rubrique la plus demandée des intranets publiques et présent à 92 % dans ceux-ci. Super, dans sa version sociale dite trombinoscope, on peut y voir la tête des agents. Et en cliquant dessus, on voit la structuration du service et son intégration dans sa direction. Effectivement, c’est utile et apprécié. Mais la performance tient plus dans le fait de pouvoir s’interfacer avec le logiciel RH que dans la mise en relation sociale essentiellement basée sur le fait que l’agent peut remplir lui-même des champs le décrivant. On voit à qui on a à faire, et c’est déjà pas mal, mais il va falloir faire preuve de pas mal de conviction pour que les agents remplissent leurs compétences personnelles, alors qu’un certain nombre refuse de mettre sa photo. - Ont-ils le droit de s’y opposer ? Droit à l’image, cadre et utilisation limitée au lieu de travail, la question juridique ne semble pas complètement tranchée au bout de ces deux jours… -
Pour les plus engagés, au-delà de l’agrégation d’applications métiers, un lien emmène vers des espaces collaboratifs. Mais ceux-ci se limitent souvent à l’usage à des zones virtuelles de partage de documents co-construits appelant plusieurs versions amendées, ou rassemblant des dossiers de documents référentiels pour des groupes de travail.
De fait, si le vocable de RSE (réseau social d’entreprise) se fait volontiers discret dans les collectivités, c’est qu’on est bien conscient que cette progression va demander beaucoup de patience.
Ça donne à voir la fonctionnalité sociale parce que commune
Finalement, la vraie dimension sociale de l’intranet s’incarne probablement dans le fait qu’il peut dorénavant espérer toucher tous les agents de la collectivité. Car c’était sa limite principale : il n’était utilisable jusque-là que des agents de bureau, c’est-à-dire ceux déjà les mieux informés. L’avancée la plus importante réside donc finalement dans le responsive design et le mode SAAS. En rendant l’intranet consultable de n’importe quel point connecté à internet, en en permettant l’affichage sur tablette et smartphone, l’outil devient techniquement accessible aux agents de la collectivité qui ne disposent pas d’un ordinateur au bureau. L’enjeu est conséquent puisque cela représente environ la moitié de nos collègues territoriaux.
Si l’utilisation d’outils personnels pour un usage professionnel progresse de facto comme dans l’entreprise (BYOD : Bring your own device = apporte ton propre matos), il reste à régler la question du temps pendant lequel l’agent va consulter l’intranet du boulot sur son smartphone perso.
Cela augure de beaux débats entre direction générale et syndicats, avec le responsable de la com interne pour compter les points.
On s’organise ça sur un espace collaboratif de l’intranet ?