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La France « black, blanc, beur » est-elle de retour ?

Publié le : 26 septembre 2024 à 16:07
Dernière mise à jour : 3 octobre 2024 à 15:51
Par Marc Thébault

Avouez-le, vous avez obligatoirement en mémoire les semaines électorales du printemps et de cet été. Mais vous avez aussi, sinon c’est que vous étiez dans une grotte pendant deux mois, les folles images des JO de Paris. La France clivée et déchirée s’est retrouvée unie et désireuse de partager un bonheur commun. L’obscurité anxiogène, puis la lumière improbable d’une vasque aérienne. La France est-elle de nouveau prête à se rassembler ou n’est-ce qu’une illusion passagère ?

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Par Marc Thébault, consultant en attractivité des territoires, ancien responsable de la mission attractivité de Caen-la-Mer.

Sérieusement, que s’est-il donc passé cet été en France ? Vous avez, forcément, toutes et tous vu ces scènes incroyables de liesse et de passion à l’occasion des Jeux olympiques de Paris. Vous avez entendu hurler tous ces stades derrière des championnes et des champions. Et pas que pour des athlètes de l’équipe de France. Vous avez vu ces foules en joie, parfois l’œil humide (sacrée « poussière »), et toujours si enthousiastes. Vous avez lu ces commentaires sur des forces de l’ordre aimables et serviables. Vous avez, si vous étiez à Paris, pris sans encombre, et malgré la foule, des transports en commun fiables. Dites-moi, nom de nom, mais c’était quoi ce truc de dingue ?

Parce que, rembobinons au 9 juin 2024 à 20 h, au moment des résultats des élections européennes, avec tous ces yeux écarquillés devant les 31,37 % du Rassemblement national. Et puis, aux alentours de 21 h : annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Stupeur et tremblements, pour reprendre Amélie Nothomb ! Rappelez-vous aussi le 30 juin, là aussi à 20 h, devant les 33,15 % du RN et de ses alliés ciottistes. Et souvenez-vous de l’ambiance qui a régné alors entre les deux tours, avec les adeptes du Front républicain (aka « les castors ») et celles et ceux qui ne pensaient visiblement pas que c’était la meilleure des idées puisque « les extrêmes se rejoignent ». Et il y a eu la libération de la parole des plus durs, une flopée de candidats visiblement peu fréquentables, des prises de position plus que tranchées, car désormais sans complexe (« On va ga-gner ! »). Et je ne parle pas des annonces de manifestations, présentées comme potentiellement armées, comme si la guerre civile devenait un horizon quasi certain. En somme, la suite logique de déclarations outrancières après certains faits divers, dont celui de Crépol, quand les fidèles de CNews et les lecteurs de La France orange mécanique de Laurent Obertone (la « bible » de l’extrême droite selon Télérama) se sont bien lâchés. Nous étions, pour de vrai, dans la série La Fièvre. Certes, le 7 juillet, une partie de la France respirait de nouveau avec l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire et avec un score « contenu », et si moindre aux regards des prévisions, de l’extrême droite (plus de 10 millions d’électeurs quand même). Étions-nous sortis de l’auberge ? C’était sans compter avec le feuilleton – un peu trop long, non ? – de la nomination d’un Premier ministre.

Rarement la France avait été aussi divisée en tant de clans réputés irréconciliables [...]. Et voilà que sont arrivés les Jeux olympiques, ses phryges foldingues et ses moissons de médailles.

Inutile d’être un grand sociologue pour l’avoir remarqué, rarement la France avait été aussi divisée en tant de clans réputés irréconciliables, et rarement l’ambiance générale avait été aussi tendue. Et voilà que sont arrivés les Jeux olympiques, ses phryges foldingues et ses moissons de médailles. Là aussi, le cortège d’oiseaux de mauvais augure avait été bien fourni et pas mal, en ricanant, se réjouissaient à l’avance – après avoir largement critiqué les mascottes et l’affiche sans drapeau ni croix – de la plantade certaine de l’organisation, du désintérêt des Français, du bordel parisien annoncé, de l’insécurité assurément fatale, etc. En somme, cela allait être un échec retentissant !

Et puis, rien ne s’est passé comme prédit. Ou, plutôt, tout s’est passé comme, visiblement, tous les acteurs de ces jeux l’avaient préparé. C’est-à-dire, quasiment sans encombre, même en tenant compte de la météo ahurissante du 26 juillet. Les Cassandre ont donc bien fermé leur bouche. Certes, complotistes, intégristes de tous poils et autres acharnés et nostalgiques de la pureté de « nos racines » et de « nos traditions » ont pu, après s’être remis de leur syncope, s’acharner sur la cérémonie d’ouverture. Mais, et tous les sondages l’ont démontré, l’immense majorité des spectateurs, en France et dans le monde, a applaudi des deux mains.

Ensuite, avec une couverture médiatique sans égale, on s’est passionné pour les épreuves, pour les athlètes, qu’ils soient olympiques ou paralympiques. Des sites exceptionnels, une équipe de France en pleine forme, des exploits individuels ou en équipe fantastiques, et un public en folie permanente. Celui-ci a soutenu, et c’est bien normal, les Françaises et les Français en lice, mais a acclamé tous les records et tous les exploits venus de tous pays, applaudissant aussi bien la Palestine qu’Israël et souriant devant le selfie des Coréens du Nord et du Sud. Rare et magique, donc. Et, en dehors des définitifs allergiques au sport et aux foules en extase, tout le monde (ou presque, donc) s’est laissé prendre et a plongé, avec délectation, dans cette communion collective inattendue, cette bouffée d’oxygène et d’optimisme, tellement salvatrice après les semaines précédentes que j’évoquais au début de ce texte.

