La générosité marketée
Qu’il est agréable d’être, cinq fois, coup sur coup, paré de toutes les vertus, solidarité, altruisme, bonté… parce qu’on vient solliciter votre soutien !
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Un bloc-notes, une mappemonde, un agenda de poche, deux calendriers, un sac en toile, deux stylos dont un quatre couleurs, trois cartes de correspondance avec des dessins d’exotiques personnes souriantes plus les enveloppes, vingt-quatre étiquettes autocollantes illustrées, avec mon nom et mon adresse : voilà les cadeaux qui m’ont été envoyés, en quelques jours, par le Secours populaire, la Fondation Abbé Pierre, Médecins sans frontières, Médecins du Monde et Amnesty International. L’éventuel « généreux donateur » a ainsi été bichonné. La prochaine fois, le nouveau smartphone ? Ou un séjour à Acapulco ?
Cette avalanche sans précédent dans ma boîte aux lettres résulte probablement de l’exploitation de l’achat d’un même fichier. Lequel ? Passablement agaçant de n’en rien savoir. La méthode est similaire. Des photos d’un petit enfant craquant, d’une jeune femme bâillonnée ou d’une autre jeune femme dans un logement misérable : le cœur le plus dur commence à frémir. Des témoignages, que l’on espère authentiques, de vies abîmées, fracassées, menacées. L’émotion grandit et vous rapproche de votre carnet de chèques. Bien sûr, faire vibrer ainsi la corde sensible est légitime, parce que vital, de la part de ces associations. Ces ressources sont décisives. Les associations jouent la transparence. La Fondation Abbé Pierre annonce ainsi : 80,6 % des ressources sont consacrées aux missions et actions sociales. Pour les autres, il faut dénicher l’information sur leur site (1).
Les lettres, bien troussées, mettent aussi en avant les garanties apportées par la charte déontologique du « don en confiance ». Il faut réchauffer la confiance du prospect, peut-être refroidi s’il songe à Jacques Crozemarie, condamné à quatre ans de prison ferme pour ses magouilles avec son Association pour la recherche sur le cancer.
Bien sûr, pas d’amalgame : les cinq associations citées ici sont, à ce jour, à l’abri de tout soupçon. Mais elles déploient les mêmes techniques de marketing direct que lors d'une démarche commerciale. Elles vous présentent l’offre, soulignent le bénéfice… moral (en gros, « si vous nous aidez, vous serez une belle personne ») et vous annoncent le bonus, dans ce cas les 75 % de réduction fiscale sur votre don. Et elles peaufinent leur image.
« Le jeu en vaut la chandelle », me direz-vous. Mais ces petits cadeaux, comme si le donnant-donnant était nécessaire, ces argumentaires millimétrés, ce mix des sentiments et du financement, cette générosité marketée, pour de bonnes causes, certes, suscitent des interrogations.
(1) Médecins sans frontières indique : « En 2018, 91 % de nos dépenses ont été directement consacrées aux missions sociales » et précise : frais de fonctionnement 5,7 % et frais de recherche de fonds 3,4 %.
Amnesty International, dans son rapport financier en ligne, détaille : missions sociales 86 %, frais de fonctionnement 6,9 % et frais de recherche de fonds 7,1 %.
Le Secours populaire affiche ces chiffres : missions sociales 83 %, frais de fonctionnement 12 % et frais de recherche de fonds 5 %.
Pour Médecins du Monde, il faut accéder au rapport financier, y dénicher le tableau ad hoc et, à partir des chiffres bruts, calculer les pourcentages : « frais d’appel à la générosité publique » 16,1 %, frais de fonctionnement 4,2 %.