La monarchie française des passe-droits
« Nul n’est censé ignorer la loi. » Mais en ce qui concerne les études d’opinion, pendant des décennies, les hautes sphères n’ont peut-être pas été exemplaires.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Six personnes devant le tribunal correctionnel pour « favoritisme » et « détournement de fonds publics par négligence ». Une bricole. Mis en examen, trois anciens collaborateurs du chef de l’État et trois ex-prestataires de l’Élysée. Un détail. Montant total des commandes sans publicité ni mise en concurrence : plus de 9 millions d’euros pour 264 études d’opinion et les conseils associés. Une paille.
L’« affaire des sondages », ce n’est pas de la roupie de sansonnet. Nous restons pantois devant ces dérives, nous qui, sans enthousiasme mais résolument, respectons d’arides obligations, même si nous ne faisons pas du Code des marchés publics notre livre de chevet. Commanditaires, sauf exception, nous appliquons la loi et nous nous consacrons, avec soin, à l’exigeante élaboration du dossier de consultation des entreprises et à la rigoureuse analyse comparative des offres. C’est une composante de notre métier, un aspect de notre professionnalisme. De même, prestataires, même si les procédures nous rebutent ou si nous les trouvons mal pensées, bon gré mal gré, nous les suivons. La loi, c’est la loi, pour tous.
Cependant, à l’Élysée, on échappait à la règle commune. « Depuis cinquante ans », a déclaré, lors du procès, Emmanuelle Mignon, l’ancienne directrice de cabinet. « Quel était le droit applicable ? » s’est interrogé devant le tribunal Claude Guéant, l’ex-secrétaire général, probablement peu coutumier des questions juridiques puisque diplômé de l’Institut d’études politiques et de l’ENA, et ancien préfet. Avec un sacré aplomb, Patrick Buisson, patron d’Artefact, a vu dans la méthode des commandes dont il a bénéficié « un progrès dans la moralisation de la vie publique », car, dit-il, auparavant les sondages étaient payés en espèces, prélevées sur les fonds secrets de l’Élysée. Quant à Pierre Giacometti, ancien directeur général d’Ipsos, il a présenté l’absence d’appel d’offres comme « une coutume ».
Droit coutumier, c’est-à-dire datant du Moyen Âge. Privilèges qui donnent envie d’une nouvelle nuit du 4 août. Passe-droits de la part de ceux qui sont censés être exemplaires. Sommet de l’État au-dessus des lois. Une note d’un fonctionnaire de l’Élysée, au temps du général de Gaulle, évoquant les « modes extrêmement souples » de gestion des moyens accordés à la présidence, les présentait comme « en quelque sorte les héritiers directs de la cassette royale ». Commentaire du président du tribunal : « On a l’impression d’un édit du roi. »
Dans l’inconscient collectif de notre pays semble subsister le roi, perdurer la monarchie. Quant à nous, humbles serviteurs de la République, en rien en quête d’un monarque, nous respectons la loi. De notre mieux.