La déambulation, avancée démocratique ?
Un parcours, plutôt qu’un discours. C’est le choix d’Emmanuel Macron lors du congrès de l’Association des maires de France. Et si l’exemple donné par le président de la République était suivi…
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
L’affaire peut sembler anecdotique. Pourtant elle est doublement révélatrice. Elle montre la recherche d’une forme de rencontre moins empreinte de la solennité habituelle et du rituel traditionnel. De plus, elle éclaire la situation qui apparaîtrait si – imaginons-le – les élus locaux emboîtaient le pas du chef de l’État.
Les allées plutôt que les travées
L’Élysée s’est efforcé de donner du sens à cette marche en indiquant qu’« un choix politique différent » a été fait pour avoir « un contact bien plus direct et fort avec ceux qui font d’abord les territoires ». Emmanuel Macron a donc négligé le congrès des maires et ses plusieurs milliers d’auditeurs pour le salon des exposants attenant : les allées plutôt que les travées pour des échanges informels et impromptus, avec une poignée d’élus, en réduisant la distance et en échappant aux ovations massives comme aux huées générales. Une « déambulation », selon le mot de la communication de la présidence, semble-t-il ignorante de la définition que Le Robert en donne : « Marcher sans but précis selon sa fantaisie ». Sans but, certainement pas. D’ailleurs, le cérémonial a pris le dessus en soirée, lors de la réception à l’Élysée d’un millier de maires soigneusement choisis.
Affirmer qu’au parc des expositions de la porte de Versailles le roi est descendu de son trône pour consentir à se rapprocher des manants serait excessif. Mais, lors du grand rendez-vous annuel des maires de France, le président a renoncé au monologue du haut de la tribune pour un dialogue de plain-pied avec des élus locaux. Il a ainsi couru le risque qu’un maire de ma connaissance appelle « être à portée d’engueulade » dans la rue, au débotté, en vertueuse pratique démocratique.
Conséquences en cascade
Voyons donc voir ce qui se passerait si nos élus adoptaient cette méthode, au moins pour les grandes occasions, et s’ils multipliaient des contacts informels, sans discours. On assisterait à des conséquences en cascade :
- allègement de la charge de travail de celles et ceux qui écrivent les discours, voire s’y échinent ;
- nécessité pour les équipes du cabinet, du protocole et de la communication de penser le dispositif et la réalisation de la déambulation : la simplicité, la spontanéité, oui ; l’improvisation, l’impréparation, non ;
- recul de la place de l’allocution, forme normée de l’expression publique. Donc, peut-être, moins d’oral pour une plus grande place, un poids plus fort de l’écrit ;
- diminution de la reprise de passages des discours dans la presse audiovisuelle, donc perte en retombées médias ;
- raréfaction des « éléments de langage » puisés dans les discours, points d’appui dans l’élaboration des messages de la communication, pas seulement politique, mais aussi institutionnelle, formulations pas nécessairement reprises texto, mais sources d’inspiration légitimées ;
- enfin, plus fondamentalement, réduction du magistère de la parole et repli de la fonction tribunicienne, tous deux assurés par les élus. La démocratie aurait-elle à y progresser ? Et les communicants à y gagner ?
Allons ! Cette situation est hypothétique, à coup sûr purement imaginaire.