Pour un vétéran (pour garder le lexique sportif) comme moi, inutile de dire que l’image de la France de 1998, au soir de la victoire à la Coupe du monde de football, m’est revenue immédiatement. Notamment ce surnom, « la France black, blanc, beur ». Parce que, à bien y regarder, il n’est pas outrancier de noter que le public des jeux a soutenu tous les athlètes français, et peu importe la couleur de leur peau ou leurs origines, proches ou lointaines. Lorsque, en 2006, Georges Frêche (élu de gauche, ancien maire de Montpellier et à l’époque président du conseil régional Languedoc-Roussillon) déclarait au sujet de l’équipe de France de football de l’époque : « Dans cette équipe, il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu'il y en ait trois ou quatre, ce serait le reflet de la société. Mais là, s'il y en a autant, c'est parce que les Blancs sont nuls. J'ai honte pour ce pays. » Et, sur ce sujet, le quotidien Le Monde notait (1er mars 2010) : « Sur ce terrain, Jean-Marie Le Pen l'avait précédé à deux reprises (1996, 2006). Entre-temps (2005), le philosophe Alain Finkielkraut s'était fendu d'une déclaration peu heureuse (et mal interprétée, selon lui) dans laquelle il décrivait une équipe "black-black-black" synonyme de "ricanements" en Europe. »

Mais, cet été 2024, l’équipe de France de Thierry Henry n’a pas subi ces récriminations. Enfin je ne crois pas. Et aucun athlète n’a reçu les foudres du public. Certes, peut-être que des trolls ont lâché quelques flèches empoisonnées sur les réseaux sociaux. Mais cela reste à la marge.

Décidément, la France n’est jamais avare de paradoxes.

De tout cela une question : qui était donc dans les tribunes, alors ? Où étaient les électeurs du RN ? Et s’ils étaient présents, comment et pourquoi ont-ils acclamé sans réserve des sportifs noirs ou d’origine maghrébine, et avec certainement pas mal de musulmans parmi eux et avec des prénoms peu chrétiens ? Certes, tout raciste a un « meilleur ami » arabe, mais quand même ! Ou alors le public des jeux était-il exclusivement composé de gens ouverts, anciens militants de « Touche pas à mon pote », ce que je ne crois pas ? N’y avait-il que des « bobos » ou des « wokes » dans les tribunes ? Pourtant, certains observateurs ont déclaré que, d’après eux, c’était plutôt le silence, forcément suspect, côté élus de gauche. D’autres rappelaient que le sport, notamment de compétition, relève de valeurs « de droite ». Alors, que penser ? On n’a jamais autant entendu La Marseillaise, mais elle sonnait, en tous les cas pour moi, bien différemment dans les sites des jeux que dans un meeting de Reconquête.

Décidément, la France n’est jamais avare de paradoxes. Embrassant la police un jour, lui hurlant « ACAB » dans sa face un autre. Considérant des événements sportifs comme des « panem et circenses » destinés à abrutir les foules, mais achetant toutes les places disponibles pour ces JO parisiens. Pointant sans relâche les dysfonctionnements des services publics mais applaudissant Jean Castex descendu auprès de ses troupes pour aiguiller les voyageurs du métro. Portant aux nues des sportifs sans se soucier de ce qu’ils sont car ne regardant que les exploits accomplis et, pourtant, amenant presque (pour l’instant) aux portes du pouvoir des idées xénophobes et nationalistes. J’avoue ma perplexité.

Mais qu’il n’y ait aucune méprise, je me réjouis de tout cela, évidemment ! Et, histoire de rester professionnel, voici quelques réflexions qui peuvent nous concerner.

D’abord, quand les services publics sont suffisamment dotés de moyens – humains et financiers –, ils fonctionnent parfaitement. Rien de surprenant, mais pas inutile à rappeler en ces temps d’annonces, une fois de plus, de disette budgétaire.

Nous qui, dans nos collectivités, recherchons à créer du lien, à le maintenir, à faire du « commun », avons quelques bonnes idées à prendre. Visiblement, la flamme du collectif peut être ravivée.

Ensuite, nous qui, dans nos collectivités, recherchons à créer du lien, à le maintenir, à faire du « commun », avons quelques bonnes idées à prendre. Visiblement, la flamme du collectif peut être ravivée. Aucune désespérance à avoir, donc. À l’évidence, refaisons confiance aux Françaises et aux Français. Ils viennent de prouver leur capacité à se mobiliser, à communier ensemble, au-delà de toutes les différences et de tous les clivages. Ils viennent de prouver que l’on peut être patriote sans être extrémiste, sans être ringard et sans mépriser les autres nationalités.

Enfin, je qualifiais la France de paradoxale ci-dessus. Cependant imaginons que tout cela ne soit pas un paradoxe, mais juste la preuve que le peuple français est absolument capable de se mobiliser tout autant pour lutter que pour célébrer ? Les Français ne seraient donc ni « des veaux », ni dévots, mais plutôt un peuple avide d’union, de liens, de tout ce qui peut le rassembler. J’allais dire, de tout ce qui peut le transcender. Même si c’est « black, blanc, beur ».

Faut-il pour autant être optimiste ? J’avoue que je ne sais pas. Mais peut-être que le mythique « monde d’après » promis après les confinements arrive maintenant ?