La fatigue informationnelle, enjeu de citoyenneté
Ce phénomène est peu connu, rarement examiné, voire ignoré. Une étude éclaire son ampleur, ses causes et ses conséquences. Elle suscite des questions, y compris pour les communicants publics.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Êtes-vous flagada en raison de la fréquentation des médias ? Lassitude, saturation, décrochage. Dans ce brouillard, l’étude ObSoCo (Observatoire Société & Consommation) / Arte / Fondation Jean Jaurès « Les Français et la fatigue informationnelle » apporte d’utiles repères et ouvre des perspectives pour nos métiers.
Aveuglés par le « nuage informationnel »
Ce travail inédit met d’abord en lumière « les profonds bouleversements des pratiques informationnelles ». Nous les connaissons, avec, à la fois, un enrichissement de l’offre et une fragmentation des pratiques, par l’accroissement du nombre de canaux. Guénaëlle Gault (ObSoCo) et David Medioni (Observatoire des médias de la Fondation Jean Jaurès) soulignent que 35 % des Français disent devoir faire des efforts pour s’informer correctement. Plus alarmante, cette difficulté concerne 48 % des plus jeunes – c’est inattendu – et 49 % de ceux qui veulent s’informer régulièrement.
« L’excès étouffe l’information quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d’événements sur lesquels on ne peut pas méditer parce qu’ils sont aussitôt chassés par d’autres événements. Ainsi, au lieu de voir, de percevoir les contours, les arêtes de ce qu’apportent les phénomènes, nous sommes comme aveuglés par un nuage informationnel. » Le diagnostic est d’Edgar Morin. Il ne date pas d’hier. 2010 ? 2000 ? 1990 ? Non : 1984. Les symptômes de ce mal, ancien mais croissant : 50 % des Français déclarent se sentir épuisés, stressés par un trop-plein d’informations, dont 15 % régulièrement et 35 % de temps en temps. Les plus fatigués sont les plus actifs qui partagent les informations (48 %) ou les commentent en ligne (34 %). Signe flagrant de la tension par excès d’attention : 40 % des Français éprouvent la peur de manquer une information. Vous savez quels comportements de consultation addictive des smartphones cela engendre. L’étude ne précise pas si le contenu des informations a une incidence. Ce serait bon à savoir.
Cinq types de Français
L’étude dessine cinq profils de Français : les « défiants oppressés » (35 % de la population), les « défiants distants » (18 %), les « hyperconnectés épuisés » (17 %), les « hyperinformés en contrôle » (11 %) et les « ne savent pas, ne sont pas concernés » (20 %). Conclusion des auteurs de l’étude : « Les “défiants oppressés”, les “défiants distants” et les “ne savent pas, ne sont pas concernés” sont les profils qu’il appartient aux médias, aux pouvoirs publics et à l’ensemble de l’écosystème démocratico-médiatique d’aller reconquérir. » Vaste programme : 73 % de la population… si l’on suit cette analyse.
En décryptant plus finement ces phénomènes, que constate-t-on ?
- Les jeunes hyperconnectés ne sont pas épargnés.
- Le langage journalistique, sa complexité sont souvent critiqués.
- Un certain découragement à l’égard de l’information s’exprime.
- Le sentiment d’impuissance est exacerbé chez les « défiants oppressés », qui se caractérisent par leur défiance généralisée, celle qui nous préoccupe et nous occupe.
- Le lien entre la fatigue informationnelle, la santé et le bien-être apparaît avec les manifestations d’anxiété, de déprime, de dépression, d’addiction et, plus généralement, de stress. (1)
Notre responsabilité
Le choix du retrait est très puissant : 77 % des Français déclarent qu’il leur arrive de limiter ou même de cesser de consulter les informations, dont 27 % régulièrement. Impossible de l’ignorer, car nous sommes des acteurs de l’« écosystème démocratico-médiatique ». À côté des médias privés, voire en concurrence avec eux, nous produisons et diffusons des informations. Leur caractère institutionnel ne leur donne pas plus de poids. On ne voit pas pourquoi nous serions épargnés par la fatigue informationnelle. Elle est un enjeu démocratique puisqu’elle réduit l’espace du partage des informations et du débat public. Elle confirme la gravité de la crise démocratique. Pour y faire face, les pouvoirs publics, nationaux ou locaux, les médias, les citoyens ont leur part de responsabilité. Nous aussi.
Ralentir la vitesse pour freiner la frénésie, renforcer la connaissance, la compréhension et l’appropriation des attentes, réunir les conditions pour être bien reçus par les voies les plus efficaces, poursuivre ainsi l’amélioration de la pertinence et de l’impact de nos supports : rapidement évoquées, voilà quelques-unes des pistes de progrès qui se présentent… si nous voulons nous y engager.
(1) Définition du stress par l’Agence européenne de la santé : « Le déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. »